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Panser la tête et le corps pour mieux vivre

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A Nantes, l’association La Fabrique créative de santé propose des médiations corporelles et créatives aux personnes atteintes de maladies chroniques – somatiques comme psychiques – pour améliorer leur qualité de vie. Après sept ans d’existence, ce dispositif, qui accueille 70 % de personnes précaires, voit sa pertinence validée par une recherche scientifique.

Les poings fermés pressent les tempes. La pulpe des doigts frotte le cuir chevelu, rejoint les lignes du crâne, là où se nichent les tensions. Installés en demi-cercle autour de l’intervenante, six femmes et un homme, tous atteints de maladies chroniques, débutent la journée par une séance d’automassage. Une matinée tout en douceur à La Fabrique créative de santé de Nantes. « On va travailler sur le sternum, des zones très douloureuses, points de départ des méridiens du poumon, des points liés à l’émotion », commente Céline Jominy, masseuse non voyante, comme le sont tous les praticiens de sa société AlterMassage, entreprise solidaire et d’utilité sociale spécialisée dans les prestations de bien-être et de prévention santé au travail. Des pieds à la tête, elle passe en revue les points énergétiques à travailler, chacun à son rythme, sans céder aux douleurs qui pourraient poindre. L’objectif : redonner du mouvement, de la vie au corps, évacuer les mauvaises énergies. « Je ressens une chaleur et une fatigue. Mais une bonne fatigue, physique plus que psychique », fait remarquer Claire, 35 ans, atteinte d’une maladie endocrinienne rare qui lui crée de fortes crises d’anxiété. « Je suis là pour développer la confiance en moi, m’ouvrir à moi et aux autres, tout en respectant mon corps. »

Méditation de pleine conscience, yoga, shiatsu, sophrologie, qi gong… La liste des ateliers proposés à La Fabrique créative de santé ressemble à un abécédaire de développement personnel. Des activités en plein essor, dédiées souvent à des personnes aisées. Sauf ici. Créée par Anne Le Rhun, médecin de santé publique, et Catherine Greffier, ingénieure en éducation thérapeutique du patient, la structure est née en 2013 au sein de l’unité transversale d’éducation thérapeutique du patient (Utep) du CHU de Nantes. Elle accueille les personnes – ou leurs proches aidants – atteintes de maladies chroniques. Autrement dit, ces patients souffrent de problèmes de santé d’ordre physique, mental ou social qui affectent leur qualité de vie depuis plus de trois mois. La Fabrique leur propose gratuitement des médiations corporelles mais aussi créatives (mosaïque, écriture, théâtre…). Un moyen pour améliorer leur qualité de vie, dans le cadre de l’éducation thérapeutique du patient. En somme, il s’agit d’apprendre à gérer son stress et ses émotions, à améliorer l’image de soi, à accepter sa maladie et à en modifier ses représentations. Ou, tout simplement, à initier un processus de changement.

Les publics concernés sont d’âge et d’origine sociale variés, et c’est aussi ce qui fait la force de l’association. Ils viennent à La Fabrique souvent par le bouche-à-oreille, conseillés par le CHU, leur médecin généraliste ou des travailleurs sociaux. Parmi eux, beaucoup de femmes et de personnes précaires : 70 % de ses adhérents vivent ainsi une situation de précarité, selon l’association, qui se réfère au score Epices (évaluation de la précarité et des inégalités de santé dans les centres d’examens de santé), un indicateur qui prend en compte à la fois les situations financière, sociale et culturelle. « La maladie chronique engendre la précarité, et inversement, explique Elodie Basset, cofondatrice et présidente de La Fabrique. Elle entraîne aussi beaucoup de séparations : les femmes malades ont tendance à se retrouver seules, ce qui, à l’inverse, n’est pas le cas. »

Un remède à l’isolement

La difficulté financière, peu des personnes concernées la racontent. Beaucoup, pourtant, sont en incapacité de travailler du fait de leur maladie. Ou alors à temps partiel. Certains bénéficient de l’allocation aux adultes handicapés. D’autres encore, comme Corinne, sont reconnus travailleurs handicapés sans pour autant bénéficier d’indemnités : « J’ai tellement appris à relativiser que je fais avec », philosophe-t-elle. L’isolement social, lui, constitue une dimension fondamentale de la précarité des patients. La pathologie chronique, avec ses douleurs récurrentes, sa fatigue, son moral en berne, confine beaucoup de personnes à la solitude. « La dépression, c’est une maladie incomprise de ceux qui n’en ont jamais souffert. Elle isole, empêche de faire beaucoup de choses dans la vie et crée une tendance à se replier sur soi », explique Coralie. Cette éducatrice de jeunes enfants, qui souffre de troubles psychiques, a découvert le dispositif par le théâtre du vécu. « On écrivait un épisode de notre histoire qui nous avait marqués, on le lisait devant le groupe. Et les intervenants le mettaient en scène. Voir de l’extérieur m’a permis de prendre du recul sur la situation. C’est un temps où on est proche les uns des autres, où on partage des choses difficiles. Ça fait du bien. »

La Fabrique allie l’esprit et le corps. Elle apaise la tête pour panser les jambes. Ou inversement. « J’ai beau avoir une maladie psychique, elle me rend très cérébrale. Et j’ai un manque de connaissance de mon propre corps qui est mis de côté, explique Claudia, 32 ans(1). Elle fréquente le tout nouvel espace Agnès Varda, qui regroupe, à quelques mètres de là, le restaurant social et les bains-douches de Nantes. Avec l’association, elle a essayé la méthode Pilates et les massages crânio-sacrés. L’une comme l’autre ne lui ont guère convenu, mais des ateliers sur l’estime de soi, en revanche, lui ont apporté beaucoup. « Personne ne se doute de mes troubles, ma maladie est invisible. Mais elle induit une confiance en moi très altérée. J’ai souvent des problèmes d’attention, de concentration, qui m’empêchent de travailler. Les séances sur l’estime de soi m’ont permis d’avancer. On devait parler de nos besoins, avec une discussion où l’on circulait dans l’espace, debout, de manière assez vivante. On s’écoutait, on se comprenait. »

Corinne, 56 ans, a participé à des séances de pilate et à un atelier d’écriture : « C’était une véritable bulle d’air dans le quotidien et un plaisir de se retrouver, sans connaître la pathologie des gens, mais juste pour partager un moment autour d’un atelier, à s’échanger des trucs et astuces autour de la maladie chronique. J’ai trouvé de la bienveillance et de l’écoute. » A tel point qu’elle a rejoint le conseil d’administration de l’association. Plus qu’un simple lieu consacré au bien-être, La Fabrique de santé crée, de toute évidence, du lien social. Elle organise ainsi régulièrement des brunchs solidaires, des vide-dressings, des apéros-concerts, qui sont autant d’occasions de financer les activités de l’association mais aussi, pour ses adhérents, de s’engager et de rompre l’isolement.

Élargir l’esprit

La Fabrique de santé ne relève ni vraiment du secteur social, ni tout à fait du secteur médical. Elle est plutôt un pont entre l’hôpital et la société civile. « Le médical, c’est bien, mais ça ne suffit pas. Une maladie chronique oblige à une remise en question générale de son mode de vie, explique Anne, 49 ans(2). La structure propose une approche assez globale, non axée sur la maladie mais sur un rétablissement de l’esprit, qui permet une première acceptation de celle-ci. Et le fait de s’adresser à une association assez généraliste permet de pousser la porte plus facilement. Ça élargit l’esprit de voir d’autres maladies chroniques : on met un curseur et on relativise ses problèmes médicaux. »

Si le dispositif est unique dans sa forme, les types de médiations visant à redonner du pouvoir d’agir aux patients se sont développés ces dernières années. Dans le champ de la psychiatrie, notamment. Le Centre de référence en soins d’éducation thérapeutique et de remédiation cognitive (Creserc) du CHU de Nantes est ainsi complémentaire. « La différence, c’est qu’à La Fabrique, les personnes souffrant de troubles psychiques ne sont pas entre elles. Ça déstigmatise de manière puissante de ne pas les mettre dans un endroit séparé du reste du monde, explique Marion Chirio-Espitalier, psychiatre au CHU de Nantes. Et, par ailleurs, La Fabrique poursuit l’objectif de soutenir le bien-être mais n’a pas d’intention de soin. Avoir moins de troubles cognitifs, c’est important, mais retrouver du sens, de l’autogestion de son bien-être et de sa qualité de vie, c’est aussi indispensable. »

