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La réinsertion par la responsabilisation

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Le Clubhouse Lyon aide des personnes atteintes de troubles psychiques sévères à retrouver une image positive d’elles-mêmes et à se réinsérer pas à pas dans le monde du travail. Un soutien singulier, qui passe par la pair-aidance et par le carnet d’adresses de l’équipe.

À la voir présenter l’endroit aux allures de start-up, ses espaces colorés dédiés (à l’emploi, la création et la communication) et son projet, on jurerait que Julie fait partie de l’équipe. Et c’est le cas : la jeune femme de 32 ans « travaille » depuis un an et demi au Clubhouse Lyon, association spécialisée dans l’accompagnement vers le rétablissement et la réinsertion de personnes vivant avec un handicap psychique sévère, à proximité de la gare de la Part-Dieu. « membre » active, Julie participe au fonctionnement quotidien de cette structure atypique, au même titre que les salariés du « staff », quatre chargés d’insertion et une directrice.

Après des années d’errance thérapeutique et la perte d’un poste à responsabilité dans une librairie, ses troubles psychotiques bipolaires ne sont plus, ici, un problème : au « club », pas de hiérarchie ni d’étiquette. Pas besoin non plus, quand on franchit le seuil, de parler de sa maladie ou de faire état d’une RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) : tout adulte concerné par la santé mentale au long cours – bipolarité, schizophrénie, dépression chronique… – peut adhérer, à la condition que son état soit stabilisé. A Lyon, 145 membres sont aujourd’hui inscrits, avec pour seuls frais demandés une cotisation annuelle de 20 €.

En France, ce type de troubles touche pas moins de 2 millions de personnes. Méconnus, tabous, stigmatisés, ils constituent le premier motif d’invalidité et le deuxième d’arrêt maladie. Comment aider les hommes et les femmes qui en souffrent à (re)gagner une activité tant sociale que professionnelle et à s’y maintenir ? Car travailler est possible pour la majorité des personnes atteintes de troubles psychiques. « Le travail est même un facteur de rétablissement privilégié, qui permet de lutter contre le sentiment d’auto­stigmatisation, très prégnant chez elles et de retrouver une identité positive », pointe le professeur en psychiatrie Nicolas Franck, responsable du centre-ressource de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive au centre hospitalier Le Vinatier, à Lyon. Pour lui, en ce second confinement, il n’était plus possible de transiger sur l’ouverture – interdite au printemps – des structures intervenant dans ce domaine.

A côté d’autres initiatives comme les SAVS (services d’accompagnement à la vie sociale) ou les Esat (établissements et services d’aide par le travail), la méthodologie proposée au Clubhouse est pour le moins singulière. Née aux Etats-Unis en 1948, elle a été initiée en 2011 à Paris, en 2017 à Bordeaux et à Lyon puis cette année à Nantes, et compte aujourd’hui 350 structures à travers le monde. Le modèle se situe hors de l’univers du soin : ici, pas de structure médicale ou socio-médicale qui tienne. Dans ce lieu de vie de jour à l’emploi du temps réglé comme une petite entreprise, tout repose sur l’entraide et la cogestion.

« La maladie n’est pas le sujet »

Staff, membres et direction, tous contribuent ensemble à l’intégralité des activités nécessaires à la vie et au développement de l’association : de la comptabilité à l’entretien, des ateliers de retour à l’emploi à la préparation des moments de convivialité, des interventions de sensibilisation au partenariat avec les entreprises… Et la voix de chacun pèse du même poids dans les décisions à prendre, qu’il s’agisse de recruter des nouveaux membres ou d’embaucher des salariés ! « On est vraiment au cœur du processus, raconte Julie. Rien n’est fait sans nous et tout se passe sur la base du volontariat, à la mesure des envies et des possibilités de chacun. »

En ligne de mire, l’« empowerment », c’est-à-dire le renforcement du pouvoir de décider et d’agir des membres. « La maladie, chez nous, n’est pas le sujet. Ce sont les médecins et les soignants qui s’en occupent à l’hôpital ou dans les structures idoines. Complémentaire, notre approche vise à aller chercher la partie saine de la personne, à valoriser et à mobiliser toutes les ressources en elle au moyen de différents supports (ateliers, élaboration de projets participatifs, moments de convivialité…) pour l’aider à sortir de l’isolement et à retrouver la vie la plus normale possible », indique Sandrine Plantier, directrice de la structure.

