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Excision : Un cocon pour se reconstruire

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Une jeune femme est venue rencontrer la psychologue Alice Masoni.

Crédit photo Christian BELLAVIA
Ouvert en septembre dernier, l’institut régional de l’association Les Orchidées rouges, à Bordeaux, réunit en un même lieu une équipe pluridisciplinaire de 25 professionnels formés à l’accompagnement sociothérapeutique des femmes excisées.

C’est une jolie maison pleine de charme, avec du parquet, des vitraux colorés aux portes et une cour arborée. Là, en plein centre de Bordeaux, des femmes excisées sont prises en charge par l’association Les Orchidées rouges. Ce mercredi matin, Iara(1), 28 ans, qui vient du Nigeria, a emmené ses deux petits garçons avec elle. Ils jouent avec d’autres enfants de leur âge dans une petite salle, tandis qu’elle discute avec Asma, 26 ans, elle aussi Nigériane. « Je cherche l’espoir », murmure celle-ci en anglais, les yeux baissés. Comme Iara, Asma a été excisée : « Je veux aller mieux, je suis venue chercher du soutien ici. » Bordelaises depuis un an, elles viennent assister à une réunion collective animée par une sexothérapeute. « Ce que je me demande, ajoute Asma, c’est si on va aborder d’autres violences. » En se dirigeant vers la petite salle, où les attendent des chaises serrées les unes contre les autres, elle lâche : « Nous avons été violées, Iara et moi. » Quelques femmes sont déjà là. En attendant que la séance commence, elles regardent une planche anatomique et manipulent des clitoris faits de tissu, en trois dimensions, qui sont posés sur la table.

« Mon objectif était de créer une unité pluridisciplinaire pour proposer aux femmes un accompagnement global, ce qui n’était pas le cas quand j’ai créé Les Orchidées rouges il y a trois ans », déclare Kakpotia Marie-Claire Moraldo, présidente de l’association ainsi que de son institut régional d’aide aux femmes victimes de mutilations sexuelles. Excisée à l’âge de 9 ans, cette Ivoirienne ne se sent plus « complète » depuis le jour où elle a pris conscience de la violence qu’elle a subie. En 2016, alors âgée de 34 ans, elle décide d’avoir recours à la chirurgie réparatrice. En Nouvelle-Aquitaine, où elle s’est installée depuis qu’elle a fini son Master en management, il n’existe pas d’unité de soins spécialisée, pas de structure d’accompagnement dédiée. Elle affronte seule son parcours de reconstruction. Une épreuve qui l’incite alors à vouloir aider les femmes excisées. En 2017, année de sa création, son association reçoit le prix de l’initiative de la mairie de Bordeaux. En plus de Kakpotia Marie-Claire Moraldo, l’équipe était initialement composée d’une psychologue, d’une éducatrice spécialisée et d’une art-thérapeute et a accompagné 180 femmes en trois ans. Les problématiques sont complexes, les besoins différents d’une femme à l’autre. « Régulièrement, nous devions en envoyer certaines chez d’autres professionnels. Ce morcellement de parcours me gênait. Je voulais mettre la femme dans un cocon, qu’elle trouve tout ce dont elle a besoin dans un même espace », explique celle qui, pour mieux soutenir ces femmes, vient d’adjoindre à son association un institut régional qui a ouvert ses portes le 7 septembre dernier.

Afin de mener à bien ce projet, elle arrête son travail et se consacre pendant un an et demi à bâtir son institut « idéal ». Le démarrage n’est pas facile. « On me reprochait notamment de vouloir ouvrir ce centre sans être médecin », raconte la fondatrice. La situation commence à se débloquer lorsque la Fondation des femmes, son plus important financeur, lui octroie une subvention. Suivent le conseil régional, la ville de Bordeaux, la préfecture, la direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité, des fondations privées, une entreprise souhaitant rester anonyme et, bientôt, le département. Il ne lui restait plus qu’à recruter un panel de professionnels pour tisser une offre complète de soins et d’accompa­gnement : infirmière, médecin généraliste, gynécologue, psychologue, sexothérapeute, ostéopathe, psychomotricienne, socioesthéticienne, assistante sociale, avocate, conseillère emploi, art-thérapeute, réflexologue.

