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Un suivi renforcé pour les jeunes en hôtel social

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En Seine-Saint-Denis comme dans d’autres départements français, des jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) sont hébergés, souvent faute de place ailleurs, dans des hôtels sociaux. Une situation particulièrement fragilisante pour certains d’entre eux, que le dispositif Fapi tente d’atténuer.

À 23 ans, Laurane Desrames Palmaro n’est pas beaucoup plus âgée que les jeunes qu’elle accompagne. Pourtant, l’éducatrice spécialisée de l’association Devenir l’affirme, elle occupe davantage un rôle de mère que de grande sœur au sein du Fapi. Ce dispositif, dont l’acronyme signifie à l’origine « fonds d’appui aux politiques d’insertion », a été transformé ici en « favoriser l’autonomie pour l’insertion ». Expérimenté depuis janvier 2019 grâce au soutien du département de la Seine-Saint-Denis, le Fapi est une action recherche qui propose un accompagnement éducatif renforcé en plus de celui de l’aide sociale à l’enfance (ASE). L’action du Fapi est focalisée sur les jeunes âgés de 16 à 21 ans pris en charge par l’ASE et hébergés en hôtel social. Ils sont 12 actuellement, dont un tiers de mineurs. « L’objectif premier est de récréer du lien car l’hôtel est le dernier lieu avant la rue », expose Jean-Philippe Ducros, chargé de mission et d’insertion du Fapi. Lequel met aussi sa casquette de sociologue pour expliquer : « Ces jeunes sont face à une situation d’échec. Cela peut être le leur ou celui des structures collectives. La plus-value du dispositif, c’est une écoute, mais aussi une présence physique puisqu’on va voir le jeune dans son hôtel et on l’accompagne dans ses démarches. »

« Mon quotidien ? Il est différent chaque jour », sourit Laurane Desrames Palmaro. L’énergique éducatrice sillonne le département en voiture pour aller à la rencontre des jeunes du Fapi : « On va prendre la température, parce que certains se sentent en insécurité dans leurs hôtels. » Elle les aide dans toutes les tâches, la gestion du budget, de l’administratif… Des questions plus pragmatiques se posent aussi. Ce matin-là, elle échange quelques mots au téléphone avec un jeune. « Il veut que je l’accompagne pour aller récupérer sa télé dans l’ancienne association où il était », raconte-t-elle. Puis son portable – accessoire indispensable – sonne à nouveau. « C’est quel tribunal d’instance ? […] Il manque quoi comme documents ? […] C’est bien le 4, le rendez-vous ? » L’éducatrice semble connaître par cœur l’agenda de tous les jeunes qu’elle suit. Ancienne animatrice, elle a été éducatrice de rue et a abandonné sa volonté d’intégrer la police – « trop répressif » pour travailler au plus près de ceux que l’on nomme « incasables »… « Avant, on les appelait les “TGD”, les jeunes en très grandes difficultés… C’est un terme qui me dégoûte. Quand je reçois leurs dossiers au Fapi, je les survole. Je préfère que ce soit eux qui me racontent leur histoire », commente-t-elle.

« On ne te lâche pas »

Parmi ces jeunes, il y a Théo(1). Ce jeune garçon de 17 ans a intégré le Fapi il y a un an. Actuellement, il est hébergé dans un hôtel du nord du département, son troisième en un an. « C’est nul, l’hôtel. Ma chambre est toute petite, c’est sale. » Enfoncé dans sa doudoune, les écouteurs vissés aux oreilles, Théo se confie. Il raconte sa vie en foyer jusqu’au jour où il a « pété un câble et cassé une voiture ». Le soir même, il a été placé à l’hôtel. Le jeune homme a abandonné le lycée mais suit une nouvelle formation et rêve d’être électricien. Le Fapi lui a-t-il apporté un soutien dont il manquait ? « Oui. Ce ne sont pas des amis, mais je les respecte parce que ce sont des grands », dit-il en toute sincérité, rappelant soudain qu’il n’est qu’un enfant. « Vous, je vous garde ! Si ça change, je ne viens plus », lance-t-il d’ailleurs aux éducatrices. Laurane Desrames Palmaro le rassure : « On reste là, on ne te lâche pas. »

