Depuis le début du quinquennat, pas moins de 231 ordonnances ont été prises dans des sujets divers et variés : de la justice pénale des mineurs au fonctionnement dérogatoire des établissements médico-sociaux dans le cadre de la pandémie de Covid-19, en passant par la lutte contre le gaspillage alimentaire. Cela fait d’Emmanuel Macron, en l’état, le président de la République ayant eu le plus recours à ce mode de législation. Pour rappel, les ordonnances permettent au gouvernement de devenir législateur à la place du Parlement en prenant des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Elles sont prévues par l’article 38 de la Constitution.
Pour cela, le gouvernement doit tout de même demander l’autorisation du législateur grâce à une loi d’habilitation, votée comme une loi classique. Cette loi d’habilitation précise les modalités de la prise des ordonnances : sujet et délai. Une fois que les ordonnances sont publiées au Journal officiel, le gouvernement est ensuite censé faire voter un nouveau projet de loi dit de « ratification ». Dans l’esprit d’origine de la Constitution, cette loi permet de faire valider les mesures prises par le gouvernement par le Parlement. Mais dans la pratique, la ratification est rare.
Dans un contexte aussi particulier que celui de l’épidémie de coronavirus qui a fait naître 72 ordonnances prises dans une urgence extrême, la question de leur contrôle prend toute son importance. Dans une décision rendue le 16 décembre, le Conseil d’Etat tire les conséquences du revirement opéré par le Conseil constitutionnel en mai et juillet derniers. La décision est d’autant plus notable qu’elle est prise par la formation de jugement la plus solennelle du Conseil d’Etat : l’assemblée du contentieux.
En clair, la contestation d’une ordonnance non ratifiée pourra toujours être présentée devant le Conseil d’Etat, qui a le pouvoir de l’annuler. Une fois que le délai d’habilitation accordé au gouvernement par le Parlement est expiré, l’ordonnance devient un texte législatif en tant que tel, et ne peut donc plus être contestée devant le Conseil d’Etat. A ce moment-là, seule une question prioritaire de constitutionnalité pourra permettre de demander son annulation.
La principale nouveauté émise par le Conseil constitutionnel dans ses décisions de mai et juillet derniers porte sur le moment où une ordonnance passe dans le domaine de la loi. Dans son esprit, l’article 38 de la Constitution impose une loi de ratification pour que l’ordonnance prenne valeur législative. Avec leur revirement du 28 mai 2020, les Sages ont jugé que dépasser le délai d’habilitation était équivalent au vote d’une loi de ratification. Le Parlement devra donc être encore plus vigilant sur les habilitations qu’il accorde.
Conseil d’Etat, 16 décembre 2020, nos 440258, 440289, 440457 ; Conseil constitutionnel, décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020.