Isolées dans les chambres, pendant des semaines entières sans contact avec leur famille ou leurs proches, parfois privées de soins et/ou de mort digne… L’organisation non gouvernementale (ONG) Amnesty International publie un rapport alarmant sur la situation des personnes âgées médicalisées dans les maisons de retraite en Espagne. Au moins cinq droits humains fondamentaux ont été violés pendant la pandémie de Covid-19, et les mesures adoptées par les autorités pour répondre à la crise ont été inefficaces et inadéquates, pointe l’ONG. « Dans les résidences, le droit à la santé, à la non-discrimination des personnes âgées a été violé. En outre, les décisions des autorités ont également eu un impact sur le droit à la vie privée et familiale et le droit de mourir dans la dignité », détaille Esteban Beltrán, directeur d’Amnesty International en Espagne.
Le principal facteur expliquant ce fiasco prend sa source dans la dernière décennie lors de laquelle des coupes budgétaires dans le sanitaire et le sociale ont affaibli en profondeur le système de santé publique, détériorant l’accès, le prix et la qualité des soins de santé. Des défaillances qui se sont révélées à Madrid ou en Catalogne au pic de la première vague de la pandémie (mars-avril). Selon Amnesty, la « médicalisation » vantée par les autorités espagnoles a masqué une exclusion massive des soins pour des résidents pratiquement coupés du monde extérieur et de leur famille. « Une urgence sanitaire n’est pas une excuse pour ne pas prendre correctement en charge des personnes âgées. Les résidences ne sont pas des parkings. Les droits de l’Homme, y compris le droit à la santé, ne peuvent dépendre du degré de dépendance. Les autorités doivent les protéger », ajoute Esteban Beltrán.
De nombreux témoignages donnent chair à cette situation dramatique, à l’instar de celui d’Elena Valero, qui a perdu son père en mars dans une résidence à Madrid. « Ils ne l’ont pas transféré à l’hôpital malgré son état grave. Il a passé quatre jours à mourir. Un médecin m’a dit qu’il avait l’interdiction de transférer les malades des résidences dans les hôpitaux, qu’il ne pouvait que leur donner de l’oxygène et des soins palliatifs. J’habite à 300 mètres de la résidence et chaque fois que je regardais le balcon, c’était horrible de savoir que mon père mourait si près et que je ne pouvais pas lui tenir la main, lui dire au revoir… » Un autre, relevé par le quotidien Le Monde du 3 décembre, cite le cas d’un homme resté pendant deux jours auprès de son compagnon de chambre, mort, avant que les services funéraires ne viennent le chercher.
Parmi ses recommandations prioritaires, Amnesty International insiste sur la nécessité de renforcer massivement les effectifs des Ehpad, constatant que durant la première vague de l’épidémie, il manquait parfois plus de la moitié du personnel. Lequel travaillait – comme dans de nombreux établissements français – dépourvu de tenues adéquates de protection, parfois même réduit à utiliser des sacs-poubelle. L’absence de réponse des autorités a cependant contrasté avec les efforts considérables consentis par ce même personnel de santé des maisons de retraite pendant ces mois, souligne le rapport, malgré des mesures inefficaces et un manque de ressources : « Grâce à ses efforts inlassables et à son dévouement, la situation de nombreuses personnes âgées dans les maisons de retraite a été plus humaine et, dans certains cas, elles ont pu recevoir de meilleurs soins. » Pour mémoire, le gouvernement central estime que près de 50 % des quelque 45 000 morts de la Covid-19 vivaient dans des maisons pour personnes âgées.