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La liberté d’aller et venir

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Si l’épidémie de Covid-19 a restreint le droit de circuler pour tous les citoyens, elle a particulièrement pénalisé les résidents des Ehpad, qui ont vu leurs déplacements et les visites de leurs proches limités.Car la liberté fondamentale d’aller et venir de l’usager d’un établissement ou service social et médico-social n’est pas absolue.

La liberté d’aller et venir donne le droit aux individus de pouvoir aller où ils le souhaitent, quand ils le souhaitent et comme ils le souhaitent. Néanmoins, cette liberté n’est pas générale et absolue et peut faire l’objet de restrictions.

Le Conseil constitutionnel a reconnu pour la première fois la valeur constitutionnelle de la liberté d’aller et venir dans une décision du 12 juillet 1979(1). Auparavant, l’institution ne rattachait pas cette liberté à un texte précis. A présent, il consacre un rapprochement avec les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789(2).

Comment cette liberté est-elle garantie dans les établissements accueillant des personnes âgées, et dans quelle mesure peut-elle être restreinte ?

Le présent dossier se propose d’examiner ces questions en s’intéressant d’abord au contentieux lié à la protection de la liberté d’aller et venir.

I. Le contentieux de la liberté d’aller et venir

Le système juridictionnel français est dualiste : il se compose des juridictions administratives et des juridictions judiciaires. Le contentieux des atteintes à la liberté d’aller et venir relève en principe de la compétence du juge administratif. Cependant, dans certains domaines spécifiques, le juge judiciaire est compétent.

• Le juge administratif est compétent pour annuler ou réformer les décisions administratives qui viennent restreindre la liberté d’aller et venir.

A titre d’illustration, il peut statuer sur des recours tendant à l’annulation des décisions administratives relatives à l’entrée et au séjour en France des étrangers (C. const., 28 juillet 1989, n° 89-261 DC). De surcroît, le juge administratif est compétent pour connaître des requêtes en référé. Le justiciable peut ainsi former un référé suspension en vue d’obtenir la suspension de l’exécution d’une décision de l’administration qui atteindrait la liberté d’aller et venir s’il parvient à prouver qu’il existe une urgence et un doute sérieux quant à la légalité de la décision (code de la justice administrative [CJA], art. L. 521-1). Il peut également saisir le juge d’un référé-liberté à condition d’établir une urgence ainsi qu’une atteinte suffisamment grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir. Dans cette hypothèse, le juge des référés se prononce dans un délai de 48 heures et peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale (CJA, art. L. 521-2). A titre d’illustration, le Conseil d’Etat a la capacité d’enjoindre au préfet de restituer à une personne dont la nationalité était contestée les documents d’identité qui lui avaient été retirés en précisant que ce retrait portait une atteinte grave à la liberté personnelle et à la liberté d’aller et venir de l’intéressé et de sa famille (Conseil d’Etat, ord. 2 avril 2001, n° 231965).

• Le juge judiciaire, quant à lui, conformément à l’article 66 de la Constitution, est gardien de la liberté individuelle. De cette façon, il est par exemple compétent pour vérifier l’application des règles relatives aux contrôles, vérifications et relevés d’identité (code de procédure pénale, art. 78-1) ou pour statuer sur les recours formés contre les hospitalisations sans consentement (code de la santé publique [CSP], art. L. 3211-1 et s.). Il est également compétent pour connaître des litiges inhérents aux mesures d’assignation à résidence qui incluent une astreinte à domicile de plus de 12 heures par jour puisqu’elles constituent une mesure privative de liberté (C. const., 1er décembre 2017, n° 2017-674 QPC, paragraphe 15).

A noter : Depuis 2010, le Conseil constitutionnel est compétent pour statuer sur des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Ainsi, au cours d’une instance devant le juge judiciaire ou administratif, les justiciables peuvent contester la conformité de dispositions législatives aux droits et libertés que la Constitution garantit (art. 61-1). Après une décennie de fonctionnement, on observe que de nombreuses QPC ont été posées sur le dispositif de la garde à vue, les gens du voyage, les mesures d’assignation à résidence ou encore les mécanismes d’expulsion qui peuvent atteindre la liberté d’aller et venir. Cet outil juridique a permis de faire évoluer la législation dans ces domaines et de protéger la liberté d’aller et venir des individus sur le territoire français.

