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Au Mans, une approche psychosociale pour éviter la récidive

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L’Association de gestion du centre d’accueil et d’accompagnement des auteurs de violences, situé au Mans, développe, depuis sa création en 2007, un suivi fondé sur une approche psychogénéalogique. L’association lutte contre la récidive en matière de violences conjugales en milieu ouvert et, depuis l’an dernier, auprès des détenus de la maison d’arrêt de la cité mancelle.

Il ne s’agit pas d’excuser. Mais bien de cheminer avec l’auteur des violences conjugales, pour penser, comprendre son comportement et faire émerger une prise de conscience. Avec un objectif clair : éviter la récidive. Depuis sa création en 2007, l’Association de gestion du centre d’accueil et d’accompagnement des auteurs de violences (Caaav) du Mans (Sarthe) défend une posture sans équivoque. « Ne pas soigner ces hommes ou ces femmes, c’est prendre le risque qu’ils recommencent, insiste Maya Brossier, coordinatrice de l’association. C’est d’abord en cherchant à comprendre l’origine de la violence qu’on peut essayer de la surmonter et de modifier son comportement. »

Disons-le d’emblée, à sa création – et encore parfois aujourd’hui –, le Caaav a dû batailler pour imposer une position à contre-courant des discours dominants. « Certaines associations nous reprochaient d’être du côté des auteurs. Non !, balaie la coordinatrice, nous sommes du côté de l’humanité ! » Entendre la personne en tant que sujet et ne pas la réduire à un statut d’auteur constitue une ligne de conduite commune aux quatre intervenants de l’association. « Ces personnes ont eu une histoire avant, ils en auront une après. La violence n’est pas rédhibitoire, complète Janick Leveau, infirmière spécialisée en psychiatrie. Et nous sommes là pour identifier avec les personnes les raisons et le contexte qui les ont poussées à cet acte. » Des actes certes intolérables, mais qui constituent une épreuve à surmonter plus qu’une fatalité.

Inspiration québécoise

Si la violence a des origines multiples, elle n’est ni l’apanage d’un profil particulier ni d’un milieu social déterminé. En revanche, elle est souvent l’expression d’une souffrance antérieure ou d’une représentation rigide des rapports hommes-femmes. C’est la raison pour laquelle le Caaav, depuis son origine, s’appuie sur une approche psychogénéalogique, dans le sillage de la structure québécoise Option. Depuis la fin des années 1980, cet organisme basé à Montréal accompagne les auteurs de violences dans leur réflexion et leur démarche pour trouver des alternatives, en tenant compte du vécu propre à chacun. « Toute histoire est différente, souligne Maya Brossier. Il faut la connaître a minima. » Pour y parvenir, le centre s’attache à une évaluation pré-thérapeutique et psychosociale de la personne. Les intervenants s’assurent en premier lieu de la sécurité des victimes principales comme secondaires mais aussi de l’auteur. Quelle est la dangerosité de ses gestes de violence ? A-t-il des problèmes d’addictions, de dépression, un potentiel suicidaire ? Evaluer, c’est aussi orienter, si nécessaire, vers des partenaires : les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa), les centres médico-psychologiques (CMP) ou encore les psychiatres de ville.

L’évaluation doit faire émerger le rapport à soi et aux autres : l’auteur entretient-il un sentiment de honte, d’infériorité, une hypersensibilité au rejet, une rigidité au niveau des rôles sociaux et sexués ? Exerce-t-il une volonté de domination, ? Valorise-t-il le recours à la violence ? Au cours de cette réflexion, sont abordés le rapport au travail, les conditions économiques d’existence, les habitudes de vie. Surtout, il est question d’histoire personnelle, à la fois familiale et conjugale. Pour figurer ce vécu, les intervenants du Caaav utilisent le génosociogramme. Il s’agit d’une représentation spatiale de la famille – voire de l’entourage proche – qui, à la manière d’un arbre généalogique, met en lumière les faits marquants et les liens psychologiques et affectifs qu’ont pu entretenir des parents avec la personne. « C’est une manière de se situer dans son système familial », précise Jérôme Quintard, psychologue clinicien.

