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“Pour les jeunes non qualifiés, l’insertion se dégrade”

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Les politiques d’insertion n’ont pas fait la preuve de leur efficacité. Pire, depuis quarante ans, la situation des jeunes non qualifiés se détériore. Une expérimentation, l’école des « Plombiers du numérique », semble porter ses fruits en allant à contre-courant des dispositifs classiques.
En quoi consiste l’école des « Plombiers du Numérique » ?

C’est une association issue d’une fondation philanthropique dont l’objectif est de construire des parcours d’insertion pour les jeunes « Neet »(1), qui sont parmi les plus précaires et les moins protégés par les institutions. L’école cherche à les mener à l’emploi à travers trois piliers : un accompagnement social renforcé, un enseignement technique fondé sur les gestes fondamentaux du métier de technicien « fibre optique » et une immersion professionnelle. L’expérimentation repose sur une intermédiation active rapprochant les employeurs de ces jeunes, qui représentent environ un million de personnes. Tous ne sont pas logés à la même enseigne mais, pour une partie d’entre eux, la situation se dégrade depuis quarante ans sur le marché du travail. Toutes les enquêtes montrent qu’ils sont lourdement pénalisés du fait d’être, à la fois, jeunes et non qualifiés. C’est d’autant plus prégnant que la société accorde un rôle extrêmement important aux diplômes, ce qui a un effet excluant pour les jeunes déscolarisés ou qui sortent du système scolaire avec des orientations par défaut ou sans diplôme.

La formation professionnelle et continue existante ne corrige-t-elle pas cette inégalité ?

Ils sont effectivement censés donner une deuxième chance à ces jeunes. Le problème est qu’ils sont calqués sur la formation initiale et valorisent la forme scolaire comme moyen et le diplôme comme objectif. Il est légitime en soi de vouloir élever le niveau de compétences de la population pour protéger du chômage et de la pauvreté, mais cela rend la formation professionnelle et continue souvent inaccessible à ceux ayant connu l’échec scolaire. Elle redouble l’exclusion pour les laissés-pour-compte de la course aux diplômes, au lieu de la corriger. Le pari des « Plombiers du numérique » est d’aller à contre-courant de cette tendance, puisque le dispositif dispense une formation non diplômante et non certifiante – en réalité, on pourrait dire « préqualifiante ». Sa logique ne repose pas non plus sur une individualisation des parcours qui responsabilise les individus. Elle interroge aussi les représentations d’une certaine partie de la jeunesse. Les jeunes « Neet » subissent une double peine. Ils sont disqualifiés et victimes de préjugés qui les stigmatisent car ils proviennent, pour la plupart, de quartiers prioritaires de la ville et de minorités.

Quelle est la spécificité de l’expérimentation que vous avez observée ?

La coordination entre acteurs est, en général, un maillon faible de l’action publique, où les parcours d’insertion ont tendance à se limiter à un accompagnement par les missions locales. Là, une méthodologie différente est développée et prise en charge en amont par des porteurs de projets et des acteurs industriels locaux en capacité d’assurer des débouchés concrets aux stagiaires. On sort d’un accompagnement qui devient sa propre finalité et qui consiste trop souvent à « occuper » les jeunes, à les maintenir dans un circuit administratif, dans des démarches, autrement dit dans une socialisation institutionnelle. L’intérêt des « Plombiers du numérique » est de montrer qu’il y a un ailleurs, un point de sortie en prise directe avec les entreprises ayant besoin de main-d’œuvre. Autre particularité la formation dure quatre mois, elle est donc courte par rapport à la norme dans ce secteur. Mais pour les jeunes que l’on a rencontrés, pris dans le temps court de l’intérim et des CDD à la semaine, voire à la journée, et dont la très grande vulnérabilité les empêche de se projeter sur du long terme, c’était déjà un horizon très long mais pas insurmontable. Cette temporalité est un point fondamental de l’intérêt de cette expérimentation.

Y a-t-il, Néanmoins, des limites à cette stratégie d’insertion ?

Il y en a trois, liées entre elles. La première est que cette formation ne doit pas devenir une démarche qui s’intègre dans une activation coercitive des personnes sans travail. Elle ne doit pas pousser les jeunes vers une activité dont ils ne voudraient pas, au risque de leur faire perdre leurs prestations sociales, comme on le voit parfois lors de refus d’offres d’emploi pour les allocataires du revenu de solidarité active. La philosophie du dispositif interdit ce type d’usage par les collectivités territoriales. Deuxièmement, sa vocation est vraiment de cibler les jeunes les plus éloignés de l’emploi et qui pourront, ensuite, s’engager dans des trajectoires individuelles plus qualifiantes. C’est un pied à l’étrier : à la sortie du dispositif, plus de 70 % d’entre eux ont un emploi. Cette condition, et c’est le troisième point, doit perdurer, le risque étant que des personnes qualifiées intègrent l’école et, en conséquence, se disqualifient. Ce type d’expérimentation apporte un contrepoint pratique à l’idée que le destin scolaire scelle le destin professionnel. Si le lien entre les deux n’est plus à démontrer, pour certains publics dans des situations spécifiques, il peut être pertinent de ne pas tout miser tout de suite sur le diplôme afin d’éviter les formes de rejet que ces jeunes ont pu connaître à l’école et dont ils parlent presque tous.

Faut-il revoir la politique de formation professionnelle des jeunes en France ?

Il faut compléter l’offre existante par des dispositifs plus accessibles à des jeunes très défavorisés. Ensuite, on a besoin d’expérimentations sociales stabilisées comme celle-ci pour questionner les choix collectifs et comprendre les angles morts des politiques d’insertion, qui inscrivent souvent le bénéficiaire, à son corps défendant, dans une condition d’assisté. Dans l’école des « Plombiers du numérique », la présence des employeurs ainsi que la mobilisation d’une équipe de formateurs dédiés crédibilisent la perspective annoncée de trouver un emploi. L’accompagnement ne tourne pas à vide. Par ailleurs, il y a dans cette formation un apprentissage des gestes sur un modèle proche du compagnonnage. A l’heure du tout numérique, c’est une reconnaissance du travail manuel et de la transmission directe de compétences techniques. Ce modèle expérimental met également en évidence l’importance d’une politique de la considération. Les jeunes de moins de 25 ans sont les plus touchés par la pauvreté monétaire, et la crise actuelle ne va rien arranger. Il faut définir des priorités d’action publique, et les jeunes « Neet » ont quelques bonnes raisons d’être considérés comme tels. Il ne suffit pas d’exonérer les entreprises de cotisations sociales pour qu’ils recrutent des jeunes, encore faut-il investir sur des dispositifs qui puissent apporter des solutions. Les « Plombiers du numérique » ne sont qu’une réponse à un problème beaucoup plus large et structurel. Sans compter qu’il ne faut pas opposer l’insertion professionnelle au versement du revenu de solidarité active à partir de 18 ans.

Coauteurs

de L’insertion professionnelle des jeunes non qualifiés (éd. Philantropy &Social Sciences Program/Impala Avenir Développement, 2020), Nadège Vezinat et Nicolas Duvoux sont respectivement maître de conférences en sociologie à l’université de Reims-Champagne-Ardennes et professeur de sociologie à Paris 8, chercheur au Cresppa-LabTop.

Notes

(1) Not in Employment, Education or Training (« ni en emploi, ni en formation, ni en éducation »).

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