 

Une offre d’accompagnement global

Les intervenants sont payés à la vacation, bénévoles ou salariés de structures partenaires telles que le barreau des avocats de Bordeaux, le centre d’accueil, d’information et d’orientation (CAIO) ou le centre d’information sur le droit des femmes et des familles (CIDFF) qui les mettent à disposition. Les ateliers qu’ils animent peuvent être collectifs ou individuels. « Je préfère suivre les ateliers en groupe. Les femmes qui sont avec moi ont toutes subi de la violence et peuvent m’inspirer pour que je m’en sorte », espère Johanna, 26 ans. Exilée de Côte d’Ivoire et excisée à 8 ans, elle prépare un Master en socio-anthropologie sur le silence autour de l’excision : « En Afrique, le corps est sacré, on ne parle ni de sexe ni d’excision, avec qui que ce soit, même pas avec sa propre mère. On ne sait pas pourquoi on a enduré cette mutilation. » Au départ, elle était venue aux Orchidées rouges pour recueillir des témoignages de femmes dans le cadre de son mémoire. Pas pour elle. « Je me suis dit que moi aussi j’avais besoin d’en parler et d’être aidée. Je ne parle jamais de ce problème, une seule de mes amies sait ce qui m’est arrivée », confie-t-elle. Cela fait maintenant une année qu’elle se rend régulièrement à l’association. « Je suis l’atelier avec la plasticienne et je vois la psychologue. Ça me fait du bien d’être accompagnée. Mon excision, je la porte toujours dans ma vie sexuelle, aujourd’hui j’hésite à avoir un partenaire français », précise Johanna.

Avant l’ouverture, les 25 professionnels des Orchidées rouges ont reçu une formation. « Nous avons étudié les différentes aires géographiques concernées par l’excision, les croyances liées à cette pratique, le psychotraumatisme et ses conséquences, et travaillé sur des études de cas », détaille la psychologue, Alice Masoni. Les cours ont été dispensés par Marie-Jo Bourdin, assistante sociale et directrice adjointe du centre Françoise-Minkowska, spécialisé dans l’accueil des personnes migrantes, et auteure de deux livres sur l’excision. « Je l’ai choisie pour sa dimension d’anthropologue médicale clinique, qui prend en compte la culture de l’autre et la façon dont la personne se représente ce qu’elle a vécu », pointe Kakpotia Marie-Claire Moraldo. L’association a aussi mis au point un système de formation continue fondée sur les cas pratiques. « Nous apportons des solutions adaptées aux situations que les professionnels rencontreront. L’objectif est la montée en compétence de l’équipe », soutient-elle.

Concrètement, quand une femme arrive aux Orchidées rouges, elle est d’abord reçue par l’infirmière référente, dont le rôle est de coordonner les interventions. Puis elle rencontre le gynécologue, qui fait le point sur les éventuelles conséquences gynécologiques de son excision et détermine si une intervention chirurgicale doit être préconisée ou non. Si c’est le cas, elle est confiée au gynécologue-obstétricien et chirurgien Ismaël Hamadou, qui opère à la clinique Jean-Villar, à côté de Bordeaux. Celui-ci s’est formé à Paris auprès de Pierre Foldès, l’urologue qui a inventé la chirurgie réparatrice de l’excision et milité pour qu’elle soit prise en charge par la sécurité sociale. Troisième personne clé du dispositif : la psychologue, chargée de dresser un bilan psychique de la personne. Munie de tous ces éléments, l’équipe pluridisciplinaire se réunit pour décider du parcours d’accompagnement à proposer. « Si une femme a des soucis dans son quotidien, qu’elle n’a pas de logement ou que sa situation administrative n’est pas stable, on ne peut pas travailler sur les traumas qu’elle a subis. Il faut pour cela qu’elle se sente en sécurité », souligne Alice Masoni, qui présentera à la personne prise en charge, lors d’un deuxième rendez-vous, le parcours a priori le plus approprié à sa situation. Cette dernière est libre de l’accepter comme de le modifier. La co-construction est d’ailleurs mise en avant comme un acte thérapeutique qui permet à ces femmes meurtries de reprendre leur vie en main.

S’il n’y a pas vraiment de parcours type, les suivis psychologiques et sexothérapeutiques constituent le socle de la reconstruction. L’objectif étant d’aider les femmes à se réapproprier leur corps et à déconstruire tous les tabous qui entourent la sexualité. Car jamais elles n’ont parlé de sexe et ignorent souvent qu’elles peuvent ressentir du plaisir.

 

Réparer l’image de soi

Cette reconquête par la femme de son corps peut passer par la danse-thérapie. « Nous travaillons sur la prise de conscience de ce qui se passe en elle, et comment le mouvement circule », rapporte Roxane Mares. Artiste chorégraphe et psychologue, elle complète des ateliers collectifs par des séances individuelles où les exercices de base sont travaillés à la barre, « pour apprendre à habiter son corps ». Puis elle explore les improvisations et compositions instantanées afin d’écrire une petite chorégraphie. L’objectif est qu’ensuite les personnes rencontrent les artistes de sa compagnie, MéliMél’Ondes, pour produire ensemble un spectacle. Roxane Bares aide ainsi à s’apaiser et à se découvrir ces femmes meurtries, qui arrivent parfois avec une motricité désorganisée, un regard vague, une respiration saccadée. « L’histoire qu’elles ont vécue est là. Que veulent-elles en faire ? Avec bienveillance, je les incite à écouter leur âme et à l’inviter à danser », dit-elle.

