Recevoir la newsletter

Un métier capital mais trop peu considéré

Article réservé aux abonnés

L’intervention du psychologue dans les Ehpad s’est considérablement développée ces dernières années. Il doit à la fois travailler avec les résidents, les familles et les autres professionnels de la structure. Pourtant, faute de moyens, il n’est que rarement présent à temps plein. Ce qui complique grandement sa mission.

L’avancée en âge n’est pas chose facile. Entre la perte de certaines facultés physiques et/ou intellectuelles, la sensation de solitude, les deuils de proches qui s’accumulent, les personnes âgées souffrent. Souvent, plus psychologiquement que physiquement. Si elles ont tendance à moins s’en plaindre que d’autres, le phénomène est connu. Et à surveiller. C’est pourquoi la présence d’un psychologue est obligatoire en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Depuis la réforme de la tarification des Ehpad en 1999 (arrêté du 26 avril 1999), ce professionnel fait partie intégrante du projet de vie des établissements. Pour exercer, il suit une formation universitaire classique en neuropsychologie ou en psychologie clinicienne. S’il existe des masters spécialisés en « psychologie du vieillissement » ou en « psychogériatrie », il faut, a minima, au préalable, avoir fait un stage en structure. « Je n’imagine pas quelqu’un qui n’a pas été formé aux démences ou aux pathologies du vieillissement arriver dans un Ehpad et prendre soin d’un résident », souligne Danaë Holler, psychologue clinicienne, qui a travaillé deux ans dans un établissement parisien.

Plus précisément, quel rôle et quelle place pour le psychologue en institution ? En théorie, il possède une triple casquette. Il intervient à la fois auprès des résidents dont les émotions peuvent varier au gré des circonstances et exiger des réponses. Il est présent pour les familles. Il joue aussi le rôle de médiateur pour régler un conflit, un problème relationnel entre la famille et le personnel de l’Ehpad, par exemple, et de l’équipe soignante afin de recueillir son ressenti sur l’état psychologique des personnes âgées. Il est donc en contact avec l’ensemble des personnes au sein de la structure. Pour autant, « la prise en charge du sujet âgé demeure la raison principale de notre travail, le cœur de notre pratique », affirme Anne Béguin, psychologue au sein des établissements du groupe ABCD dans le Val-de-Marne. Le psychologue opère fréquemment en binôme avec le médecin coordinateur et/ou l’infirmière coordinatrice. Et, en fonction des avis des uns et des autres, il peut être décidé qu’il pourra agir pour un trouble du comportement, une angoisse, une majoration des troubles cognitifs… A lui aussi de détecter une détérioration de l’état psychique d’un résident et de proposer une solution thérapeutique. Soit un accompagnement personnel, soit un travail en groupe, avec différentes activités comme des ateliers, des médiations. Il peut aussi faire appel à des intervenants extérieurs tels que des art-thérapeutes, des sophrologues…

« Donner des clefs aux proches »

Deuxième volet de son rôle en Ehpad : le lien avec la famille. L’approche collective du travail est également indispensable, avec des groupes de parole ayant des thématiques précises telles que la maladie d’Alzheimer, l’accompagnement en fin de vie, apprendre à communiquer avec une personne démente… « Cela permet de donner des clefs supplémentaires aux proches pour qu’ils comprennent et vivent mieux la situation », indique Anne Béguin. Cette dernière propose de construire un partenariat entre les familles et les établissements car « il ne faut pas laisser les parents à l’écart », dit-elle. Le psychologue doit être à leur écoute et être à même de recueillir leur parole. Les proches peuvent très mal vivre le placement d’un parent en institution. Culpabilité ou incompréhension peuvent parfois les habiter. « Plus une famille se sent coupable, plus elle est agressive. C’est au psychologue de les apaiser, explique Marie de Hennezel, psychologue clinicienne, spécialiste du vieillissement et de la fin de vie. Parfois, une seule séance peut suffire. Car, la plupart du temps, les familles souffrent d’un manque de communication avec les responsables des Ehpad et les soignants. Le simple fait d’échanger avec le psychologue les rassure ».

Autre mission du psychologue : son rôle auprès des soignants. A ce titre, il peut mettre en place des groupes d’analyse des pratiques, des groupes de parole au sein desquels les professionnels du soin ont la possibilité de s’exprimer. Ceux-ci ont un rôle fondamental d’accompagnement et d’observation. Ce sont eux qui peuvent détecter les mouvements d’humeur des résidents. « Ils nous en font part et ensuite, collectivement, nous prenons le temps d’analyser d’où vient ce changement de comportement, renseigne Danaë Holler. Nous essayons de voir ce que l’on peut proposer à la personne âgée, un projet personnalisé, une intervention non médicamenteuse… » Pour ce faire, il est fondamental que le psychologue soit en lien avec les équipes afin d’identifier précisément tous les moments lors desquels la situation des personnes âgées bascule. « J’étais aussi chargée de former les différents intervenants sur une thématique, poursuit la psychologue clinicienne. Par exemple, qu’est-ce que la maladie d’Alzheimer ? Qu’est-ce qu’un trouble du comportement ? Comment communiquer ? Qu’est-ce que la méthode Montessori ? Qu’est-ce que l’art-thérapie ? » Autant d’éléments qui viennent enrichir le panel des compétences et des connaissances de l’équipe : agents des services hospitaliers, aides-soignantes, stagiaires…

