La notion de « travail social » regroupe de nombreuses activités et rassemble différents types d’acteurs, allant des centres sociaux aux établissements pour personnes handicapées ou pour personnes âgées. Or, le cadre légal du travail social ayant beaucoup évolué au fil du temps, l’application du secret professionnel dans ce secteur s’est modifiée en conséquence.
Ce n’est qu’en 2017 qu’un décret(1) a intégré une définition du travail social qui, pour la première fois, obtenait une définition juridique très détaillée. Dorénavant, l’article D. 142-1-1 du code de l’action sociale et des familles (CASF) précise : « Le travail social vise à permettre l’accès des personnes à l’ensemble des droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à exercer une pleine citoyenneté. Dans un but d’émancipation, d’accès à l’autonomie, de protection et de participation des personnes, le travail social contribue à promouvoir, par des approches individuelles et collectives, le changement social, le développement social et la cohésion de la société. Il participe au développement des capacités des personnes à agir pour elles-mêmes et dans leur environnement.
A cette fin, le travail social regroupe un ensemble de pratiques professionnelles qui s’inscrit dans un champ pluridisciplinaire et interdisciplinaire. Il s’appuie sur des principes éthiques et déontologiques, sur des savoirs universitaires en sciences sociales et humaines, sur les savoirs pratiques et théoriques des professionnels du travail social et les savoirs issus de l’expérience des personnes bénéficiant d’un accompagnement social, celles-ci étant associées à la construction des réponses à leurs besoins. Il se fonde sur la relation entre le professionnel du travail social et la personne accompagnée, dans le respect de la dignité de cette dernière.
Le travail social s’exerce dans le cadre des principes de solidarité, de justice sociale et prend en considération la diversité des personnes bénéficiant d’un accompagnement social. »
Si cette définition du travail social semble très complète et suffisamment large pour définir un secteur à part entière, ainsi que les professionnels le composant, une notion est totalement exclue : celle du secret professionnel. Il est ainsi question des missions principales du travailleur social intégrant l’inclusion sociale, l’accès à l’autonomie ou encore la protection des personnes, comme le développement des capacités de ces dernières. Cependant, à aucun moment la notion de secret professionnel, qui semble pourtant devoir s’appliquer nécessairement aux travailleurs sociaux, n’est évoquée. Or le cœur de l’activité de l’ensemble des travailleurs sociaux, quels que soient leur profession ou leur mode d’intervention, conduit nécessairement à une immixtion réelle dans la vie privée des bénéficiaires qui devrait, en corrélation, induire l’existence d’un secret professionnel permettant tant aux intervenants qu’aux bénéficiaires de réaliser leur mission dans des conditions optimales.
La problématique est en réalité d’autant plus complexe que la notion de « travailleur social » regroupe de nombreuses professions et que, si certaines d’entre elles bénéficient du secret via leur statut, une large part en est exclue et rend difficile, dans certaines situations pratiques, l’activité des professionnels. Aucune notion collective pour l’ensemble des travailleurs sociaux n’étant posée par l’article intégré par le décret de 2017, les contours du secret professionnel doivent être, en premier lieu, recherchés pour chaque activité, afin de déterminer l’existence d’une soumission au secret professionnel spécifique.
Certains travailleurs sociaux sont soumis au secret professionnel, en raison de leur profession, de leur mission ou fonction, et cela doit être prévu par la loi ou le règlement. Sont ainsi concernés :
• les assistants de service social ;
• les travailleurs sociaux qui participent à des missions relevant du service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou du service de protection maternelle et infantile (PMI) ;
• les professionnels des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) ou exerçant des missions relevant du revenu de solidarité active (RSA) ;
• les personnels intervenant dans le cadre du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ;
• les personnels qui interviennent au sein des services intégrés de l’accueil et de l’orientation (SIAO) insérés dans les dispositifs d’urgence sociale et d’hébergement.
De même, les centres communaux et intercommunaux d’action sociale (CCAS-CIAS) sont soumis, par un texte spécifique, au secret professionnel. Ainsi, l’article L. 133-5 du code de l’action sociale et des familles fixe expressément que toute personne intervenant dans le cadre de l’instruction, de l’attribution ou de la révision d’une admission à l’aide sociale, intégrant les membres des conseils d’administration des centres ou toute autre personne dont ces établissements utilisent le concours, sont tenus au secret professionnel dans les conditions fixées par le code pénal.
Les informations couvertes par le secret professionnel ne sont pas définies par un texte. Seule la jurisprudence est venue déterminer les informations qui doivent bénéficier du secret et les limites qui sont applicables devant conduire à la levée du secret professionnel. Il est alors en pratique très difficile, d’une part, d’articuler l’obligation du professionnel de protéger les secrets dont il a eu connaissance dans le cadre de son activité et qui sont expressément visés par le code pénal et, d’autre part, de savoir déterminer ensuite à quel moment la révélation du secret est autorisée, voire imposée.