Ce processus global s’appuie aussi sur la force du collectif. L’une des modalités principales déployées au Clubhouse est la pair-aidance. Elle repose sur la conviction que les personnes vivant les mêmes troubles ont besoin de partager leurs savoir-faire, acquisitions et découvertes pour mieux affronter leur maladie. Le concept se développe aujourd’hui en France au sein des hôpitaux avec les patients « experts » ou « aidants », et perce petit à petit dans le champ du social, par exemple au sein des groupes d’entraide mutuelle (GEM).

« Ici, je me sens pris en compte comme quelqu’un de capable et j’ai pu me refaire des amis. Je sais aujourd’hui que j’ai de réelles qualités pour prendre ma vie en main et je retrouve des sensations que j’avais avant ma maladie », témoigne Guillaume, 37 ans, stoppé dans ses études et ses projets professionnels pendant dix ans par les troubles de la schizophrénie. A ses côtés, sa collègue et amie Patricia, 57 ans, le couve des yeux. Portée elle aussi « par les échanges très importants avec les autres membres et le staff sur nos parcours et nos vies », cette infographiste chevronnée, violemment licenciée après un épisode de bouffée délirante, découvre que « tout est à nouveau possible », y compris de maîtriser Internet ! En relevant ce nouveau défi, elle a pu faire profiter tout le club de ses cours de dessin pendant le premier confinement et s’est mise, depuis, en quête de galeries pour exposer ses toiles.

Pour favoriser ce cheminement à la fois individuel et collectif, l’encadrement du Clubhouse est à la fois très structuré et très discret. Le nombre des encadrants est volontairement réduit : environ un professionnel pour 25 membres. « L’enjeu est de parler en dernier, de laisser la place quand quelqu’un peut faire, d’étayer, d’encourager. Cette mise en retrait est nécessaire pour laisser aux membres un maximum d’autonomie et de liberté », précise Julien Lemasson, chargé d’insertion et de cogestion. « Une telle posture exige un savant dosage. Le risque, particulièrement en psychiatrie, est de verser dans le paternalisme, qui induit beaucoup de catastrophes et de chronicité, même si on essaie d’y renoncer aujourd’hui », complète Nicolas Franck. Pour asseoir cet équilibre, Julien Lemasson et ses collègues sont invités à se référer pour leurs pratiques aux « 37 standards », cadre éthique de l’action des Clubhouse élaboré par les professionnels du réseau et réévalué chaque année. Mais aussi à échanger autant que de besoin entre collègues, même s’il n’existe pas formellement de réunion d’équipe. Et, chaque mois, un temps de supervision individuelle est également prévu avec une psychologue.

Axe premier : La réinsertion en entreprise

Autre caractéristique de taille, le staff ne compte pas de travailleurs sociaux, même s’il les accueille volontiers à l’occasion de soirées-rencontres destinées aux « professionnels de santé ». « La volonté du fondateur de Clubhouse France a été d’éviter les profils d’éducateurs pour privilégier des profils plus transversaux et polyvalents, axés sur la réinsertion en entreprise », précise la directrice. Un niveau de formation minimal des staffs au handicap mental (deux journées autour des stigmatisations liées aux troubles psychiques et un cycle de formation aux premiers secours en santé mentale) ainsi qu’une connaissance non systématique des pathologies des membres interpellent. De tels facteurs ne limitent-ils pas l’accompagnement ? « Au contraire ! On offre un regard sans a priori. Seules comptent l’observation attentive des contraintes qu’engendre la maladie et les solutions que l’on peut trouver ensemble pour avancer avec elle. On est là pour jouer un rôle de passerelle », explique Julien Lemasson, auparavant commercial chez Gore-Tex avant de rejoindre l’OCH (Office chrétien des personnes handicapées). De quoi « donner beaucoup à réfléchir au travail social », estiment Sarah Elchinger et ses camarades étudiantes en première année à l’école lyonnaise d’assistantes sociales Rockefeller, venues rencontrer l’équipe. Tout en étant conscientes que l’accueil de personnes déjà bien avancées dans leur rétablissement favorise sans doute ce positionnement, moins évident là où l’accueil est inconditionnel…

