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L’art-thérapie, un soutien aux publics en difficulté

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D’une approche initialement médicale, voire strictement psychiatrique, l’art-thérapie est à présent utilisée dans de nombreux secteurs. A la croisée du social et du soin, elle est en plein essor. Mais que recouvre exactement cette discipline dont les bienfaits sont de plus en plus reconnus ?

Entre psychiatrie, travail social, médiation culturelle ou artistique… Quand on tente de définir ce qu’est l’art-thérapie, les frontières ont tendance à se brouiller. Certes, elle s’adresse à de nombreux publics en difficulté : tous ceux (enfants, adolescents, personnes âgées) pouvant être confrontés à des déficiences motrices ou cognitives, se trouver en situation de handicap, en soins palliatifs ou atteints de troubles mentaux, être victimes de violences… La discipline déploie aussi ses outils, qui vont des arts plastiques (dessin, peinture, modelage…) à la musicothérapie, en passant par la danse-thérapie ou la dramathérapie.

Si l’art-thérapie dite « traditionnelle » plonge ses racines dans les recherches menées à l’hôpital Sainte-Anne (essentiellement autour des interprétations des collages des patients), à Paris, lorsque le psychanalyste Jacques Lacan y officiait, celle qualifiée de « moderne » ne renie en rien les objectifs thérapeutiques de soins et de soutien assignés à cette discipline. « Il n’y a pas à opposer une démarche à l’autre », rappelle à ce propos l’art-thérapeute Martine Colignon, qui demeure néanmoins attachée à l’approche fondée sur la psychanalyse (voir page 14).

Développée en particulier dans les années 1970 à Tours autour de l’Association française de recherches et applications de techniques artistiques en pédagogie et médecine (Afratapem, appelée aussi Ecole d’art-thérapie de Tours), l’approche dite « moderne » se définit plus largement comme « l’exploitation du potentiel artistique dans une visée thérapeutique ». Il faut également citer l’Atelier d’expression plastique-Centre de formation à l’art-thérapie (Atepp-Cefat) Les Pinceaux, à Paris, qui se consacre depuis 1985 quasi exclusivement aux arts plastiques, en interrogeant plus spécifiquement la médiation plastique et l’expression. Bref, chacun reconnaît l’intérêt de mettre l’art au cœur d’une thérapie et de s’adapter à des publics et à des situations différentes. Interrogés, tous ces acteurs font d’emblée une distinction claire entre l’art-thérapie et ce qui relève d’activités de type ateliers d’arts plastiques à visée occupationnelle, ou encore d’apprentissage d’une technique artistique. En résumé, on ne participe pas à une séance d’art-thérapie comme on va à un cours de peinture.

Convier vers un ailleurs

« Le public peut être très varié », confirme Isabelle Bry. Educatrice spécialisée formée à cette discipline, elle a longtemps exercé au sein d’une maison d’accueil spécialisée (MAS) auprès d’enfants polyhandicapés. Dans ce cas, souligne-t-elle, « hors de question d’être trop cérébrale, mais on peut aller très loin dans la sensorialité, le toucher. Mon but est de leur permettre de s’emparer des matières. On travaille avec les capacités qui restent. » Une manière d’intervenir qui exige beaucoup de temps et de délicatesse. « D’une part, il faut laisser se déployer les ressentis et, d’autre part, permettre la connaissance mutuelle, mettre la personne en confiance. J’observe la façon dont la personne touche la matière, sa gestuelle, si cela se fait du bout des doigts, avec de la mise à distance ou, au contraire, si elle s’en empare littéralement. De là vient alors le choix du médium et la façon de travailler, car il ne s’agit pas de réaliser une production à tout prix : ce qui est important, c’est précisément ce qu’il se passe au cours de la séance. »

Pour la professionnelle, la réceptivité est primordiale : « Je n’hésite pas, lorsque la parole articulée est absente, à les baigner dans mon langage, à émettre des hypothèses, et ils m’aiguillent ensuite pour m’indiquer la voie vers laquelle ils souhaitent aller. » Un impératif, cependant : l’art-thérapeute doit toujours savoir où il se situe et dans quel cadre il se trouve. Un aspect sur lequel tous ces professionnels insistent. Il faut connaître sa place dans le dispositif afin d’être à l’aise et de ne pas être submergé par ses propres émotions. Le travail dans un service de soins palliatifs, par exemple, peut éprouver à l’excès l’art-thérapeute, qui excellera en revanche parmi des jeunes en difficultés.