Éducation thérapeutique

Dans les bureaux, ce mercredi, Donia Ahmed reçoit Catherine, en entretien de diagnostic. Comme elle le fait pour chaque nouvel adhérent. Cette femme de 53 ans, atteinte de fibromyalgie, a frappé à la porte de l’association après que son médecin lui a conseillé de reprendre une activité physique. « J’ai essayé de pratiquer dans des cours privés, mais c’était trop compliqué, les professeurs ne s’adaptaient pas du tout à des gens comme moi », explique-t-elle lors de son entretien de diagnostic. Au centre de la table, un dessin représente un enchevêtrement de routes entouré d’une ville. Donia Ahmed l’invite à désigner sur la carte où elle aimerait être. « Dans les immeubles, lui répond Catherine, car ils représentent la vie sociale. » Son traitement médical convient. Reste à trouver le plus qui lui permettra d’améliorer sa qualité de vie.

Catherine s’engage sur dix séances de Pilates. Covid oblige, le groupe est partagé en trois et les séances se limiteront à trois mois au lieu d’une année complète. « Ensuite, on fera le bilan et on verra si vous souhaitez être orientée vers un atelier », explique Donia Ahmed. Gratuites, les médiations sont limitées à deux par personne. Mais des activités annexes sont proposées, au prix d’une modeste cotisation fixée en fonction du quotient familial des adhérents. Les « Ateliers + » permettent ainsi de se retrouver autour de la cuisine, de la photographie ou d’un groupe de paroles. Ils sont parfois proposés à l’initiative d’adhérents.

La Fabrique dispense également des formations pour les professionnels et les patients. Une démarche pédagogique pour maîtriser l’éducation thérapeutique du patient, pour apprendre à communiquer avec les professionnels de santé ou à gérer ses émotions. Elle s’adresse aussi aux aidants, pour leur permettre d’appréhender leur rôle. Et, malgré des difficultés à trouver des financements de par son positionnement à cheval entre les domaines médical et social, elle poursuit son développement. Elle compte ainsi déployer un projet d’e-Fabrique pour toucher, grâce à la visioconférence, un public plus large, qui ne peut pas forcément se déplacer à Nantes. Pour l’aider dans son entreprise, les travaux de recherche menés depuis quatre ans par les équipes du CHU devraient valider, début 2021, tout l’intérêt de sa démarche (voir encadré). Une reconnaissance après sept années passées au chevet des malades chroniques.

Une recherche scientifique prometteuse

Les médiations corporelles et créatives ont-elles un impact sur la gestion des émotions ? Améliorent-elles la qualité de vie des patients atteints de maladie chronique ? Et, si oui, comment ? C’est l’objet de la recherche que mènent depuis 2016 les cofondatrices de La Fabrique créative de santé, Anne Le Rhun, médecin de santé publique, et Catherine Greffier, ingénieure en éducation thérapeutique au CHU de Nantes. « Le champ de l’éducation thérapeutique est encore peu exploré et il y a très peu d’études sur la question », explique Anne Le Rhun. A partir d’entretiens auprès de deux groupes de 75 personnes – l’un ayant participé aux activités de la Fabrique créative de santé, l’autre n’en ayant pas bénéficié –, l’équipe du CHU a modélisé neuf étapes du processus de transformation des patients qui les a aidés à mieux vivre leurs émotions. La participation à ces médiations corporelles et créatives leur a d’abord permis d’être plus attentifs à leurs émotions, à mieux les exprimer, symboliquement ou physiquement, et à en avoir conscience. Elle leur a permis de mieux comprendre ce qui leur arrive, de mieux l’accepter et de relativiser une situation désagréable. Par ailleurs, ces médiations ont favorisé l’estime de soi et la prise de décision pour prendre davantage soin de soi. Elles leur ont enfin permis de mettre en place des actions adaptatives, de régulation émotionnelle. Les résultats devraient faire l’objet d’une publication, début 2021, dans une revue médicale à déterminer.

Notes

(1) et (2) Les prénoms ont été modifiés.

(1) et (2) Les prénoms ont été modifiés.

Reportage

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