Obtenir l’adhésion des jeunes est l’une des difficultés du dispositif. « Au début, le jeune ne comprend pas pourquoi il a deux éducateurs, un pour l’ASE et un pour le Fapi. Alors on essaie de distinguer un peu nos missions », détaille Jean-Philippe Ducros. Justement, au sein du Fapi, Théo a réussi à créer une relation de confiance avec la psychologue. Arrivée en juin dernier, Cansu Aliniak est employée à mi-temps sur la structure. La professionnelle spécialisée dans l’approche transculturelle et interculturelle met un point d’honneur à travailler d’abord la représentation du psychologue. « Il y a une vraie défiance envers les psy, expliquer ça peut permettre de débloquer certaines situations. Pour eux, si on voit un psy, c’est qu’on est fou. Mais tout le monde a besoin d’extérioriser ses affects ! explique-t-elle. L’accompagnement est très important, c’est un préalable pour s’insérer dans la vie. Ici, on a affaire à des jeunes qui ont une angoisse d’abandon liée à des histoires familiales souvent traumatiques, à quoi est venu s’ajouter le placement, qui est une nouvelle souffrance. » Les jeunes pris en charge endurent aussi des problèmes d’identité et de projection. Tout comme le confiait Théo, la psychologue relève dans plusieurs situations « un sentiment de solitude très fort et des changements difficiles à vivre, notamment d’éducateurs ou de référents ».

Éviter les sorties sèches

Rafik, lui, a 21 ans et est sous contrat jeune majeur jusqu’à la fin de l’année. Il assure avoir eu des difficultés avec l’ASE et avoir passé six mois sans référent. C’est lui qui a fait la démarche d’intégrer le Fapi. « J’appelais l’ASE et personne ne me répondait. C’était choquant ! », raconte-t-il. Ici, il trouve le contact régulier dont il a besoin : « Ils m’aident pour tout. Pour les documents, l’administratif, et c’est un soutien. » L’air solide, déterminé, mature, Rafik est de ces jeunes qui rêvent de suivre une formation et de valider un diplôme « pour être plus à l’aise ». En attendant, il vivote grâce à des petits boulots. « J’ai toujours connu que ça, alors j’essaie de rester fort et de m’en sortir. Mais c’est très difficile de trouver des repères, et l’hôtel, c’est pas un bon endroit pour vivre ni pour améliorer sa situation. » Pour Rafik, le contrat jeune majeur se terminera bientôt s’il n’est pas renouvelé. Un couperet qui signerait aussi la fin de sa prise en charge au Fapi.

Car c’est une spécificité du dispositif développé par l’association Devenir : la prise en charge est nécessairement corrélée à celle de l’aide sociale à l’enfance. Quand celle-ci s’arrête, le Fapi n’est plus censé les accompagner. Pourtant, Jean Philippe Ducros le rappelle, l’un des objectifs du dispositif est d’éviter les sorties sèches et sans solution. Une situation d’autant plus compliquée par la pandémie de Covid-19 et les confinements. « Pour ces jeunes déjà très isolés et souvent exclus de tout lieu de socialisation, le confinement est très difficile. Imaginez des jeunes enfermés dans une chambre toute la journée, sans contact ni Internet et parfois dans des hôtels en très mauvais état ! », alerte le professionnel. D’autant que certains d’entre eux sont victimes d’addictions et se retrouvent contraints de sortir pour trouver leur produit, au risque de se faire verbaliser. A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle. L’équipe, qui fonctionne normalement en accueil de jour, est désormais joignable 7 jours sur 7. Et il faut faire du sur-mesure, rappeler aux jeunes de sortir avec une attestation, garder un contact rapproché, s’assurer qu’ils peuvent se nourrir correctement. « Lors du dernier confinement, on a perdu de vue un jeune. Nous avions déjà eu du mal à le mettre en confiance. Il est sorti du dispositif », déplore le chargé d’insertion.

