Le ton monte vite quand il raconte son histoire. Une jeunesse chaotique rythmée par les coups, les injures, l’abandon. « Je ne dis pas que tout est à cause de mon enfance, mais ça explique beaucoup. » Passé par la rue puis par la Sauvegarde de l’enfance, Mickael, 36 ans, explique : « Rapidement, j’ai compris qu’il fallait que je me débrouille tout seul. Me battre m’apportait du respect, alors la violence est devenue mon moyen de défense. Je n’avais pas de sous, j’étais seul, j’avais seulement mes poings. » Pendant vingt ans, l’homme se construit avec un mode de communication qui se résume à un mot : violence. « Les insultes, pour moi, c’était normal. Le lot quotidien. Avec mes amis, des connaissances, des collègues. »
Quand il rencontre sa femme, Mickael ne travaille pas. « Elle m’a aidé à m’en sortir, à me mettre à mon compte, à avancer. » Mais cela ne suffit pas. Au contraire, le couple devient un catalyseur, le lieu d’expression d’une frustration. « Quand une situation me rend nerveux, je pars en vrille. Quelque part, ce n’est plus moi, c’est une autre personne. » A chaque dispute, le scénario est le même. La voix s’élève, les insultes pleuvent. « Des deux côtés », insiste Mickaël. S’il admet devoir régler des problèmes de violence, comme beaucoup d’auteurs, le trentenaire se défend du pire. « Je n’ai jamais mis de claques ou de coups de poing. La violence est verbale. Une fois seulement, je lui ai mis une grande balayette qui l’a fait tomber, parce qu’elle me provoquait. » Ce jour-là, sa compagne décide de partir. « On s’est revus une semaine après. Elle m’a dit s’être rendue à SOS Violences conjugales et m’a demandé si j’accepterais de m’y rendre pour discuter. J’ai tout de suite dit “oui”, car je voulais qu’ils entendent les deux sons de cloche. »
A l’association Virage, dont la branche « victimes » accompagne son épouse, des entretiens de plusieurs heures lui apportent plus qu’une occasion de donner sa version des faits. « J’ai pu dire des choses que je n’avais pas racontées à ma femme, notamment sur mon enfance. Ça m’a fait du bien de sentir de l’empathie, de pouvoir parler de tout. Aujourd’hui, quand je me pose et que la colère redescend, j’ai honte de ce que j’ai fait. » Lors des séances, il travaille sur son rapport à la violence et sa responsabilité. « Pour moi, les insultes, ce n’était pas de la violence. Il a fallu que je comprenne que ça l’humiliait. Et puis je pensais avoir raison à 100 %. C’est elle qui me poussait à bout, alors j’avais raison de réagir. Maintenant, je suis d’accord : une femme, ça ne se touche pas. » Les discussions avec la travailleuse sociale doivent aussi aider à désamorcer des situations futures de violence. Rester dans son coin, s’éloigner, partir… autant de stratégies pour ne pas rechuter.
Pour le trentenaire, en effet, tout est loin d’être réglé. « Ce qui me fait mal, aujourd’hui, c’est d’entendre mes enfants qui commencent à grandir me dire que je passe mon temps à crier sur maman. Petit, j’avais peur de mon père, et ma plus grande crainte, c’est que mes enfants et ma femme aient peur de moi à leur tour. Je sais qu’il y a encore du travail, mais j’ai déjà changé. Il y a huit mois, j’aurais été incapable de prendre sur moi, de laisser ma femme “gagner” en cas de conflit, ou d’accepter qu’elle puisse être de mauvaise humeur. » Une chose est sûre : si le parcours n’est pas terminé, un premier virage a été pris.