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Réenchanter l’action sociale

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L’action sociale se résume trop souvent à l’idée de réduire l’écart par rapport à la norme, ce qui peut entraîner son rejet par les bénéficiaires. Pour éviter les non-recours, il semble urgent de modifier le langage et la posture des intervenants sociaux. Une nécessité pour être en phase avec les évolutions sociétales et la primauté donnée aux individus.
« Deux acteurs de l’action sociale, les institutions de retraite complémentaires et celles de prévoyance, viennent, en se séparant, de vivre un mini-séisme.

L’action sociale des organismes de prévoyance va vivre sa vie et devra s’épanouir dans une culture “client” de prime abord hostile pour elle. Au-delà des tensions imaginables, cependant, considérons l’opportunité de réenchanter plus largement une action sociale qui a du mal à se renouveler, se heurte au non-recours et n’est peut-être plus assez en phase avec l’évolution sociétale. En essayant d’analyser la situation, nous allons peut-être nous rendre compte que le souffle salvateur que nous recherchons n’est finalement lié qu’à un changement de posture de notre part.

Les définitions de l’action sociale sont nombreuses : juridiques, sociologiques, philosophiques… Nous y retrouvons des termes communs : “cohésion”, “maintien dans la société de groupes fragiles”, “préservation de l’autonomie”, “adaptation au milieu social environnant”. Finalement, plusieurs notions arbitraires qui peuvent être réinterprétées selon les époques, les politiques, les évolutions technologiques ou financières… et, lors de ces détours, cacher des bénéficiaires bien différents. Hier les mendiants, demain les personnes dépourvues de smartphone. Pour forcer le trait, l’action sociale trouverait simplement sa raison d’être dans un écart à la norme et dans la tentative de réduction de ces écarts. Pour y parvenir, elle se réévaluerait sans cesse en fonction des attendus sociaux du moment et proposerait des aides ou des dispositifs de nature à ramener le marginal vers l’ordinaire.

A y regarder de plus près, l’action sociale semble continuer à étiqueter ses bénéficiaires comme des individus souffrant physiquement, psychiquement ou socialement. Sans doute parce qu’elle s’adressait historiquement aux malades, aux invalides ou aux indigents. Fondamentalement, elle était en quelque sorte la seule prise en charge de populations “en souffrance ou à l’abandon”, que le pouvoir en place, puis certaines institutions (la monarchie, l’Eglise, la médecine…), tentaient de ramener dans leurs filets. Le problème pourrait bien être que cette vision, ce postulat premier, demeure. Or, dans l’Etat-entreprise d’aujourd’hui, il est attendu de l’individu qu’il vienne à l’action sociale, et donc qu’il s’y reconnaisse au moins un peu.

Zoomons sur deux éléments fondamentaux, constitutifs de l’identité de notre société et voyons comment ils nous structurent.

L’entreprise d’abord. Sorte de Midas des temps modernes, elle transforme tout ou presque ce qu’elle touche, de l’idée à l’objet, en produit commercialisable. Et au passage, l’individu en consommateur. Internet, ensuite, ce créateur de nouveaux espaces et possibilités de liens. Observons que l’entreprise régit merveilleusement cet outil virtuel mis à sa disposition. Elle norme les échanges qui s’y déroulent, insuffle ses pratiques aux autres organismes et institutions, et est parvenue à donner une valeur marchande à quasiment toute connexion. Peu importe qui est le connecté, il est à la fois anonyme et important, car source de valeur ajoutée. En somme, l’individu se construit aujourd’hui par le biais d’une valeur marchande ajoutée à ses rapports sociaux.

Adopter un nouveau langage

En prime, nous héritons d’un citoyen virtuel qui considère son avis comme primordial, et c’est le cas quels que soient ses idées, son portefeuille ou son état de santé : un tweet est un tweet et une visite sur un site web en légitime le succès, car elle est potentiellement source de revenus publicitaires. Dès lors, il n’existe plus de malades ou d’indigents. Il n’y a plus séparation d’un groupe social, plus de catégorisation. L’individu actuel, être sans passé et sans visage, est en capacité d’influer sur les décisions et l’avenir de l’entreprise, de l’institution, de la nation. L’individu, anonymisé, politisé, s’est vu transférer un certain pouvoir.