L’accueil des personnes constitue un élément clé du suivi. « On n’est pas là pour juger les faits reprochés mais on n’est pas là non plus pour excuser, poursuit Jérôme Quintard. Et on n’est pas dupes : le premier point consiste à reprendre les éléments du dossier et les scènes de violence à l’origine de la présence des personnes, à rappeler la loi et les éventuelles décisions de justice. » Un cadre qui n’empêche pas de tisser un lien de confiance. Bien au contraire : « L’idée est de faire en sorte que les personnes se sentent en sécurité pour réfléchir au chemin qui a généré ce passage à l’acte. »

L’an dernier, le Caaav a accompagné 359 personnes, pour des faits commis en majorité dans le cadre conjugal ou intrafamilial. Un chiffre en constante augmentation ces dernières années. La plupart de ces personnes sont des hommes (88 %), venus de leur plein gré ou, plus souvent, parce qu’ils ont été contraints par la justice, dans le cadre de mesures alternatives aux poursuites ou d’une condamnation. En milieu ouvert, deux types de suivi sont proposés : l’un est collectif, l’autre individuel. La prise en charge collective correspond au stage de responsabilisation instauré par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Y participent les personnes orientées par la justice : au total, 141 hommes et 23 femmes sur l’ensemble des 11 stages proposés l’an dernier par le dispositif sarthois. Après entretien individuel, chaque personne travaille, le temps d’une journée, sur la notion de violence. Sont abordés abordés les points suivants : ses différents cycles (montée, explosion, rémission, lune de miel) et formes, l’évolution du regard de la société, des textes de loi, des représentations de la femme, de l’homme et de l’enfant au sein de la famille, mais aussi les conséquences de ces violences. Le stage, qui coûte 250 € entièrement à la charge du participant, s’achève par un entretien de bilan individuel.

Un détenu sur cinq concerné

Le Caaav peut également décider, seul ou à la demande parfois de la justice, d’une prise en charge individuelle. Il évalue alors avec la personne la périodicité du suivi. En moyenne, une quinzaine de séances, à raison de 45 € la séance, permettent d’accompagner les personnes. Certaines sont volontaires et ont frappé à la porte du centre, sur suggestion d’un médecin, d’un proche, mais aussi de policiers ou de gendarmes formés, par le centre, à la compréhension des mécanismes de la violence. Quel que soit le type de prise en charge, l’association ne s’interdit pas, lorsque le cadre judiciaire le permet, de travailler avec le partenaire de l’auteur des violences. Une manière de mieux comprendre la situation. « Hors circonstances avec des pathologies psychiatriques, personne n’est tout noir ou tout blanc et il est intéressant de comprendre les interactions au sein du couple », estime Maya Brossier.

Signe d’une prise de conscience accrue de la nécessité d’accompagner les auteurs, le Caaav intervient depuis février 2019 à la maison d’arrêt des Croisettes du Mans. Un détenu sur cinq y est incarcéré pour des faits de violences conjugales, selon les chiffres de l’administration pénitentiaire. C’est dire l’importance du sujet. « S’occuper des victimes sans s’occuper des auteurs est une grave erreur », souligne Pascal Lécuyer, directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) de la Sarthe. Et là encore, l’objectif est sans équivoque : « Notre mission première est de prévenir la récidive et de protéger les victimes. Nous avons l’obligation, dans l’intérêt de la société, de voir comment faire évoluer ces personnes et apporter une plus-value à leur détention. Sinon, on court à l’échec. » L’an dernier, le Caaav a reçu une quarantaine de personnes, à raison de cinq entretiens en moyenne, en vue de préparer la sortie de prison. Les intervenants constatent, sans surprise, que les trois quarts de ces détenus ont subi des violences dans leur enfance. Travailler avec les auteurs, c’est aussi briser ce cercle vicieux de la reproduction des comportements, d’une génération à l’autre.

Demeure un paradoxe : malgré l’expérience du Caaav, aucune structure n’a été désignée en Pays de la Loire, pour la création d’un centre de suivi et de prise en charge des auteurs de violences (CPCA) (voir page ??). La candidature de l’association a été refusée au motif qu’elle ne revêtait pas une dimension régionale. Ce qui suscite le scepticisme de l’équipe : « L’Etat n’a pas travaillé sur le fond mais sur la forme. Priorité est donnée aux structures de grosse taille, même si elles ne sont pas spécialisées sur la question des auteurs de violences conjugales », estime Maya Brossier. Avec le risque, s’inquiète-t-elle, de perdre l’aspect humain de l’association et de sa prise en charge. Invité à se rapprocher d’autres structures en vue du prochain appel à projets, début 2021, le Caaav compte participer au projet régional. Mais pas à n’importe quel prix : « Tout dépendra des projections des autres structures. On gardera nos valeurs et notre approche. »

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