Pour mieux s’approprier leur corps et leur image, elles se voient proposer cinq à six séances de socio-esthétique. « Au premier rendez-vous, je propose un questionnaire qui me permet de faire un scan corporel de la personne. La socio-esthétique est complémentaire de la sexothérapie, qui va débloquer le langage lié à la sexualité. Moi, je vais travailler sur l’apparence. Je les aide, notamment grâce aux soins et au maquillage, à retrouver une image d’elles qu’elles avaient oubliée », rappelle Réjane Sallé, qui s’est notamment formée au Codes (cours d’esthétique à option humanitaire et sociale). La socio-esthéticienne intervient sur tout le corps, apprend aux femmes à le toucher sous la douche, à en prendre soin, et pratique des « modelages » du corps comme du visage. « L’avantage des Orchidées rouges, c’est qu’on travaille en équipe. Quand on repère un comportement particulier chez une femme, on peut la réorienter vers des ateliers plus adaptés à ses besoins. Ce que je fais parfois avec la danse-thérapie ou la sophrologie, qui sont liées à ma pratique », assure la professionnelle.

L’art-thérapie apporte sa pierre à l’édifice en incitant les femmes à être actrices. « Elles savent que je ne vais pas les chouchouter. Quand elles vont écrire, elles ont conscience que ce sera parfois difficile, mais l’écriture les aide à sortir d’elles-mêmes », souligne Isabelle Kanor, art-thérapeute, qui intervient auprès des femmes des Orchidées rouges depuis près d’un an. L’objectif des séances consiste à faciliter l’expression, principalement à travers le récit de vie. Un récit qui permet à chacune d’exprimer ses émotions, de partager ses expériences et de garder une trace de son vécu. Les textes sont valorisés par une mise en scène théâtrale des lectures. Un travail sur la diction, la posture, le regard, les déplacements, qui transforme l’histoire personnelle en une expérience artistique. « Les séances collectives s’appuient sur la force du communautarisme et sur l’émulation de groupe. Mais puisque chacune de ces femmes a sa propre singularité, il est important de maintenir des séances individuelles pour s’adapter aux spécificités du psychotrauma ou aux troubles de l’adaptation », ajoute-t-elle.

Les groupes de parole, animés par différents intervenants, constituent aussi un des moments forts de l’accompagnement, auquel les femmes sont parti­culièrement attachées. Pendant le confinement, lorsqu’elles n’ont plus eu le droit de se retrouver, l’équipe a développé des outils pour les réunir en visioconférence. Souvent en précarité numérique, elles n’avaient pas toutes un téléphone ou un accès à Internet. Un partenariat avec Emmaüs Connect, à Bordeaux, leur a donné la possibilité d’obtenir des mobiles, des tablettes et du crédit pour se connecter. « Je suis intervenue sur la chaîne nationale ivoirienne (RTI 1), qui est diffusée dans d’autres pays. Des femmes en Mauritanie ou au Canada m’ont contactée pour avoir des conseils. Dé­sormais, elles peuvent rejoindre nos groupes de paroles à distance, ce qui nous permet de ne jamais laisser tomber une femme, où qu’elle se trouve », se réjouit Kakpotia Marie-Claire Moraldo. Outre l’accompagnement des professionnels, rencontrer des femmes qui ont vécu les mêmes tragédies rassure sur les possibilités de s’en sortir. Nombreuses sont celles qui, comme Johanna, apprécient de venir à l’institut des Orchidées rouges retrouver leurs « copines d’infortune ».

Développer la formation et la prévention

L’institut régional des Orchidées rouges comprend plusieurs types d’activités, dont la formation des professionnels de santé ou des travailleurs sociaux, dispensée directement dans les institutions. Parfois, Kakpotia Marie-Claire Moraldo se rend dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) afin de sensibiliser aussi les hommes. La présidente de l’association souhaite également développer la prévention pour protéger les petites filles françaises quand elles se rendent dans le pays d’origine de leur famille. En effet, dans les communautés pratiquant l’excision, elles risquent parfois d’être excisées sans que leurs parents le sachent, car il suffit qu’une tante ou une grand-mère le décide. Les Orchidées rouges prévoient d’intervenir bientôt dans les maisons de quartier avec des avocats, pour expliquer que l’excision est une pratique illégale.

(1) Le prénom a été changé.

Reportage

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