Favoriser l’autonomie « pour » l’insertion et non « par » l’insertion est une nuance qui a du sens pour l’équipe de l’association. « Pour moi, l’autonomie n’est pas un objectif, mais un moyen pour atteindre un objectif : l’insertion », argumente Jean-Philippe Ducros. Et d’ajouter : « Par exemple, nous avons ici un jeune qui a trouvé un CDI, mais au niveau administratif il n’était pas autonome. L’autonomie, c’est aussi de savoir mettre en place des liens. » Pour lui, la notion de réseau est essentielle. Et c’est là que le Fapi se révèle très important. « En fin de compte, on demande à ces jeunes qui n’ont plus de ressources et possèdent le moins de moyens de s’insérer plus vite. C’est une aberration complète », s’agace-t-il.

Le temps de l’administratif

D’autant que ce public a un accès limité aux droits communs. Educatrice spécialisée au sein de l’association Devenir, Chaneze Moussaoui ne dira pas le contraire. On la surnomme le « pitbull » de l’administratif – « parce que je ne lâche rien », plaisante-t-elle. Et pour cause : placée en renfort sur le Fapi, elle y porte un regard attentif sur la situation administrative de chaque jeune. Dans un grand tableau Excel, elle consigne : couverture maladie universelle (CMU), sécurité sociale, papiers d’identité… et fait en sorte que les démarches aboutissent le plus rapidement possible. « Mais dans l’administration, le temps, c’est le temps, on ne peut pas aller plus vite que la musique ! », admet-elle. Elle doit faire face à la frustration de certains jeunes qui aimeraient que leurs situations se débloquent plus vite, et le comprend. « Un jeune qui n’a aucun papier ne peut pas travailler. C’est plus qu’un frein, c’est un mur parce qu’il ne peut pas aller plus loin », conclut Chaneze Moussaoui.

En bientôt deux ans d’existence, les prises en charge ont connu des issues multiples. « Il y a autant de sorties possibles que de parcours différents. Certains ont quitté le dispositif, d’autres ont quitté l’ASE, d’autres encore sont insérés dans l’emploi », détaille Jean-Philippe Ducros. D’autres aussi ont basculé, au sein de l’association, sur le dispositif Ajir (accueil des jeunes vers l’insertion et le relogement), un service de suite qui accueille les 16-21 ans en studio ou en appartement tout en leur apportant une aide éducative individuelle renforcée. Ces derniers mois, l’équipe du Fapi a réussi à faire reconnaître son travail par l’ASE, avec qui elle entretient des relations régulières pour un meilleur suivi des jeunes. C’est le service du département qui oriente les jeunes vers le Fapi. Et trois mois après leur arrivée, un bilan est envoyé à leur référent : « On travaille en commun pour que le jeune s’en sorte », résume Jean-Philippe Ducros.

La formule demande encore quelques améliorations pour coordonner les actions, mais le département de la Seine-Saint-Denis a déjà accepté de prolonger l’expérimentation pour 2021. Et alors que des voix s’élèvent pour interdire les placements de jeunes de l’ASE en hôtel social, Yann Valeur, directeur du service de suite de l’association Devenir, argumente : « La réalité des placements à l’hôtel existe, en nombre. Alors qu’est-ce qu’on va faire ? Balancer ces jeunes en SAO [service d’accueil et d’orientation, ndlr] n’est pas non plus souhaitable, ce n’est pas là qu’ils vont pouvoir se stabiliser. Ce qu’il faut, d’abord, c’est qu’il n’y ait plus de jeunes dans des hôtels insalubres – c’est primordial – et, ensuite, qu’on pense ce passage-là comme temporaire. Il faut inventer des parcours de prise en charge qui n’existent pas encore et qui correspondent aux jeunes. En tout cas, ma grande ambition est qu’il n’y ait plus jamais de jeune à l’hôtel sans suivi renforcé. »

Mais, au juste, ces jeunes de l’ASE placés à l’hôtel, combien sont-ils ? Aucun chiffre officiel n’est communiqué, mais une mission a été confiée à l’Igas l’an dernier pour dresser un état des lieux complet, au niveau national, de la situation des mineurs hébergés dans des lieux non habilités.

Notes

(1) Les prénoms des jeunes ont été changés..

Reportage

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