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La vie, le vide

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J’aurais pu le quitter plus tôt. J’aurais dû. Mais je ne l’ai pas fait.

Après la première humiliation, je suis restée. Parce qu’il s’est excusé. Parce qu’il avait un peu trop bu. Parce que ses mots ont dépassé sa pensée. Parce qu’il est redevenu gentil.

Après la première gifle, je suis restée. Parce qu’il s’est encore excusé. Parce que « c’est la première fois que ça arrive », m’a-t-il juré d’un air désolé. Parce qu’il a juré de ne plus jamais recommencer. Parce qu’il avait l’air inquiet.

Après la première raclée, je suis restée. Parce qu’il était tard. Parce que j’étais chez lui. Parce qu’il a pris soin de moi. Parce que je n’avais pas été gentille. Parce qu’il était malheureux.

Après le premier viol, je suis restée. Parce que quand même, quand on aime quelqu’un, il faut lui faire plaisir, même si on n’a pas très envie. Parce que dans un couple ça fonctionne comme ça. Parce que j’étais fatiguée. Parce que nous étions chez ses parents. Parce que je n’allais quand même pas tout gâcher pour ça.

Petit à petit, j’ai accepté. Les humiliations, les gifles, les raclées, les viols. Parce qu’il s’excusait, parce qu’il me soignait, parce qu’il m’aimait, parce que, parce que, parce que…

Petit à petit, il a tissé sa toile autour de moi. Ses amis étaient mieux que les miens, sa famille était très présente, son travail était important. Tout, chez lui, était mieux que chez moi.

Petit à petit, je me suis laissé prendre dans sa toile. Un renoncement, puis un autre, à coups de caresses et de gifles, à coups d’insultes et d’excuses.

Petit à petit, je me suis engluée, bercée par ses promesses, parce que nous étions faits l’un pour l’autre, parce qu’il ne pouvait pas vivre sans moi, parce que si je le quittais il ne s’en remettrait pas, parce que, parce que, parce que… Toujours une bonne excuse, toujours une belle parole, et moi, je le croyais, je l’excusais, parce qu’il allait changer, parce que ça n’était pas vraiment lui, parce que je devais y mettre du mien, parce que, parce que, parce que…

Petit à petit, le piège s’est refermé. Le mariage, les enfants, la vie.

Petit à petit, il ne s’est plus excusé. La vie, la violence, le silence.

Le vide.

Et il y a eu Florine.

Florine, ma belle-sœur, qui regardait ailleurs quand son frère m’humiliait, qui changeait de pièce quand il buvait, qui riait avec les enfants quand le ton montait. Florine, assistante sociale, qui voyait la violence partout, mais pas chez moi, qui entrait dans toutes les maisons, mais pas dans la mienne, qui connaissait la vie de tant de femmes, mais pas celle de sa belle-sœur.

Un jour, Florine a vu le bleu sur mon épaule, la peur dans les yeux des enfants et la fureur dans les poings de son frère.

Ce jour-là, Florine n’a pas regardé ailleurs, elle n’a pas changé de pièce, elle n’a pas emmené les enfants jouer dehors. Florine s’est dressée face à son frère, entre lui et moi, contre lui et pour moi.

Ce jour-là, Florine a découvert notre vie, sa violence et mon silence. Le vide.

Ce jour-là, Florine m’a raccompagnée chez moi, a fait mes valises et celles des enfants, et m’a emmenée chez elle.

Ce jour-là, Florine m’a sauvée.

La minute de Flo

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