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Entre nos mains

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Trois petits coups discrets frappés à la porte. « C’est nous, Louisette, nous venons pour la toilette ! » Seul le silence nous répond.

Louisette nous attend sagement sur son lit, immobile et sereine, et seule la petite lampe de chevet éclaire la chambre triste. Je suis passée la voir il y a une heure et lui ai promis de revenir au plus vite. Je voulais être là, avec elle, pour ce soin. Mais avant, il me fallait attendre. Attendre le médecin, attendre la signature, attendre la collègue de nuit. Vous avez assez attendu Louisette. Maintenant, on peut y aller.

Je remplis la petite bassine d’eau chaude. Gants, serviette, savon. Tout est prêt. Nous nous plaçons chacune d’un côté du lit. D’habitude, je suis seule avec Louisette, mais ce soir c’est différent. Ce soir, la présence bienveillante de ma collègue me rassure. Elle a l’habitude, moi pas, elle me guidera.

Je commence par le visage. J’en connais chaque détail : le grain de la peau, les rides, le bleu délavé des yeux, les lèvres fines, les pommettes saillantes. Le gant en épouse délicatement les contours, s’attardant sur une commissure, effleurant les paupières. Sa peau est si fragile.

Je découvre le haut du corps, et les mots accompagnent tous mes gestes. Je savonne votre cou, Louisette, maintenant les bras, les mains, le ventre… Je rince, je sèche, je vous recouvre. Elle s’en fiche pas mal, Louisette, et même elle s’en contrefiche, de mes mots, de mes gestes, de tout. Mais c’est mon habitude de soignante, de décrire ce que je fais, surtout pour les gens qui ne parlent plus.

Voici venu le moment délicat. Allez, Louisette, vous vous tournez et vous allez dans les bras de ma collègue, je vais laver votre dos. Louisette est toute molle entre nos mains. Je fais au plus vite et au plus doux. Savonner, rincer, sécher par de petits tapotements sur la peau délicate. Toilette intime, protection, détail pas très flatteur mais indispensable, c’est bon, Louisette, vous revenez vers moi. La touche finale : une goutte de parfum au creux des poignets, ultime coquetterie dont vous ne vous passez jamais.

Les vêtements sont posés au pied du lit. Le pantalon lilas, le chemisier aux boutons de nacre… et des chaussettes bien chaudes, parce que Louisette a toujours froid aux pieds. J’ai un doute pour les chaussures. Pas la peine, me répond ma collègue, elles lui seront enlevées. Tant pis pour les jolis escarpins, ils rejoignent le placard. De toute façon, l’heure n’est pas encore aux derniers apparats. Ce soir, nous faisons dans la simplicité. Louisette est allongée bien à plat, vêtue d’une modeste chemise ouverte, le drap blanc estampillé « EHPAD » remonté jusqu’aux épaules.

Je vide la bassine, et je souris intérieurement devant un détail futile : j’ai utilisé de l’eau chaude.

Avant de refermer la porte, je regarde pour la dernière fois la vieille femme allongée sur ce lit, je veux emporter avec moi l’image du visage enfin apaisé de Louisette, de son corps étendu qui ne souffre plus, et m’emplir du silence qui couvre enfin la douloureuse plainte des dernières heures.

Adieu Louisette. Que la nuit vous soit plus douce que le jour.

La minute de Flo

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