Valoriser les soignants

« Les professionnels peuvent aussi venir nous parler de leurs propres problématiques, confie Anne Béguin. Par exemple, en ce moment, il y a beaucoup de fatigue, de troubles de l’humeur. Il faut donc prendre le temps d’écouter le personnel sans pour autant en passer par une réunion formelle. Une discussion dans les couloirs, entre deux portes, à la machine à café, peut suffire. L’important est d’être présent à des moments du quotidien. C’est comme cela que les soignants peuvent nous faire confiance. » Pas toujours facile, en effet, d’arriver à nouer des liens avec le reste du personnel. « La méfiance est tout à fait naturelle. Tous les psychologues vivent ça quand ils arrivent dans un établissement. Il faut apprivoiser une équipe, leur montrer que ce qu’ils font est bien. Le rôle du psychologue n’est pas seulement d’analyser mais c’est aussi de valoriser ce que font les autres soignants », concède Marie de Hennezel.

Si le travail du psychologue est aussi divers que dense et si sa présence est obligatoire en Ehpad, beaucoup de structures n’en disposent toujours pas faute de moyens ou de candidats. Et quand il y en a un, il est beaucoup plus souvent à tiers temps ou mi-temps qu’à temps plein. Difficile dès lors de mener à bien toutes les fonctions. « Généralement, on estime qu’un résident correspond à un pourcent du temps du professionnel. S’il y a 100 résidents, le psychologue devrait être à temps plein. Avec plus de 100 résidents, il devrait y en avoir un autre. Dans les faits, ce n’est absolument pas le cas », rappelle Danaë Holler. Cette situation oblige à faire des choix, à prioriser certaines tâches. « On ne peut effectivement pas tout faire, affirme Caroline Baclet-Roussel, psychologue au sein du gérontopôle d’Ile-de-France. Il faut aller au plus urgent. Nous devons agir en notre âme et conscience et avec ce qui nous semble être psychiquement essentiel pour l’autre. » Et d’ajouter : « Notre objectif est de pouvoir aider chacune des parties prenantes de l’Ehpad et d’essayer de mettre des mots sur ce qui se passe chez une personne afin que chacun puisse comprendre et être en lien avec ce que l’autre vit. »

La mort ne doit plus être taboue

L’entrée en établissement est l’un des moments clefs sur lesquels le psychologue ne peut rogner son temps de travail. Cette étape est primordiale. C’est à cet instant que s’enclenche un rapport de confiance afin d’accompagner la personne âgée le plus sereinement possible. Elle rompt avec son mode de vie d’avant, un important travail en amont doit donc être effectué. « Il faut expliquer au sujet âgé les raisons de son entrée en structure. Et ce même s’il a des troubles cognitifs, assure Pascale Gérardin, psychologue au Centre mémoire de ressources et de recherche du CHRU de Nancy. C’est un travail collectif et pluridisciplinaire, du médecin aux bénévoles. »

La présence du psychologue est également indispensable à un autre moment capital : la mort d’un résident. A ce moment-là, il a un rôle de soutien et d’accompagnement auprès des autres personnes âgées, des familles et des soignants afin qu’ils puissent en parler, individuellement ou ensemble. Il est le mieux armé pour pouvoir dire, entendre la douleur. « Toutes les personnes en Ehpad pensent à la mort. Tout simplement parce qu’elles s’en approchent. Mais il y a un tel déni dans notre société qu’elles se sentent très seules face à cette question. Personne ne veut l’aborder avec elles, estime Marie de Hennezel. Il est donc important que les psychologues forment les autres soignants. Il faut les acculturer à cette thématique parce que, finalement, il est naturel de mourir dans un Ehpad. Notre rôle doit faire en sorte que la mort ne soit plus taboue. »

Pourtant, et alors que la présence de ce professionnel semble indispensable en établissement, les difficultés à y exercer sont nombreuses. Des obstacles qui, à en croire Danaë Holler, sont liés au peu de place laissé à la santé psychique : « C’est comme si, tant que la personne va bien physiquement, qu’elle se maintient, que ses médicaments sont bien dosés, que sa chambre est propre et qu’elle reste autonome, la dimension psychologique n’était pas prise en compte, déplore la psychologue, qui a décidé d’arrêter de travailler en Ehpad. Il faut malheureusement que des drames aient lieu pour que l’on se dise qu’il serait bon de donner plus de moyens aux spécialistes de la prise en charge de la santé psychique. C’est aussi navrant qu’exaspérant. »

Reportage

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur