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Architecture : des maisons de retraite ouvertes sur le monde

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Construits dans les années 1970 et 1980, la majorité des Ehpad souffrent de vétusté. Dès lors, comment s’y sentir bien ? Alors que le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit une enveloppe de 400 millions d’euros pour la rénovation et la modernisation des structures en 2021, des architectes travaillent depuis quelques années à des projets innovants, tournés vers la vie.

Longs couloirs froids, néons jaunâtres, murs gris, mobilier impersonnel et bon marché… La maison de retraite est souvent considérée comme le parent pauvre de l’hôpital. Selon une enquête du ministère de la Santé menée entre 2015 et 2016, parmi les plus de 75 ans, un tiers des résidents d’établissements sont en situation de détresse psychologique contre un quart des seniors vivant à domicile. Or le lien entre santé et habitat n’est plus à démontrer. Aussi, depuis quelques années, a émergé une réflexion globale autour de la manière dont on pourrait repenser les établissements d’hébergement pour personnes âgés dépendantes (Ehpad) afin que les résidents s’y sentent bien. Certains architectes ont pris le taureau par les cornes, au point que la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) organise chaque année depuis 2009 un concours destiné aux étudiants : une édition sur deux portes sur le thème « Imaginer la maison de retraite de demain ».

Les soins viennent aux patients

Les lauréats 2020 de la compétition, les jeunes architectes Camille Ghielmetti et Jacques Veyre de Soras ont repensé la maison de retraite en plaçant la mobilité et le paysage au cœur de leur projet. Leur Ehpad imaginaire est situé à Tours (Indre-et-Loire), en bord de Loire. Ils ont alors conçu l’idée d’un bateau-hôpital, une péniche investie par du personnel soignant qui naviguerait le long du fleuve de maison de retraite en maison de retraite. Ce sont les soins qui viennent aux patients, et non l’inverse. La fenêtre de chaque chambre donne sur le fleuve, les résidents peuvent s’adonner librement à la rêverie. Le concept est réplicable dans n’importe quelle cité fluviale. « L’âge de la contemplation nécessite de fabriquer des promenades et des haltes architecturales », expliquent les deux architectes.

Les nouveaux projets d’Ehpad intègrent désormais un espace extérieur : en sollicitant les cinq sens, le jardin a des vertus thérapeutiques sur les patients et aide à lutter contre les pathologies liées au grand âge, un concept théorisé par l’hortithérapie, qui a vu le jour en Amérique du Nord au XIXe siècle. Pour l’architecte Pascale Richter qui a mené plusieurs projets, « il faut se mettre à la place des personnes pour qui on dessine des espaces pour essayer de ne pas projeter ses propres fantasmes, il faut imaginer que la maison de retraite n’est pas une dernière demeure mais une maison que l’on habite, et un lieu qui doit préserver l’intimité tout en étant ouvert sur le monde, qui doit permettre de se sentir chez soi. Il faut imaginer un lieu vivant. »

Faire entrer l’air, la lumière et le paysage dans les établissements : des principes qui tranchent avec l’histoire architecturale de ces bâtiments, souvent inspirés du modèle panoptique des hôpitaux et des prisons qui permet au personnel de surveiller les résidents où qu’ils se trouvent. Pourtant, cette idée est loin d’être nouvelle. Dès le milieu du XIXe siècle, en Angleterre, on fonde les sanatoriums, dédiés aux tuberculeux. Conscient que l’air et le soleil aident à la guérison, le médecin prend en compte la relation entre le corps et l’environnement naturel. Mais dans la seconde moitié du XXe siècle, avec les progrès de la chirurgie, l’hôpital devient un lieu de diagnostic, de prescriptions, de recherches, de thérapies… Il doit répondre à un public plus large et plus urbain : la logique sanatoriale s’effondre.

Des résidents intégrés à la cité

Alors que plus de 40 % des résidents d’Ehpad ne sortent de l’établissement que pour des soins médicaux, selon une étude de 2007 du ministère de la Santé, les architectes recommandent d’implanter les Ehpad dans des lieux animés, situés au milieu de constructions locales, dans des quartiers vivants, à proximité de services. Il s’agit de placer les personnes âgées au centre de la vie active et ainsi leur permettre d’exister en tant qu’acteurs et spectateurs de la vie locale. Une tendance lourde qu’observe Olivier Paul, directeur adjoint de la direction des établissements et services médico-sociaux au sein de la CNSA : « Il ressort des projets d’Ehpad actuels une vraie réflexion sur la mixité entre les publics qui fréquentent un même lieu. Il faut éviter toute déconnexion et au contraire promouvoir une vraie intégration dans la cité. »