Johanna Clemente, membre de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et éducatrice, s’est aussi formée à l’art-thérapie. Après une longue expérience en tant qu’éducatrice spécialisée dans un hôpital psychiatrique, elle a été durant deux ans en charge de séances avec des jeunes adolescents au sein d’une unité éducative d’activité de jour (UEAJ). « Donner forme à ce qu’ils avaient envie de créer était essentiel. L’art-thérapie, c’est les convier ailleurs, les sortir de leur univers habituel, les remobiliser », explique-t-elle. Quand bien même ces jeunes ont, d’eux-mêmes, renommé leurs séances « trafic d’art » en référence à leur passé.

« L’art-thérapie permet une expression de soi élaborée, qui les soulage de leur souffrance et les ouvre au monde. » Quelles que soient les fragilités, les difficultés, elle a une valeur très soutenante, et « en particulier pour les ados », constate celle qui est aujourd’hui formatrice à l’école de la PJJ. « Au détour d’une difficulté plastique, on peut les aider à la surmonter : par exemple, si la prise de risque est trop importante, comme cela peut être le cas d’un équilibre trop fragile d’objets empilés et encollés. Cela peut les renvoyer à leurs propres façons d’être. Je les interroge alors là-dessus, et on travaille, l’air de rien, sur cet aspect comportemental. » Pour Johanna Clemente, il serait donc réducteur de scinder l’art-thérapie de la médiation, puisque « les deux aspects peuvent avoir des bénéfices thérapeutiques ».

C’est d’ailleurs ce qu’expérimente actuellement Isabelle Bry au sein de la prison de Fresnes (Val-de-Marne), via un dynamique service pénitentiaire de probation et d’insertion (Spip). « Les détenus apprécient le travail de modelage car ce médium fait appel aux souvenirs d’enfance et, généralement, c’est une époque à laquelle ils restent attachés de façon positive, précise-t-elle. C’est à peu près là qu’ils ont interrompu leur scolarité. Du coup, je fais confiance à l’argile, qui a aussi l’avantage de réduire la distance entre la personne et le médium. »

Une ouverture sur soi

Lorsqu’on vit vingt-trois heures sur vingt-quatre dans une cellule de 9 m2, se retrouver, lors des séances, dans un autre lieu qu’avec ses codétenus suscite inévitablement des temps d’échanges, voire des débats. « J’estime que ces moments font partie intégrante de l’art-thérapie », ajoute Isabelle Bry. Une ouverture sur des possibles, selon les contextes et les publics, c’est aussi cela, l’art-thérapie. Mais hors de question d’être directif. Le « syndrome de la page blanche » (« qu’est-ce que je vais pouvoir faire ? ») fait pleinement partie des aléas à surmonter ou à contourner et « appartient au processus thérapeutique visant à retrouver un élan, un”aller-vers” », pointe Johanna Clemente.

Parmi les publics adressés, il arrive fréquemment que l’histoire personnelle n’ait pas pu favoriser l’épanouissement et que l’imaginaire soit assez pauvre. C’est en particulier le cas avec les détenus. « J’apporte de gros classeurs avec des images de mangas, d’animaux, toutes sortes de choses, afin de faire appel aux motivations de la personne, le “ce vers quoi elle souhaite aller”, en termes de réalisation. Cela les aide souvent », relate Isabelle Bry. Mais rien ne peut se faire rapidement. Pour que la rencontre avec la professionnelle s’établisse, que le lien de confiance se noue, le temps est essentiel. D’autant que la prison n’est pas un espace où les rapports sont lissés. Dans cet univers carcéral dur, parfois violent, les détenus qui participent aux séances doivent laisser de côté la manière dont ils se sont créés une place au milieu des autres codétenus et du personnel pénitentiaire, souvent en jouant les gros bras. « L’art-thérapie les aide à vivre d’autres aspects de leur personnalité. II est important pour eux de voir qu’ils peuvent réaliser quelque chose qui les valorise et les sort de leurs habitudes. Je garde d’ailleurs en mémoire la question de cet homme très grand et fort, une « baraque », qui me demandait : “Mais, madame, comment faire tenir les petites oreilles de la souris ?”, qu’il venait de modeler. »

Si beaucoup d’art-thérapeutes (très majoritairement des femmes) travaillent en institution sanitaires et médico-sociales, certaines sont indépendantes. Comme Adeline Fusillier, qui exerce en cabinet. Ses patients viennent sur place, principalement dans le cadre de l’association Dire et guérir destinée aux femmes victimes de violences sexuelles, à Loches (Indre-et-Loire). « Elles s’engagent personnellement dans une démarche thérapeutique en payant les séances comme elles iraient voir un psychologue. On peut passer, selon les besoins, d’un médium à l’autre, du mime à la peinture. L’essentiel est qu’après la parole échangée au sein de l’association, l’art leur permette aussi de récupérer une estime de soi, voire de révéler des talents », confie-t-elle.

Cette art-thérapeute libérale intervient aussi en Ehpad. Là, elle collabore avec l’équipe paramédicale. « Ce qui encadre l’art-thérapie, ce sont les objectifs assignés en réunion pluridisciplinaire. Quand on a affaire à des personnes qui ont des difficultés motrices, on constitue des groupes particuliers avec des objectifs précis. Mais quand il s’agit de stimuler plutôt les capacités cognitives, on travaille davantage sur la concentration et la recherche de motivations. Pour d’autres personnes âgées, il s’agira de privilégier le relationnel, de favoriser les échanges car certaines auront tendance à se refermer sur elles-mêmes. »

Si quelques études ont pointé l’efficacité de l’apaisement de la douleur par la musique (musicothérapie) ou d’autres effets positifs, notamment en psychiatrie, une étude publiée en octobre 2020 montrait, pour la première fois, une baisse significative des médications prescrites associée à une activité artistique chez des patients participant à des séances d’art-thérapie au sein de l’équivalent canadien d’un Ehpad. Deux groupes avaient été constitués : l’un exerçant une activité de peinture sur canevas (par groupe de quatre personnes, plus un intervenant et un stagiaire), l’autre non. Une baisse de la mortalité et une amélioration de la santé qui, selon les auteurs de l’étude, pouvaient être reliées à une hausse du bien-être émotionnel. Mesuré par un protocole, celui-ci était généralement associé à une baisse du risque de contracter une pathologie et un temps de guérison plus court après une maladie, voire un accident. « Les bénéfices de l’art-thérapie étaient déjà reconnus, mais essentiellement du point de vue de la santé mentale », observe Olivier Beauchet, neurologue et gériatre, qui a dirigé cette étude. Est-ce encore de l’art-thérapie ou y a-t-il là une confusion avec les ateliers d’art et la médiation artistique ? La question n’est pas abordée. En revanche, le bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé (OMS Europe) a reconnu, en novembre 2019, que l’art sous toutes ses formes était propice à la santé mentale et physique.

Des origines à nos jours

Utilisée dans le champ du soin et de la prévention, l’art-thérapie est une méthode qui consiste à créer les conditions favorables à l’expression et au dépassement des difficultés personnelles par le biais d’une stimulation des capacités créatrices. Certes, l’art-thérapie peut être reliée à la catharsis, considérée comme une thérapie lors de la pratique théâtrale de la Grèce antique, ou encore à la musicothérapie, dont les bienfaits sur l’humeur étaient également reconnus dès cette époque. Elle trouve aujourd’hui sa place dans le cadre des troubles dépressifs et psychosomatiques, des conduites addictives, des problématiques alimentaires, mais aussi dans celui de pathologies plus sévères comme les psychoses, l’autisme ou le stress post-traumatique.

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