Stéphanie Callet, 32 ans, est une survivante. C’est du moins en ces termes qu’elle se qualifie. Son combat ? Celui d’une enfant placée en lutte contre les services sociaux de l’enfance qui, bien qu’ayant pleinement rempli leur rôle protecteur en l’éloignant, à l’âge de 3 mois, de parents incapables de s’en occuper, ont sacralisé le lien biologique au détriment de son équilibre affectif. « C’était dans les années 1990, à l’époque où l’ASE (aide sociale à l’enfance) portait la relation mère-enfant aux nues. Tant que je n’étais pas en danger de mort chez mes parents, il fallait coûte que coûte que je retourne vivre avec eux. Et ce, quelle que soit la souffrance que cela pouvait engendrer chez moi », déplore-t-elle. Jusqu’à l’âge de 10 ans, le placement chez Véronique et Xavier, qui l’accueillent depuis qu’elle a 11 mois, est automatiquement renouvelé.
Dans ce contexte, elle développe des liens d’attachement très forts pour sa mère d’accueil : « C’est ma famille d’accueil qui m’a donné un socle affectif pour pouvoir avancer. J’y ai découvert un concentré d’ingrédients pour bien grandir et m’épanouir comme les autres enfants. » Dans son livre, Le jour où j’ai choisi ma famille, paru en juillet dernier aux éditions Dunod, la trentenaire parle même, en référence à cette période de sa vie, de « renaissance ». Toute petite, Stéphanie est pourtant déjà très consciente de sa situation d’enfant placé. Rendez-vous mensuels avec son éducateur, sorties régulières dans sa famille biologique, passage tous les deux ans devant le juge pour enfants… La menace d’un retour chez ses parents plane sans cesse au-dessus de sa jeune tête. Avec le recul, elle n’en comprend toujours pas les tenants ni les aboutissants. « Jusqu’à ce qu’on lui retire ma garde, j’avais des visites médiatisées avec mon père. Par contre, aucun travailleur social n’est jamais venu me voir quand j’étais chez ma mère, alors que j’étais livrée à moi-même et que je passais mes journées devant la télévision. J’avais l’impression que je devais porter ma mère », se souvient-elle amèrement.
Au fil du temps, le lien mère-enfant ne se tisse pas. Malgré cela, les visites s’accélèrent. « A partir du moment où ma mère a demandé mon retour auprès d’elle, les professionnels de l’ASE ont exigé que je passe mes week-ends et la plupart de mes vacances avec elle. L’idée était que la transition se fasse “en douceur” avant mon installation définitive, qui devait se faire à mon entrée au collège », explique Stéphanie. De ces rendez-vous avec sa famille d’origine, elle sort exsangue et de plus en plus instable psychologiquement. Tout va trop vite : « Il n’y a pas eu de réel temps d’observation de la relation. Le cadre a sans cesse évolué, quelles que soient mes réactions aux changements. Les travailleurs sociaux avaient l’impression que la situation “avançait”, mais mon intérêt n’était pas pris en compte », résume-t-elle.
Ce qui épuise le plus l’adolescente d’alors est d’avoir la certitude que sa place n’est pas chez sa mère mais avec sa famille d’accueil. Elle s’en ouvre constamment à ses éducateurs, en vain. « J’étais invisible, regrette-t-elle. J’en ai terriblement voulu à l’institution, et particulièrement à un de mes éducateurs qui a eu des mots très violents envers moi. » Le juge des enfants, quant à lui, hésite et repousse la décision d’année en année. Une avocate spécialisée dans la défense des enfants accepte finalement de venir en aide à la jeune fille, jusqu’à interpeller les médias pour infléchir la décision juridique. Dans la postface de son livre, Stéphanie Callet écrit : « Ce droit à l’amour, dont tout enfant devrait pouvoir bénéficier, la justice le lui distillait année par année à chaque renouvellement du placement avec la menace d’un retour dans sa famille d’origine qui ne signifiait rien pour elle. Les services sociaux ont considéré qu’avoir laissé Stéphanie dans la même famille aussi longtemps était une erreur. »
Au cours de cette période, qui dure cinq ans, jusqu’à ce que le juge des enfants instaure une reconduction tacite du placement, Véronique, la mère d’accueil, assiste, impuissante, à la dégradation de la santé psychique de Stéphanie. Pas une fois les services sociaux ne font appel à son expertise d’assistante familiale. Son rôle est cantonné à ce que l’institution attend d’elle : éduquer Stéphanie et, si retour dans la famille d’origine il y a, la préparer à rentrer chez elle en s’inscrivant dans un soutien de la relation entre la mère biologique et son enfant. Ce que Véronique fait, allant jusqu’à insister pour que Stéphanie ne coupe pas les ponts avec sa mère une fois la majorité atteinte.
« La parole de ma mère d’accueil n’avait aucune valeur aux yeux des services sociaux, fustige la jeune femme. Maintes fois, on lui a fait comprendre qu’elle n’avait aucun droit. Seul comptait, pour les professionnels, le fait que le placement devait être temporaire et qu’il ne fallait pas qu’elle s’attache trop à moi. On l’a même accusée de m’avoir influencée pour que je reste avec elle. » Vingt ans plus tard, celle qui est devenue assistante de service social reste très critique envers les éducateurs qui l’ont accompagnée, mais ne les tient pas pour autant pour « responsables » de ce qu’elle a vécu : « J’ai découvert que ce n’était pas une question de personne, car certains professionnels n’hésitaient pas à aller au-delà des cases, loin de la juste distance qu’on leur enseignait. Une chose est sûre, quelle que soit l’histoire d’un enfant placé, les ruptures de liens provoquent systématiquement chez lui des difficultés plus tard. » Stéphanie le constate tous les jours au travers de son engagement bénévole à Repairs, un réseau d’entraide entre pairs pour d’anciens enfants placés.
De son enfance et adolescence, Stéphanie Callet garde de profondes blessures, même si elle se dit aujourd’hui épanouie dans sa vie de femme. Après plus de vingt ans de thérapie, il lui arrive encore parfois de se sentir rejetée par ses proches. Une sensation de ne pas être à sa place qui lui colle à la peau. « La première réaction que j’ai suscitée à ma naissance, c’est le rejet, analyse-t-elle. Je crois malheureusement que c’est inscrit dans ma chair, et ce, malgré tout l’amour que j’ai reçu. » Fidèle au conseil de Véronique, Stéphanie Callet continue d’appeler sa mère biologique deux fois par an, au cas où, explique-t-elle, elle « aurait des choses à lui dire ». Lorsqu’elle lui a annoncé la publication de son livre, cette dernière n’a pas réagi. Stéphanie a 22 ans quand, en 2010, Véronique et Xavier décident de l’adopter. Une adoption dite « simple », qui laisse à sa mère biologique la place qui lui revient de droit, mais qui officialise le lien qu’elle a construit avec sa famille d’accueil. Ses parents « de cœur », comme elle aime à les appeler.