En août 2020, le premier village Alzheimer de France a ouvert ses portes à Dax (Landes), inspiré par une initiative similaire aux Pays-Bas. Le parti pris architectural est le suivant : la création d’un village pastiche permet aux résidents de gagner en autonomie, et donc en qualité de vie, et ceux-ci vivront mieux et plus longtemps. L’équipe de maîtrise d’œuvre franco-danoise Champagnat & Grégoire et Nord Architects a imaginé un village dont la vie s’organise autour d’un lieu central, la Bastide, qui propose un restaurant, une médiathèque, un auditorium, un pôle médical, un coiffeur, une supérette et même un terrain de pétanque et un potager. Autour s’articulent les quatre quartiers résidentiels. La maison de retraite ne doit plus être vue comme un lieu d’enfermement mais comme un espace de vie qui fait société. A Scherwiller (Bas Rhin), Pascale Richter a conçu un nouvel établissement main dans la main avec le maire de l’époque, Emile Barthel, lequel s’est battu pour l’implanter à l’endroit le plus central de la commune mais aussi pour qu’il dispose de chambres d’au moins 25 m2, au lieu des 19 m2 habituels, afin que les résidents s’approprient véritablement l’espace.

Le projet « calme » pour « comme à la maison en ehpad »

Aménager l’intérieur d’un Ehpad pour en faire une maison, transformer un lieu de soin en un lieu de vie, c’est l’objectif d’un collectif de spécialistes en design social. Marine Royer, designer et maîtresse de conférences en sciences sociales à l’université de Nîmes (Gard), François Huguet, sociologue, Sophie Krawczyk et Emma Livet, designers et cofondatrices de La Bobine, la première agence de design social française, ont élaboré un projet qui repense la vie en Ehpad. Le projet s’appelle « Calme », pour « Comme à la maison en Ehpad », et prend la résidence Le Dahlia, à Nîmes – qui compte une trentaine de pensionnaires – comme sujet d’études. Selon Sophie Krawczyk, « c’est un lieu très marqué par les signes de l’hôpital. Mais les personnes qui y vivent n’arrivent pas à s’approprier ce lieu. Au fur et à mesure des immersions, on s’est rendu compte que des résidents passaient beaucoup de temps à attendre dans la salle à manger. On a voulu créer des espaces plus accueillants qui aient de réelles fonctions. »

Parmi les expérimentations qui ont emporté l’adhésion des résidents, la transformation d’un petit salon en bistrot. Nappes vichy sur les tables, décoration aux murs, ambiance musicale en fond sonore… En réaménageant l’espace, les résidents se sont sentis à nouveau comme faisant partie de la société, « au point que certains ont proposé de payer leur café, comme s’ils étaient dehors ! », s’amuse Sophie Krawczyk.

L’approche du design social est aussi multidimensionnelle : elle prend en compte à la fois les conditions de vie des résidents mais aussi les conditions de travail des soignants ainsi que les conditions d’accueil des familles. A l’issue de leur expérimentation, les desi­gners ont rédigé un « kit de reproductibilité », auquel pourront s’inspirer d’autres établissements médico-sociaux. Pascale Richter abonde : pour que les résidents se sentent chez eux, le choix des matériaux est essentiel. C’est ainsi qu’elle a introduit le bois et les faïences vosgiennes typiques de la région dans l’extension de l’Ehpad Le Solem à Vagney (Vosges), qui s’inspire de l’architecture des fermes locales. « Une grande joie a été de se rendre compte que cette architecture a énormément apaisé les tensions qu’il y avait dans l’unité précédente », se félicite l’architecte.

Depuis 2011, la Mairie de Paris a intégré un guide de la « bientraitance architecturale » au cahier des charges des appels à projets de rénovation ou de construction d’Ehpad dans la capitale. Bâtir des maisons de retraite qui soient intégrées à l’environnement ainsi qu’à la vie urbaine et sociale alentour, repenser l’intérieur pour que les résidents s’approprient le lieu, reconnecter les besoins des résidents, des soignants et des familles, tout en utilisant des matériaux éco-responsables, valoriser les vertus thérapeutiques de l’architecture, tel est le challenge de l’Ehpad de demain. Lequel ne pourra voir le jour sans une volonté politique forte des collectivités territoriales.

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