Un petit local mis à disposition par la Maison de la Justice et du Droit, et des demi-journées bloquées dans des emplois du temps déjà remplis. Voilà comment, pendant dix ans, les quatre psychologues de l’association Passible, à Grenoble, ont exercé leur activité de suivi d’auteurs de violences conjugales. « En bricolant », racontent-ils. « Quand on a démarré, c’est parce qu’un procureur assez actif a voulu agir sur les violences conjugales. On a alors signé une convention avec le parquet et pu grappiller quelques sous », se souvient Nelly Janin-Quercia, psychologue clinicienne et cofondatrice du dispositif. Aujourd’hui, ses collègues accompagnent 130 personnes par an.
Parmi les auteurs reçus en entretiens individuels, la plupart sont envoyés par la justice, car condamnés à une obligation de soins. Les autres (autour de 30 %) arrivent de manière volontaire. A raison d’un ou deux rendez-vous par semaine, le suivi peut ensuite s’étaler sur plusieurs années. Sans remettre en cause l’éventuel passage par la case « justice », les psychologues de la structure font un pas de côté. « Il faut se détacher de la figure du monstre ou du criminel. Nous sommes dans le soin, on doit rencontrer l’homme », analyse Odile Nesta, psychologue et psychothérapeute.
Comme Philippe. A 59 ans, il se rend pour la première fois dans le local de Passible en « traînant les pieds ». « J’estimais que je n’en avais pas besoin, et j’y suis allée car je n’avais pas le choix. » Condamné à six mois de prison avec sursis pour des faits de violence sur sa femme, sa peine s’est accompagnée d’un suivi socio-judiciaire avec une obligation de soins. « Dans mon esprit, j’avais juste dérapé une fois », admet-il. Petit à petit, pourtant, il évolue. « Le plus dur, au début, c’était de parler de moi et d’accepter ma propre responsabilité. Accepter de parler de violence, et même simplement reconnaître ce qui s’était passé. Mais les séances m’ont aidé à comprendre la sanction que j’avais eue, et que la violence est un engrenage. Aujourd’hui, je suis demandeur de ce suivi, je sens que je n’ai pas encore fini ce travail sur moi. » Après un an et demi, les rendez-vous, plus espacés, se poursuivent tous les quinze jours. « Ou plus souvent, si je sens que j’en ai besoin », précise Philippe.
S’il est difficile de chiffrer le taux de « réussite » des suivis, les psychologues sont convaincus de leur utilité. Et face aux demandes qui explosent et aux délais d’attente qui s’allongent, il était temps que le Grenelle leur offre un peu de visibilité. Fin octobre, le cabinet d’Elisabeth Moreno, en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes, a ainsi reconnu l’intérêt et l’urgence de créer des centres dédiés aux auteurs de violences conjugales, évoquant notamment des lieux proposant « un accompagnement psychothérapeutique et médical afin, par exemple, de traiter les addictions, auquel pourra être assorti un accompagnement socioprofessionnel visant notamment à l’insertion dans l’emploi ».
Ces centres devraient être cofinancés à 70 % par l’Etat et à 30 % par des collectivités et partenaires privés. L’ouverture de 16 structures a déjà été confirmée. Passible fera partie du prochain appel à projets, début 2021. L’idée est de prendre en charge le volet « soins » et de s’associer avec des structures d’hébergement (généralement des CHRS). « L’association ne peut pas continuer comme ça. Il lui faut une stabilité de fonctionnement. L’enjeu est donc désormais de pouvoir augmenter notre activité dans de meilleures conditions, grâce à une représentativité régionale », confirme Jean-Marc Jouffe, l’un des quatre psychologues.
Chaque année, en France, environ 220 000 femmes sont battues ou violées par leur conjoint ou ex-conjoint. Dans 75 % des cas, il s’agit de violences répétées et, dans 80 %, d’agressions psychologiques. A partir de 18 ans, 12 % des femmes ont été victimes d’un ou plusieurs viols au cours de leur vie et 43 % ont été harcelées sexuellement. En 2019, 146 femmes ont été tuées par leur partenaire, soit 21 % de plus que l’année précédente, et 25 enfants sont morts sous les coups d’un de leurs parents lors de violences conjugales. Dans 30 % des crimes, l’auteur est alcoolisé et, dans 12 %, il se trouve sous stupéfiant. 18 % seulement des femmes déposent plainte.