« Dérouler les possibles »

Conjuguant « le meilleur de l’associatif et de l’entreprise », les chargés d’insertion du Clubhouse Lyon mettent la diversité de leurs expériences et de leurs réseaux au service du retour des membres vers le monde professionnel. Cet accompagnement se fait à la fois dans un cadre individuel – chacun est référent d’une trentaine de membres – et dans la proposition d’ateliers collectifs. « Nous avons un public très éloigné du monde du travail, souvent sorti des radars de Pôle emploi, qui n’a, pour la majorité, soit jamais travaillé, soit pas travaillé depuis des années », indique Sandrine Plantier.

Entre « jobcoaching » et accompagnement social, l’objectif est de cheminer pas à pas avec chacun, pour l’aider à trouver un logement, se renseigner sur ses droits, prendre contact avec un assistant social, se rendre à des rendez-vous professionnels si nécessaire… Sont également proposées des journées d’immersion en entreprise, ainsi que des périodes de stage qui peuvent déboucher sur un contrat à durée déterminée, voire indéterminée, avec la possibilité pour le membre et son entreprise de continuer à être suivis par un staff du Clubhouse. « La clé, c’est d’éveiller l’envie et de dérouler les possibles, aujourd’hui plus que jamais, insiste Julien Lemasson. Avec la crise sanitaire, ils peuvent avoir l’impression que l’horizon se bouche. Notre job, c’est de leur faire voir l’après. »

Dans une période qui a jeté une lumière crue sur les besoins en matière de santé mentale, les entreprises engagées avec le Clubhouse pour de l’accueil en stage, du mécénat financier ou de compétences ont peut-être davantage perçu la nécessité d’un tel lieu et lui sont restées fidèles. Le fruit d’un travail de sensibilisation et de partenariat auquel s’emploie toute l’équipe via l’accueil de managers : 48 visites d’entreprises au Clubhouse en 2019, dont moins de cinq relevant de l’emploi protégé, l’organisation d’événements ou encore des formations en entreprise. « Il y a beaucoup à faire. Le handicap psychique fait peur aux entreprises et à la société en général, comme le faisait le handicap physique il y a trente ans. Mais en voyant les membres témoigner sans filtre de leur parcours, quelque chose se passe », constate Mathilde Buhot, bénévole au Clubhouse, recrutée depuis un an comme chargée de développement pour soutenir la recherche de nouveaux partenaires.

Cet « entrepreneuriat des membres dans leur rétablissement » a séduit Vincent Guillaumot, directeur général d’Archimed, un fonds d’investissement lyonnais spécialisé dans le biomédical, dont le partenariat d’abord financier s’est enrichi du volontariat de nombreux salariés et, désormais, de l’accueil d’un membre du Clubhouse sur un poste adapté. Sans oublier « la démonstration objective de son efficacité, avec des résultats assez exceptionnels », ajoute le dirigeant, prêt à jouer davantage encore le rôle d’entreprise de transition pour amplifier cette réussite.

Les résultats, justement : en cette fin d’année, 32 % des membres du Clubhouse de Lyon sont en activité, soit en emploi, soit en bénévolat. Sans compter une amélioration de la qualité de vie, avec une baisse pour la majorité d’entre eux des symptômes anxieux, du nombre d’hospitalisations et du taux de rechute. Si l’impact précis s’avère difficile à chiffrer, la réduction des coûts de prise en charge n’en est pas moins concrète : « Il faut compter environ 3 600 € par an pour un membre du Clubhouse, et entre 600 et 1 000 € par jour à l’hôpital, documente l’intarissable Julie. C’est un modèle de santé qui marche. » De quoi donner du grain à moudre pour les financeurs (moitié publics, moitié privés) de la structure, au budget annuel de 500 000 €. Et de nouvelles perspectives au club lyonnais, espère Sandrine Plantier, qui rêve de nouveaux locaux pour pouvoir répondre aux nombreux besoins, exacerbés par les deux périodes de confinement.

Reportage

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