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Personnes accompagnées : Repousser les limites de la participation des usagers

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Crédit photo Gwenaël Cadoret
Tenir compte de la parole des personnes accompagnées est devenu un impératif, régulièrement rappelé par les pouvoirs publics comme par les associations. Une volonté largement partagée qui se heurte encore à de vrais obstacles, que les structures les plus engagées s’emploient à repousser.

« On trouve près d’une cinquantaine de raisons de ne pas y arriver. » Chef de projet à la fondation des Apprentis d’Auteuil, Daniel Maciel se montre lucide quant aux difficultés de la participation des jeunes. Pas de quoi, pour autant, renoncer à cet objectif prioritaire au sein de sa fondation, qui en appelle à une certaine créativité. « Des jeunes participent à nos évaluations internes. On monte une animation adaptée qui permet à chacun de s’exprimer et de donner son avis », soutient-il. La participation doit infuser à tous les niveaux, de l’organisation des fêtes à la conception du projet éducatif. Chargé des questions participatives, il boit « du petit lait » quand les jeunes sont consultés sur la question des sanctions. « C’est typiquement le bon sujet, car les jeunes ne veulent pas moins de sanctions, mais des sanctions justes », explique-t-il. Et Jocelyne Bresson, directrice de la résidence de l’Armée du salut William-Booth, à Marseille, soutient aussi : « Il est difficile de faire des choix à la place des personnes. Il faut qu’elles aient un droit de regard et surtout de proposition sur le fonctionnement des établissements et des projets. » Le conseil de la vie sociale (CVS) de son centre d’hébergement et de réinsertion sociale se réunit bien plus de trois fois par an, le minimum légal.

Si la participation des personnes accompagnées relève aujourd’hui de l’évidence pour ces deux professionnels, cette logique reste en construction dans de nombreux établissements, dix-huit ans après la loi de 2002 instaurant le conseil de la vie sociale. Instances officielles devant garantir l’expression des usagers et la prise en compte de leur avis, les CVS posent en réalité problème aux structures. Dans la protection de l’enfance, l’exécutif entend les « revivifier », tandis que la Haute Autorité de santé (HAS) a installé un groupe de travail pour faire progresser la participation. « Certains CVS sont bien animés, tandis que d’autres sont des chambres d’enregistrement », constate Christian Saout, président de la commission sociale et médico-sociale de la HAS. « Si on ne veut pas que l’autodétermination et l’autoreprésentation soient un leurre, il faut que la parole des personnes soit entendue et leurs idées, mises en œuvre », estime Jean-Louis Garcia, président de la Fédération Apajh, qui, comme d’autres, veut accélérer la cadence sur cette thématique.

Cette interrogation autour des CVS tient en particulier au cadre légal : il s’agit formellement d’une instance de consultation, mais dans un contexte où l’on s’oriente vers des objectifs plus ambitieux. « Certaines associations sont allées beaucoup plus loin, en considérant l’avis des personnes concernées comme incontournable », souligne Tiphaine Lagarde, conseillère du pôle offre sociale et médico-sociale chez Nexem. « Au sein des CVS, l’information et la consultation constituent un premier pas de participation. Parvenir à de la concertation au sein de cette instance implique une action sur le temps long ainsi que des moyens », ajoute Sophie Bourgeois, conseillère en gouvernance et développement associatif chez Nexem et auteure d’un mémoire recensant les pratiques de participation dans le secteur associatif.

Le confinement, un révélateur

Les CVS restent donc largement à la main des structures, plus ou moins consultées. A l’occasion de cette pandémie, « consulter les CVS et le CNU [Conseil national des usagers] a permis d’écarter la tentation de tout fermer car, pour les structures, il n’est pas toujours évident de déterminer le bon niveau de protection des personnes », souligne Pierre-Yves Lenen, directeur du développement de l’offre de service d’APF France handicap. C’est dans le secteur du grand âge que les critiques s’expriment le plus vivement. « Lors du déconfinement, nous n’avons pas été consultés sur la reprise des visites, contrairement à ce qu’indiquaient les protocoles, dénonce par exemple Jean-Pierre Meignan, président de l’antenne sarthoise de France Alzheimer. Il y a eu des décisions que l’on pourrait qualifier de maltraitantes pour les résidents, où ils se retrouvaient derrière une paroi en double vitrage sans pouvoir entendre leurs proches », dénonce-t-il, déplorant les limites de la participation des personnes âgées dans les Ehpad, directement liées à leur état de santé.

