Recevoir la newsletter

“Le secret de famille relève d’une organisation”

Article réservé aux abonnés

Enfant caché, double vie, drames familiaux, père repris de justice… Les secrets de famille ne sont jamais le fruit du hasard mais peuvent être dévastateurs pour ceux qui en sont victimes. Barbara Couvert explique comment ils se construisent.
À quoi peut-on deviner l’existence d’un secret dans une famille ?

Il existe des signes de toutes sortes : silences pesants, changements de conversation, incohérences et contradictions des récits familiaux, comportements exagérés… Par exemple, deux sœurs que les parents vont habiller exactement de la même façon pour montrer à quel point elles sont sœurs, sauf que c’est faux ; l’exhibition de tableaux généalogiques, sauf que le père n’est pas le fils de la lignée… Il y a aussi des gens qui savent sans savoir. J’ai rencontré une jeune femme passionnée par l’Italie que ses parents, très chrétiens, maltraitaient. Jusqu’au jour où elle a su qu’elle n’était pas la fille de son père et que son vrai père était italien. C’est comme s’il s’était passé quelque chose en creux qui l’avait mise sur la voie. Sa famille parlait de tout mais jamais de l’Italie. Dans les témoignages, les victimes de secrets de famille évoquent beaucoup l’intuition, le doute, le ressenti, autant de sentiments qui leur mettent la puce à l’oreille. Mais attention, tous les silences, tous les interdits ne sont pas des secrets. Et tous les secrets ne sont pas des secrets de famille. Le secret se reconnaît à la volonté délibérée de cacher un événement à quelqu’un et c’est ainsi qu’il se transmet.

Ce n’est donc pas forcément un non-dit…

Dans chaque relation, dans chaque famille, il y a nécessairement des non-dits car on n’a pas envie, pas le temps, on ne voit pas l’intérêt de tout dire. Il y a aussi des « non-entendus », par distraction ou manque d’écoute. Le secret, lui, résulte d’une décision, d’une organisation pratique et d’un réseau de complicités volontaires ou subies. Il produit une rupture entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Différents rôles prévalent dans la famille quand il y a un secret. Il y a les gens sur lesquels portent le secret, les gens qui font le secret et éventuellement qui l’imposent à d’autres en leur demandant de se taire. Le secret renvoie aux rapports de pouvoir dans la famille et peut s’accompagner de menaces. La personne sur laquelle porte le secret ne sera au courant de rien pendant des années, voire en restera prisonnière toute sa vie. Il y a aussi des individus qui ne veulent pas savoir. Or une famille n’est pas un petit groupe neutre. Les relations qui lient ses membres sont particulières. Ce sont des liens d’amour, de confiance ou pas, et de pouvoir. On en revient à l’éthique des relations qui sont mentalement structurantes.

Que dissimule-t-on le plus fréquemment ?

Evidemment l’adultère et les enfants adultérins, la délinquance criminelle, les condamnations de justice, les faillites ou la ruine, l’existence d’une famille parallèle… En somme, tout ce qui est socialement réprouvable peut être tu. Après, tout dépend des valeurs de l’auteur du secret et de ce qu’il considère blâmable. On peut cacher aussi la folie, l’inceste, le suicide, l’alcoolisme, la toxicomanie, l’homosexualité, une adoption… En réalité, les secrets de famille sont très variés. Parmi les mieux gardés aujourd’hui, on trouve le comportement des uns et des autres pendant la Seconde Guerre mondiale et à la Libération. Il est rare de viser directement quelqu’un par pure méchanceté. On peut affirmer à un enfant, par exemple, que c’était pour son bien mais, prioritairement, ce sont les auteurs qui se protègent de ce qui est honteux ou frauduleux pour eux. Un des signes consiste en ce que j’appelle les « énoncés-verrous » : c’est, par exemple, la mère qui assène : « Ton père a beaucoup souffert pendant la guerre. ». Elle bloque ainsi la discussion, et omet de dire qu’il était SS.

Comment découvre-t-on un secret de famille, quand on le découvre ?

Les façons de découvrir un secret de famille sont multiples, il suffit parfois d’une question anodine, d’une crise de colère. Mais souvent ce sont des circonstances particulières (mort, naissance…) qui contraignent à parler. J’ai un cousin qui a découvert que son père n’était pas son père le jour de son mariage en lisant le registre de l’état civil. Il y a aussi les copains de classe ou la voisine mal intentionnée qui lâche : « Ah toi, de toute façon tu as été adopté ! » Ce genre de situation fortuite est assez courant. Certains se libèrent d’un secret au moment de mourir. Les actes manqués, qui sont une manière d’exprimer ce que l’on ne veut pas dire mais que l’on pense très fort, se produisent aussi régulièrement, facilitant la divulgation d’un document, d’une lettre… Beaucoup de victimes d’un secret de famille sont poussées à entreprendre des recherches parce qu’un mal-être, des indices, des insinuations, une obsession, quelque chose qu’ils ne comprennent pas les y poussent. Enoncer le secret de famille est libérateur pour tout le monde, même si cela produit toujours un choc. Rétrospectivement, la révélation peut permettre de comprendre tel ou tel comportement. Pourquoi on a eu le sentiment de ne pas être aimé, moins bien traité ou, au contraire, mieux traité, comme cela arrive aussi. Néanmoins, certains aveux peuvent être très violents. Un ami a appris à un repas de Noël que sa sœur était en fait sa mère. Il a été dévasté. Sa solution a été de faire « comme si de rien n’était » car il n’avait plus rien à quoi se tenir.

Quelles sont les répercussions d’un secret de famille sur une personne ?

Le secret entraîne une sorte d’isolement de la personne sur laquelle porte le secret dans le sens où on ne se comporte pas exactement de la même manière avec elle. Si on cache à quelqu’un une partie de son histoire, cela impacte automatiquement son psychisme. S’il sent que quelque chose ne va pas – et les enfants sont intuitifs –, on va déclarer qu’il fabule et mettre en doute sa parole, son ressenti. Si c’est un parent qui a figure d’autorité sur lui, cela peut être très perturbant. Si en plus il y a de la maltraitance, cela peut rendre fou. De même que quand un secret est dévoilé, il peut engendrer aussi bien de la libération que de l’effondrement. Il n’y a pas de règle absolue. Toutefois, le point commun est que, en général, la personne s’aperçoit que tout le monde savait sauf elle. C’est sans doute un des effets de la révélation les plus douloureux. Cela peut détruire les relations. Tout dépend des familles. J’insiste, le secret de famille relève d’une organisation, ce n’est pas de l’inconscient qui plane. Il y a une contrainte sur les autres porteurs du secret qui se retrouvent involontairement ou non complices. A partir du moment où on ment sur l’identité d’un père ou d’un oncle, sur un événement familial marquant comme un emprisonnement ou un abandon d’enfant, tout un dispositif psychique et sociologique se met en place qui ampute le fondement identitaire de la personne à qui on cache. Des gens ont pu se retrouver internés en hôpital psychiatrique parce qu’ils auraient pu mettre en cause le secret. C’est meurtrier. Mais j’ai aussi rencontré des personnes sur lesquelles pesaient un secret qu’elles avaient réussi à connaître et qui étaient d’un équilibre psychique extraordinaire.

Gestalt-thérapeute

et psycho-généalogiste, Barbara Couvert travaille actuellement sur les liens transgénérationnels. Elle est l’auteure de Au cœur du secret de famille (Ed. Desclée de Brouwer).

Entretien

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur