L’introduction du portail social édition 2020 de l’Insee portant sur les conséquences économiques, sociales et sanitaires de la Covid en dit beaucoup sur la situation des jeunes à la sortie du premier confinement. Au premier semestre, 715 000 emplois ont été détruits, en particulier des emplois intérimaires souvent occupés par de jeunes salariés. L’Insee précise : “Les jeunes les plus à risque d’occuper ces emplois temporaires ont été particulièrement affectés. 9 % des 15-24 ans en emploi avant le confinement ont perdu leur activité, contre moins de 2 % des 40-65 ans.” La forte dégradation de la situation de l’emploi rend à l’évidence leur insertion sur le marché du travail plus difficile et plus longue, avec le risque de salaires plus bas, d’une dégradation des conditions de vie, de privations, de difficultés d’accès au logement – souvent le premier poste de dépenses des ménages précaires.
Les jeunes sont les premières victimes de cette crise économique et sociale. L’effondrement de l’intérim, des contrats à durée déterminée, des stages et des emplois saisonniers, conséquence directe du ralentissement économique, a pour effet de supprimer des centaines de milliers d’emplois disponibles pour les jeunes les moins qualifiés. Si cette situation témoigne d’une inacceptable précarisation du marché du travail, elle signifie aussi une chute brutale des ressources de toute une partie de la population non protégée du risque de chômage, en particulier dans les quartiers populaires. Avec un taux de pauvreté de 22 %, les 18-29 ans supportaient déjà avant la crise sanitaire une précarité financière nettement supérieure au reste de la population. Or les jeunes les plus vulnérables sont aussi les moins bien protégés du risque de pauvreté. Dès la création du revenu minimum d’insertion (RMI) en 1988, les moins de 25 ans ont été exclus de ce minimum social au motif du risque d’“oisiveté” et d’“assistanat”. Un argument repris aujourd’hui par l’exécutif, qui considère que les minima sociaux “désincitent” à la reprise d’activité. Pourtant, aucune étude sérieuse ne vient confirmer ce postulat. Les associations d’insertion font même le constat inverse : l’absence de ressources est un frein majeur à la recherche d’emploi et aux démarches d’insertion. Elle rend impossibles l’accès au logement et l’autonomisation. Pire, cette discrimination fabrique de la grande exclusion : jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance (ASE) dans l’impossibilité de se loger faute de ressources, jeunes sollicitant le 115 (qui constituent 20 % du public des sans domicile fixe hébergés), jeunes qui font la queue aux distributions d’aide alimentaire… Les associations de lutte contre l’exclusion alertent depuis des années sur ce défaut majeur de la protection sociale qui laisse sans ressources des centaines de milliers de jeunes contraints à toutes les privations et à des stratégies de survie lorsqu’ils ne bénéficient pas de la solidarité familiale.
La paupérisation de plus en plus visible des jeunes a contraint l’exécutif à agir ces dernières semaines, à travers l’annonce de plusieurs mesures. C’est d’abord le plan de soutien aux jeunes, dans le cadre du plan de relance, avec des mesures utiles de soutien des entreprises à l’embauche, d’encouragement à l’apprentissage et de relèvement du volume de la garantie jeunes. Puis l’annonce, dans une certaine confusion, du versement d’un complément de 150 € pour les jeunes bénéficiaires de l’APL (aide personnalisée au logement). Une première avancée saluée par la Fédération des acteurs de la solidarité, même si les associations ont immédiatement pointé le caractère temporaire de l’aide, versée une seule fois en novembre, alors que la crise est amenée à durer tout au long de l’année 2021. Puis le gouvernement a complété son dispositif fin novembre avec le versement d’une aide de 500 € aux jeunes accompagnés par les missions locales et Pôle emploi dans le programme Pacea (parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie) et en renforçant une nouvelle fois la garantie jeunes (200 000 mesures en 2022). Si l’effort est significatif, l’aide reste temporaire et l’empilement des mesures – au rythme des annonces successives – nuit à la lisibilité de l’ensemble et pourrait générer un fort non-recours et une difficulté de gestion, tant pour les services publics que pour les missions locales et les associations qui accompagnent ce public.
Surtout, la politique gouvernementale manque à nouveau une partie importante de sa cible : les jeunes les plus précaires, ne bénéficiant ni du RSA (revenu de solidarité active) ni des APL car ne disposant pas d’un logement les rendant éligibles à l’allocation et qui ne sont pas accompagnés vers l’emploi (via le Pacea ou la garantie jeunes). Ce public, difficile à quantifier et à cibler car non pris en charge par le système éducatif ni par les organismes sociaux, est bien connu des associations d’hébergement et de veille sociale : jeunes à la rue, en squat, en sortie de l’aide sociale à l’enfance, logés en centres d’hébergement ou chez des tiers de manière temporaire, parfois à l’hôtel. Selon l’enquête nationale des coûts (ENC) menée dans le secteur de l’hébergement en 2018, près de 50 000 jeunes seraient pris en charge dans l’hébergement généraliste. De nombreux jeunes sans abri qui fréquentent les accueils de jour, les lieux d’hébergement, les distributions alimentaires ou qui vivent dans des habitats de fortune, après des parcours chaotiques, sont donc toujours privés des aides d’urgence au moment où la précarité les met en danger. La fédération a proposé au gouvernement de mobiliser son réseau ainsi que d’autres acteurs tels que la prévention spécialisée, les missions locales, les structures spécialisées dans la prévention des risques liés aux addictions pour verser à ces jeunes des chèques-services permettant de répondre en urgence aux besoins essentiels.
Mais au-delà de la nécessité de répondre à ces besoins humanitaires en réparant les inégalités de traitement imposées aux jeunes les plus exclus, les associations demandent une refonte structurelle de la protection sociale afin de garantir un accompagnement et un droit à un revenu minimum décent pour tous les jeunes dès leur majorité. Cet impératif répond à une urgence sociale : l’empilement d’aides ponctuelles, aux conditions d’octroi toujours plus complexes, n’est pas de nature à apporter cette protection, au moment où nous craignons une flambée de la pauvreté en 2021. Et il n’est pas envisageable d’exiger des jeunes l’adhésion à un parcours d’insertion sans garantir des ressources stables permettant dans la durée de se loger et de répondre aux besoins vitaux, à un moment où l’accès à l’emploi est rendu quasi impossible pour les moins qualifiés. La concertation sur le RUA (revenu universel d’activité), interrompue depuis 2019, doit reprendre avec l’ambition d’apporter une sécurité sociale universelle dès l’âge de 18 ans, comme cela est le cas pour le reste de la population. Cela peut passer par l’ouverture de la garantie jeunes à tous les jeunes sans emploi ni formation ni ressources, en assurant des revenus équivalents au RSA le temps nécessaire à l’insertion professionnelle. Et 19 départements proposent d’expérimenter sur leur territoire un revenu de base ouvert aux jeunes. La concertation sur le RUA doit s’emparer rapidement de ces propositions et soutenir ces initiatives qui viennent du terrain, en complément de la mise en œuvre annoncée d’un service public de l’insertion.
Au moment où le pays s’interroge sur la montée des inégalités et la persistance des discriminations dans les quartiers, il n’est plus acceptable de maintenir une différence entre majorité civique à 18 ans et majorité sociale à 25 ans. Au final, c’est toute une partie de la jeunesse, en particulier celle qui vit dans les quartiers populaires et qui subit les effets les plus durs de la crise économique, qui se sent abandonnée. Il est grand temps de réparer cette injustice et de donner des perspectives d’émancipation et de sortie de crise à cette jeunesse. Pour que le désespoir ne se transforme pas en colère sociale.
Contact : www.federationsolidarite.org