Pour Véronique Ghadi, directrice de la qualité de l’accompagnement social et médico-social à la HAS, la question de la participation des personnes âgées constitue bien un problème de fond. Contrairement au milieu du handicap, qui travaille de longue date sur le recueil de la parole, « dans les Ehpad, la réflexion sur la participation des personnes accompagnées a été probablement moins poussée car on s’y appuie davantage sur les proches des personnes âgées », souligne-t-elle. « Or les travaux sont unanimes sur le fait que le point de vue de la personne est à distinguer de celui des proches. Il ne faut jamais renoncer à faire participer ces personnes. »

Mais, au-delà des Ehpad, la participation des personnes accompagnées donne en réalité du fil à retordre à tous les secteurs. « L’opposition à la participation n’est pas frontale, décrypte Adrien Breger, chargé de mission travail social et participation à la Fédération des acteurs de la solidarité. Mais elle peut se voir dans certains actes au quotidien. Par exemple, dans le cas d’une modification d’un règlement intérieur interdisant les visites de tiers, pour lequel obtenir l’avis des personnes concernées n’est pas toujours jugé nécessaire. » Daniel Maciel, de la Fondation des Apprentis d’Auteuil, relève : « Parmi les freins, les établissements soulignent le problème du temps qu’exige la participation. » Problèmes de langue, sujets trop techniques ou peu mobilisateurs, faible motivation à participer, timidité… pour expliquer les difficultés des CVS, la question des capacités des publics accompagnés revient vite sur le tapis.

Sur-mesure

Autant de faux problèmes, selon les professionnels les plus convaincus, qui tentent de repousser les limites rencontrées en adaptant les conseils de vie sociale aux personnes, et non l’inverse. L’usage du français facile à lire et à comprendre (Falc), de formats vidéo valorisant l’oralité, mais aussi le recours à des travailleurs pairs venant jouer les intermédiaires sont autant de voies prometteuses pour faciliter le fonctionnement des CVS. Pour Claire Hugenschmitt, administratrice du Gepso (Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux), il est possible et souhaitable d’associer tous les usagers, même sur des sujets institutionnels a priori abstraits. Expliquer le pourquoi du budget à un mineur constitue un bon début. « Des choses très intéressantes peuvent ressortir, pour peu que l’on recueille l’avis des personnes, de manière formelle ou informelle », ajoute Claire Hugenschmitt, citant le cas d’« une gamine qui se plaignait de ne pas avoir le droit d’inviter ses copines » en foyer. Un sujet en réalité loin d’être anodin, en ce qu’il touche au degré d’ouverture des établissements sociaux sur l’extérieur. Or force est de constater que, de ce point de vue, « on n’est pas au niveau ».

Ce travail suppose que les établissements fassent du sur-mesure. « L’un des freins est la diversité des publics », souligne Laurence Callais, chargée de mission au Caps, qui prend en charge un millier de personnes en situation de handicap en Meurthe-et-Moselle. C’est la raison pour laquelle la structure, en plus du CVS, a créé des commissions spécialisées en fonction de la nature et du degré de handicap. Les délégués sont assistés de « conseillers techniques » bénévoles. En particulier, les personnes « non communicantes », polyhandicapées ou autistes, disposent d’une procédure adaptée : un questionnaire spécial mis à leur disposition leur permet d’exprimer leur avis, ensuite remonté auprès du CVS une fois par an. Bien qu’elle soit mise en place depuis des années, la participation des personnes accompagnées apporte toujours du nouveau. « La consultation sur le projet d’établissement a fait ressortir le besoin de pouvoir recevoir de la famille en foyer, ce qui est logique car nos publics deviennent parents », souligne Laurence Callais. Résultat ? Un logement d’accueil des familles est en cours d’aménagement, tandis que les suivants « sont en cours de réflexion ».

Le numérique pour repousser les obstacles

Malgré la pandémie, certains conseils de la vie sociale (CVS) ont pu se poursuivre à distance, grâce aux outils numériques. Mais du fait de problèmes techniques ou de l’illectronisme de certains usagers, l’expérience a pu s’avérer décevante. Pour autant, « dans certains cas, organiser la consultation des CVS à distance a pu faciliter la participation de personnes qui n’avaient plus à se déplacer pour participer à la vie de l’instance », estime Véronique Ghadi, de la Haute Autorité de santé. « Notre conviction est que le numérique peut être une vraie source de progrès. Certains de nos établissements travaillent sur ce sujet afin d’identifier des utilisations possibles », souligne Pierre-Yves Lenen, directeur de l’offre de services chez APF France handicap, qui s’intéresse de près au développement des comptes rendus vidéo des CVS.

La participation par le dialogue social

C’est l’une des petites avancées de la loi du 14 décembre dernier pour le renforcement de l’inclusion par l’activité économique. Les personnes accompagnées par les structures d’insertion pourront siéger dans une commission destinée à les représenter. « Cette participation à la vie de l’entreprise est une formation à la vie salariale et professionnelle. C’est une voie de progrès importante en matière de participation », salue Coline Derrey-Favre, chargée de mission « emploi-IAE » à la Fédération des acteurs de la solidarité. La participation par le travail est aussi investie dans les Esat. S’ils ne sont pas concernés par cette loi car relevant du code de l’action sociale et des familles, certains établissements ont développé des instances analogues à celles du code du travail, a souligné un rapport de l’Igas publié en décembre 2019.

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