Dans son rapport annuel pour 2010 relatif au « droit de savoir », la Cour de cassation évoque de manière détaillée la problématique de ce droit de savoir face au secret opposé par leur dépositaire, et spécifiquement dans le cadre des secrets professionnels.
Les travailleurs sociaux, au regard de leur activité et de l’ensemble des informations auxquelles ils ont accès relevant de la sphère privée, sont particulièrement concernés par l’existence du secret professionnel et par la soumission à celui-ci, et, conséquemment, par les hypothèses d’autorisation, voire d’obligation, de levée du secret. Or la Cour de cassation relève dans son rapport qu’en l’absence de définition des contours et des limites des secrets professionnels, c’est la chambre criminelle de la Haute Juridiction qui a été contrainte de déterminer une jurisprudence, qualifiée de « complexe », permettant de tracer une ligne de démarcation entre l’article 226-13 du code pénal – lequel précise expressément que « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie de 1 an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende » – et l’article 226-14 du même code – qui vise, quant à lui, les conditions de révélation du secret et d’inapplicabilité dans les conditions suivantes :
« L’article 226-13 n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n’est pas applicable :
• à celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou de mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ;
• au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être, mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 226-3 du CASF, les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n’est pas nécessaire […]. »
Dans son rapport pour 2010, la Cour de cassation relève les difficultés à combiner les dispositions du code pénal, et retient : « Une illustration particulière de l’ambivalence qui caractérise le droit pénal actuel est l’articulation entre l’importance pour l’autorité judiciaire du droit de savoir, indispensable à la manifestation de la vérité, et le respect du secret que la loi a entendu protéger au bénéfice d’intérêts qu’elle reconnaît comme légitimes. » (Cour de cassation, Rapport 2010, 3e partie : « Etude – Le droit de savoir »). Il appartient à l’ensemble des professionnels soumis au secret de déterminer les informations qui doivent être couvertes par ce dernier et les exceptions tant de levée du secret que de son partage. Sur la question de la levée du secret, la chambre criminelle de la Cour de cassation regroupe au sein d’une même catégorie les différents corps de métiers, activités ou professions soumis au secret et leur attribue de manière identique la distinction entre l’existence des secrets protégés et les limites de cette protection. La protection intervient pour tout élément contribuant au droit à la vie privée, mais la notion d’intérêt général doit obtenir la primeur sur le droit individuel. A titre d’exemple, le secret relatif à la situation d’un mineur dans le cadre d’un service éducatif ne devra pas être opposable au juge des enfants ou encore au président du conseil départemental compétent (Cass. crim., 8 octobre 1997, n° 94-84801). On devra retenir que les décisions de la Cour de cassation mettent en balance le secret et la proportionnalité au but recherché.
Quant à l’autorisation de partager le secret professionnel, il est également nécessaire qu’un texte de loi l’admette. A titre d’exemple, le CASF permet expressément le partage du secret professionnel dans le cadre de l’évaluation des situations individuelles au sein de la protection et de l’aide offerte aux mineurs (CASF, art. L. 226-2-2). Les conditions spécifiques peuvent être fixées par le législateur qui retient au sein de l’exemple précité l’obligation d’informer les dépositaires de l’autorité parentale.
Dans le cadre de la protection des personnes en matière de santé, le partage et l’échange d’informations sont régis par l’article L. 1110-4 du code de la santé publique (CSP), qui définit les modalités selon lesquelles les informations à caractère secret peuvent être échangées, mais également les limites et notamment celles fixées quant au contenu et à l’étendu des informations qui peuvent être échangées. De même, la personne concernée par le partage des informations devra être informée préalablement de sa faculté de s’opposer à l’échange et au partage d’informations.
La question du secret professionnel et du partage d’informations dans le secteur sanitaire, social et médico-social est donc traitée en plusieurs blocs successifs par le CASF. Au sein du premier bloc, est posée la définition de l’ensemble des professionnels, établissements ou services soumis au secret des informations recueillies dans le cadre de l’activité professionnelle. On note avec intérêt que le législateur a pris le soin de s’attacher aux professionnels, aux établissements, aux services ou aux organismes et qu’il vise l’ensemble des professionnels sans distinction aucune, outre le fait qu’il s’attache, au-delà de la santé, aux professionnels du secteur médico-social ou social ou aux établissements et services sociaux ou médico-sociaux visés par le CASF.
Le code de la santé publique renvoie expressément aux dispositions du I de l’article L. 312-1 du CASF, qui établit la définition des établissements et des services sociaux et médico-sociaux.
