Que faire des enfants et des adolescents si fracassés par leur parcours que les dispositifs classiques de l’aide sociale à l’enfance (ASE) s’avèrent défaillants ? Ces profils atypiques, ultra-minoritaires sans être rares, viennent questionner sans ménagement le cadre institutionnel (page 8). L’enjeu est pourtant colossal, et devrait être au cœur de notre projet de société. Car ces quelques milliers d’âmes abîmées peuvent, livrées en pâture à leurs blessures et leurs souffrances, devenir un véritable danger pour elles-mêmes. Les pathologies relevant d’une prise en charge psychiatrique sont nombreuses parmi ces jeunes. Mais aussi un péril pour la société tout entière. Car ces profils perdus et fragiles constituent une proie facile pour toutes les activités en marge de la loi : grande et petite délinquance, prostitution, voire terrorisme. Le destin des frères Kouachi – auteurs de la tuerie de Charlie Hebdo en janvier 2015 – vient nous le rappeler. Les deux terroristes ayant été élevés en institution à la suite du décès de leurs parents.
C’est une évidence, les procédures actuelles de l’ASE ne sont aujourd’hui pas suffisamment flexibles pour venir en aide à ces mineurs d’abord rejetés par leur famille, puis par les institutions. Est-ce à dire qu’ils sont, par nature, irrécupérables ? Ou bien qu’ils n’ont affaire qu’à des « incapables » refusant de reconnaître les besoins de ce public protéiforme si particulier ? Ni l’un, ni l’autre, évidemment. Mais il est troublant de constater que les méthodes de prise en charge efficaces sont exceptionnelles, territorialisées, et qu’elles sont portées par des travailleurs sociaux aussi acharnés que résilients. Car de nombreuses solutions existent (page 12), comme les séjours de rupture, qui confrontent les jeunes à leurs propres limites. Ou bien l’utilisation de méthodes éprouvées de longue date par les mouvements scouts. Ou encore le développement de structures de soutien aux institutions dans leur prise en charge de ces « incasables ».
Ces initiatives, pour se généraliser, doivent bénéficier d’un appui structurel puissant. Il ne peut être porté que par la puissance publique. Si le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a récemment salué une récente prise de conscience (page 14), il déplore l’absence d’une stratégie de long terme cohérente et le manque d’articulation entre l’action de l’Etat et celle des territoires, départements en tête.
Le Cese estime surtout que la seule approche comptable, qui prévaut actuellement, est aussi mortifère que vouée à l’échec.