C’est dans ce contexte qu’évolue aujourd’hui une action sociale marchandisée, qui a toujours un pied dans le passé et attend, certainement avec impatience, sa “réinitialisation” pour continuer à mener efficacement des missions qui, elles, sont toujours, hélas, pleinement d’actualité.

Alors, il convient, sinon de séduire, du moins d’attirer notre bénéficiaire. Et cela passe d’abord par des questions de langage. Puisque l’individu est reconnu comme important, puisqu’il revendique le droit de décision et d’être pris en compte, l’action sociale doit, en tout premier lieu, remplacer le concept d’“aide” apportée par celui de “service”, plus léger, plus maniable et aussi… plus laïc. Au-delà, bannissons les noms connotant une image négative évoquant la détresse, l’exclusion, l’anormalité ou plus largement, la stigmatisation : les termes “maladie”, “secours”, “aide”, “urgence”, “charge”, etc. Ce faisant, nous construirons une image positive. Et l’action sociale se verra repositionnée comme la fourniture d’un service valorisant socialement, un service presque premium, tout comme on le ferait pour un bien de consommation. Ne donnons plus au futur bénéficiaire le sentiment de monter dans la “voiture-balai” de notre système.

Repenser le rapport à « l’autre »

Prenons deux exemples. Commençons par une prestation appelée “frais d’intervention d’une tierce personne en cas de problème de santé”. Le terme “frais d’intervention” évoque à la fois une dépense et une intrusion. Celui de “tierce personne” renvoit à quelqu’un d’inconnu, à un froid affectif, de même que le mot “problème”. Notre nouveau “service” emploierait plutôt les vocables “appui logistique”, “escorte”, etc. Second exemple : l’“aide au permis de conduire”, qui véhicule l’image de ne pouvoir accéder à ce que le plus grand nombre acquiert facilement. Sur le même principe, nous utiliserions plutôt des locutions comme “pass déplacement” en phase avec certains produits liés aux transports. De plus, elle permettra d’enrichir la ligne avec d’autres prestations auxquelles nous n’aurions pas pensé. En changeant de langage, on change également d’outil et d’autres gestes deviennent possibles.

Une fois l’offre redéfinie, il s’agira de mettre en forme une communication appropriée, de faire coïncider par les moyens techniques idoines l’offre et la demande en synergie avec tout le travail accompli précédemment. C’est une phase primordiale, pour éviter les actuels fréquents non-recours.

Se dessine ensuite un travail tout à fait intéressant de modification des postures avec une réflexion sur la juste distanciation à acquérir dans ce nouveau rapport à “l’autre”. C’est toute la procédure d’accueil qui est à rebâtir pour pérenniser l’exercice d’une noble profession dans une mission tout aussi noble.

En tant qu’observateur et acteur de l’action sociale, cette évolution me semble nécessaire et d’autres virages pris plus tôt nous auraient permis d’éluder cette situation. Il s’agit de naviguer dans un milieu résultant de toutes les transformations passées, de coller au processus engagé tout en le guidant au mieux. Le contre-courant entraîne une forte résistance et la volonté de revenir en arrière se solderait, j’en ai peur, par des ruptures, des déroutes, voire des naufrages, ici susceptibles de toucher des pans entiers d’une profession déjà malmenée et des bénéficiaires en grand besoin d’accompagnement. De même, au-delà de la crise sanitaire que nous traversons, il y a une mutation sociale dont nous ne mesurons pas encore tous les effets, mais que nous devons bien comprendre pour être en mesure d’accompagner au plus près les changements qu’elle produira. »

Contact : jmarc.abergel@free.fr

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