Ainsi, le droit au respect à la vie privée et au secret des informations de toute personne prise en charge par un professionnel du secteur social et médico-social trouve application au sein :
• des établissements ou services qui prennent en charge des mineurs et des majeurs de moins de 21 ans ;
• des établissements ou services d’enseignement assurant une éducation adaptée à titre principal et un accompagnement social ou médico-social à des mineurs ou à de jeunes adultes en situation de handicap ou présentant des difficultés d’adaptation ;
• des centres d’action médico-sociale précoce (dans les conditions fixées par l’article L 2132-4 du CSP) ;
• des établissements et services qui mettent en œuvre des mesures éducatives ordonnées par l’autorité judiciaire s’agissant de l’enfance délinquante, concernant des majeurs de moins de 21 ans ou des mesures d’investigation préalables aux mesures d’assistance éducative ;
• de l’ensemble des établissements ou des services d’aide par le travail, sauf exception, de réadaptation, de préorientation ou de rééducation professionnelle ;
• des établissements et services accueillant des personnes âgées ou apportant directement à leur domicile une assistance tant dans les actes de la vie quotidienne que des prestations de soins ou d’aide à l’insertion sociale ;
• des établissements et services intégrant les foyers d’accueil médicalisés accueillant les personnes handicapées ou atteintes de pathologies chroniques, comme les établissements et services apportant à domicile une assistance dans les actes de la vie quotidienne, le soin ou l’insertion sociale ou l’accompagnement médico-social en milieu ouvert ;
• des établissements ou services dans le cadre de l’accueil, le soutien et l’accompagnement social, l’adaptation à la vie active ou l’insertion sociale et professionnelle des personnes et des familles en difficulté ou en situation de détresse (établissements comportant ou non un hébergement, intégration de l’accueil notamment dans les situations d’urgence) ;
• des établissements ou services assurant l’accueil et l’accompagnement de personnes en vue de favoriser leur adaptation à la vie active et l’aide à l’insertion sociale et professionnelle ou d’assurer des prestations de soins et de suivi médical (intégration des centres de soins type prévention et accompagnement en addictologie) ;
• des foyers de jeunes travailleurs ;
• des centres d’information et de coordination et des centres prestataires de services de proximité en charge d’actions de dépistage, d’aide, de soutien ou de formation ou d’information, conseil, expertise ou coordination au bénéfice d’usagers… ;
• des établissements ou services à caractère expérimental ;
• des centres d’accueil s’agissant des demandeurs d’asile ;
• des services en charge de la mise en œuvre des mesures de protection des majeurs (sous réserve d’une ordonnance rendue par l’autorité judiciaire) ;
• des services mettant en œuvre les mesures judiciaires d’aide à la gestion du budget familial ;
• des services assurant des activités d’aide personnelle à domicile ou d’aide à la mobilité de proximité au bénéfice de familles fragiles.
Ainsi, le champ d’application de l’article L. 1110-4 du CSP apparaît recouvrir l’ensemble des professions et activités qui peuvent intégrer le champ du travail social. En conséquence, les professionnels du travail social demeurent soumis dans leur globalité au secret dans les conditions précitées.
Les droits des personnes prises en charge au respect de leur vie privée et au secret des informations les concernant viennent expliciter également l’étendue du secret. Ainsi, ce dernier couvrira « l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de part ses activités, avec ces établissements ou organismes […] » (CSP, art. L. 1110-4).
Dès lors que plusieurs professionnels participent à la prise en charge d’une personne, des informations peuvent être échangées mais doivent être strictement limitées à la coordination, la continuité des soins, la prévention ou le suivi social et médico-social.
Lorsque l’échange s’effectue entre professionnels appartenant à la même équipe de soins, les limites du partage de l’information sont identiques (informations nécessaires à la coordination, à la continuité de soins, au suivi social ou médico-social) mais les informations sont réputées confiées par la personne à l’ensemble de l’équipe et non aux professionnels auxquels la personne s’est adressée. En revanche, dès lors que les différents professionnels ne font pas partie de la même équipe de soins, le consentement de la personne est préalable à l’échange des informations.
Le législateur a intégré l’obligation d’information préalable du droit d’exercer une opposition – à tout moment – à l’échange ou au partage d’informations de la personne.
L’obtention ou la tentative d’obtention de la communication des informations soumises au secret est passible d’une peine d’emprisonnement de 1 an et de 15 000 € d’amende. Si le code de la santé publique ne fait aucune référence au code pénal de manière expresse, les sanctions sont strictement identiques à celles prévues par l’article 226-13 applicable en cas de révélation d’une information à caractère secret, par toute personne en ayant eu connaissance soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire.
A noter : Les conditions d’échange et de partage d’informations ainsi que l’hypothèse du partage au sein d’une équipe de soins ou entre professionnels non identifiés comme faisant partie de la même équipe ont été abordées par les décrets nos 2016-994 et 2016-996 du 20 juillet 2016.
(1) Décret n° 2017-877 du 6 mai 2017 relatif à la définition du travail social, J.O.du 10-05-17.