II. Aller et venir en établissement

La loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale a dressé une liste des droits des usagers accueillis dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux. Elle a aussi rendu obligatoire et formalisé un certain nombre d’outils pour permettre leur mise en œuvre.

A. Une liberté garantie…

Lors de l’admission dans un établissement, un livret d’accueil doit être remis au nouvel arrivant, accompagné d’une « charte des droits et libertés de la personne accueillie ».

Cette charte, annexée à l’arrêté du 8 septembre 2003 et mentionnée à l’article L. 311-4 du code de l’action sociale et des familles (CASF), est un des outils permettant d’assurer les droits fondamentaux de l’usager, dont la liberté de circuler librement : « Dans les limites définies dans le cadre de la réalisation de sa prise en charge ou de son accompagnement et sous réserve des décisions de justice, des obligations contractuelles ou liées à la prestation dont elle bénéficie et des mesures de tutelle ou de curatelle renforcée, il est garanti à la personne la possibilité de circuler librement. A cet égard, les relations avec la société, les visites dans l’institution, à l’extérieur de celle-ci sont favorisées (Charte des droits et libertés de la personne accueillie, art. 8).

L’établissement doit donc garantir à ses résidents la possibilité de circuler librement. Mais cette liberté d’aller et venir peut être limitée par le directeur de l’établissement, sous certaines conditions.

B…. Avec des limites

1. L’état de la personne

La loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement a permis de limiter la liberté d’aller et venir dans les établissements et services accueillant des personnes âgées.

La loi a créé un nouvel article L. 311-4-1 dans le CASF, qui précise que toute limitation à la liberté d’aller et venir dans les établissements et services accueillant des personnes âgées doit être proportionnée et rendue nécessaire par l’état de la personne.

L’établissement peut donc prendre des mesures particulières « pour assurer l’intégrité physique et la sécurité de la personne et pour soutenir l’exercice de sa liberté d’aller et venir. Ces mesures ne sont prévues que dans l’intérêt des personnes accueillies, si elles s’avèrent strictement nécessaires, et ne doivent pas être disproportionnées par rapport aux risques encourus » (CASF, art. L. 311-4-1).

A noter : Si des adaptations doivent être apportées, pour assurer la sécurité de la personne accueillie par exemple, elles doivent faire l’objet d’une annexe au contrat de séjour. Le décret n° 2016-1743 du 15 décembre 2016 relatif à l’annexe au contrat de séjour dans les établissements d’hébergement sociaux et médico-sociaux pour personnes âgées précise la procédure à suivre. Le texte indique que cette annexe peut être conclue « dès lors que des mesures individuelles visant à assurer l’intégrité physique et la sécurité du résident et à promouvoir l’exercice de sa liberté d’aller et venir sont prises par l’établissement ».

2. L’état d’urgence sanitaire

Lors d’une crise sanitaire, la liberté d’aller et venir des individus peut être restreinte par la mise en place de l’état d’urgence sanitaire par les autorités. La présente étude revient sur le régime de l’état d’urgence sanitaire et les différentes mesures prises qui ont impacté la liberté d’aller et venir des individus.

a) Le régime de l’état d’urgence sanitaire

L’état d’urgence sanitaire est une mesure exceptionnelle qui peut être prononcée sur tout ou partie du territoire en cas de « catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population » (CSP, art. L. 3131-12). Il est déclaré par un décret en Conseil des ministres. Au-delà de 1 mois et après avis du « comité de scientifiques », la prorogation de l’état d’urgence doit être autorisée par la loi (CSP, art. L. 3131-13).

Au cours de la période d’état d’urgence sanitaire, le Premier ministre peut prendre par décret des mesures visant notamment à (CSP, art. L. 3131-15) :

• réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l’accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ;

• interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ;

• ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement à leur domicile ou tout autre lieu d’hébergement adapté, des personnes affectées ;

• limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature.

• Ces différentes mesures portent une atteinte grave à la liberté d’aller et venir des individus. Toutefois, elles sont licites à condition d’être « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu » (CSP, art. L. 3131-15). Elles cessent de produire des effets à la fin de l’état d’urgence sanitaire.

b) Les mesures spécifiques au secteur social et médico-social

Dans le secteur social et médico-social, en vue de lutter efficacement contre la propagation de l’épidémie de Covid-19, différents plans d’intervention ont été mis en place.

Les plans « blanc » et « bleu »

Conformément à l’article L. 3131-7 du code de la santé publique, « chaque établissement de santé est doté d’un plan détaillant les mesures à mettre en œuvre en cas d’événement entraînant une perturbation de l’organisation des soins, notamment lors de situations sanitaires exceptionnelles. Ce plan lui permet de mobiliser les moyens de réponse adaptés à la nature et à l’ampleur de l’événement et d’assurer aux patients une prise en charge optimale. » Ainsi, tous les établissements de santé doivent avoir un plan blanc qu’ils déclenchent en cas de circonstances sanitaires exceptionnelles. Ce plan a pour objectif notamment de mobiliser les professionnels de santé et les moyens matériels nécessaires mais également d’adapter l’activité médicale de l’établissement.

Dans les établissements sociaux et médico-sociaux comme les Ehpad ou les établissements pour personnes handicapées, il existe un plan bleu – créé suite à la canicule de 2003 – qui prévoit les modalités d’organisation du service en cas de crise sanitaire ou climatique. Il est établi sur la base d’un cahier des charges prévu par un arrêté du 7 juillet 2005(1).

Au moment de la crise sanitaire en mars dernier, les plans blanc et bleu ont été déclenchés sur l’ensemble du territoire. De cette façon, des mesures restrictives ont été mises en place pour faire face à l’épidémie de Covid-19. A titre d’illustration, les visites de personnes extérieures aux établissements ont été fortement restreintes voire suspendues. Ces mesures ont notamment drastiquement restreint la liberté d’aller et venir des résidents et de leur famille. Le personnel des Ehpad a ainsi tenté de maintenir un contact régulier avec les proches des résidents isolés en utilisant la visioconférence, les mails ou encore les courriers papier traditionnels.

Le plan de lutte contre l’épidémie de Covid-19 dans les établissements hébergeant des personnes à risque de forme grave de Covid-19

Les autorités sanitaires ont présenté, le 1er octobre dernier, un plan de lutte contre l’épidémie de Covid-19 dans les établissements sociaux et médico-sociaux. Il a par la suite été mis à jour à plusieurs reprises en raison de la dégradation de la situation épidémique.

Ce plan rassemble des recommandations nationales en vue de lutter efficacement contre l’épidémie de Covid-19. Il revient ensuite aux directeurs d’établissement, au regard de ces recommandations et après consultation des équipes soignantes, de prendre localement les décisions adaptées à leur situation.

Le plan recommande ainsi d’activer ou de réactiver les plans bleus et d’échanger régulièrement avec l’agence régionale de santé (ARS) afin que les mesures soient le plus ajustées. Il est également conseillé, en l’absence de médecin coordinateur, de désigner un « référent Covid-19 » chargé du suivi de la gestion administrative de l’épidémie.

En outre, il est rappelé que l’ensemble des personnes accompagnées et de leur famille doivent être régulièrement informées des modalités de mise en œuvre des mesures de gestion décidées par la direction des établissements.

La gestion des visites extérieures

Les autorités sanitaires reviennent par le biais de différents protocoles sur le cas particulier des visites dans les établissements sociaux et médico-sociaux.

Lors du premier confinement en mars dernier, les visites dans ces établissements avaient été suspendues. De nombreux résidents avaient effectué des réclamations auprès du défenseur des droits pour se plaindre de la limitation du nombre de visites de proches et de la restriction des possibilités de sortie. En effet, cette situation a accru l’isolement de ces personnes ce qui a eu des conséquences négatives sur leur bien-être mais également sur leur état de santé (défenseur des droits, avis n° 20-10 du 3 décembre 2020).

Dans le cadre de la seconde vague de l’épidémie, et après avoir pris connaissance des difficultés précédemment rencontrées, les autorités sanitaires ont décidé de maintenir les visites des familles afin de conserver et d’entretenir un lien social. Néanmoins, afin d’éviter tout risque de contamination, les visites sont encadrées par des consignes sanitaires strictes. Pour éviter toute difficulté, les modalités d’organisation des visites doivent être régulièrement portées à la connaissance des familles des résidents.

Le protocole établi par les autorités sanitaires prévoit « 10 consignes clés » à respecter lors des visites. A titre d’illustration, on retrouve notamment les mesures suivantes :

• les visites doivent être organisées sur rendez-vous et il est possible de limiter le nombre de visites par résident ;

• les visiteurs doivent s’inscrire sur un registre et signer une charte de bonne conduite par laquelle ils s’engagent pendant toute la durée de leur visite à respecter les gestes barrières et porter un masque ;

• les établissements doivent prévoir des espaces spécifiques dédiées aux visites qui seront nettoyés entre chaque visite ;

• lorsque les consignes sanitaires ne sont pas respectées, la direction des établissements peut suspendre les visites.

Dès la survenance d’un cas de Covid-19, les visites sont suspendues de façon temporaire dans tout ou partie de l’établissement concerné. Le protocole précise que les visites peuvent reprendre lorsque dans les 10 derniers jours aucun nouveau cas de Covid-19 n’est apparu. Dans cette hypothèse, il est nécessaire que les résidents disposent de moyens de communication avec leur famille (téléphone, visioconférence…). Des dérogations individuelles peuvent toutefois être acceptées dans certaines circonstances particulières (ex. : la fin de vie) après concertation collégiale avec l’équipe soignante.

A noter : l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) a publié un modèle de « charte des visites autorisées dans le cadre du Covid-19 ».

Depuis le 20 novembre dernier, les consignes sanitaires relatives aux visites ont été renforcées. Ainsi les visiteurs sont appelés à remplir un auto-questionnaire pour éliminer un maximum de risques de contamination. Il leur est également recommandé de se faire dépister en réalisant un test RT-PCR dans un délai de 72 heures avant leur visite ou, en cas d’impossibilité, un test antigénique en pharmacie le jour de leur visite. Par ailleurs, les autorités recommandent aux établissements qui en ont la possibilité de proposer aux personnes qui se rendent fréquemment auprès des résidents de participer aux dépistages effectués pour le personnel.

Textes internationaux

Droit international

La liberté d’aller et venir a progressivement été reconnue par une multitude de textes de droit international. A titre d’illustration, l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques précise que : « Quiconque se trouve légalement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence. » De même, l’article 2 du protocole 4 à la « Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales reconnaissant certains droits et libertés autres que ceux figurant déjà dans la Convention et dans le premier Protocole additionnel à la Convention » consacre la liberté de circulation.

Droit européen

La liberté de circulation a également été au cœur de la construction européenne. Au sein du traité de Rome de 1957, elle s’adressait uniquement aux ressortissants des pays communautaires qui exerçaient une activité salariée ou non salariée. Depuis le traité de Maastricht signé le 7 février 1992, le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres est étendu à tous les citoyens européens. Cette liberté a ensuite été intégrée à l’article 45 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Elle donne par exemple la possibilité aux citoyens de l’Union de travailler dans un autre pays de l’Union sans permis de travail.

L’accord de Schengen met notamment en place un espace de libre circulation des personnes entre les Etats signataires sans qu’un contrôle d’identité aux frontières ne soit systématique. Il prévoit toutefois une exception « lorsque l’ordre public ou la sécurité nationale l’exigent ».

Notes

(1) C. const., 12 juillet 1979, n° 79-107 DC.

(2) Voir notamment C. const., 9 juillet 2010, n° 2010-13 QPC..

(1) Fixant le cahier des charges du plan d’organisation à mettre en œuvre en cas de crise sanitaire ou climatique et les conditions d’installation d’un système fixe de rafraîchissement de l’air ou de mise à disposition d’un local ou d’une pièce rafraîchis dans les établissements mentionnés à l’article L. 313-12 du code de l’action sociale et des familles.

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