« L’intervention au domicile inscrit les professionnels dans une relation spécifique avec l’usager et ses aidants. D’une part, isolés et souvent éloignés des professionnels d’encadrement ou des gestionnaires, les intervenants agissent sous le regard direct des usagers et, parfois, des aidants. Cette relation triangulaire peut être source de désaccord, voire de conflit, qu’il n’est pas toujours évident de désamorcer. Parfois simples spectateurs de drames familiaux, les intervenants peuvent également être au cœur de la tension entre la personne aidée et les aidants, ou entre les aidants eux-mêmes. » Si le soutien des aidants non professionnels de personnes âgées dépendantes et de personnes adultes en situation de handicap a fait l’objet d’une recommandation de bonnes pratiques professionnelles dès 2014, la gestion de la relation avec les proches de la personne accompagnée est encore trop souvent sous-estimée et peu valorisée par les services d’aide à domicile, faute de temps et de moyens.
Pendant deux ans, l’Aract (Agence régionale pour l’amélioration des conditions de travail) Auvergne-Rhône-Alpes a travaillé sur un projet visant à valoriser et améliorer la coopération entre les professionnels des métiers du maintien à domicile et les proches des personnes aidées. Baptisée Coop’Aidants, cette démarche a été réalisée avec le soutien d’AG2R La Mondiale, en partenariat avec l’ADMR 42, l’UNA 42-43 et l’association MSERA (Moderniser sans exclure Rhône-Alpes). « Une relation peu harmonieuse peut vite devenir un facteur d’usure important pour le professionnel, surtout quand elle se cumule à d’autres contraintes liées au travail », souligne l’Aract. Et de poursuivre : « Les professionnels obtiennent des signes de reconnaissance importants à travers la relation avec la personne aidée, mais aussi avec le ou les proches aidants. Si cette relation est dégradée, elle contribue à la survenue de troubles psychosociaux comme du stress, du mal-être, du désengagement, voire des problèmes de santé et de l’absentéisme. »
Barbara Duquesne, chargée de mission à l’Aract Auvergne-Rhône-Alpes, insiste sur l’importance de mieux comprendre la relation entre les professionnels et les proches aidants. « Dans le secteur, la qualité de la relation avec la personne aidée est nécessaire pour l’accompagnement, c’est une composante très forte de l’activité des professionnels. Les proches aidants sont plus ou moins présents, plus ou moins proches et, tout comme le bénéficiaire, plus ou moins prêts à accueillir les professionnels dans leur sphère privée. Trouver sa place n’est pas chose évidente », souligne-t-elle.
Dans le cadre du projet Coop’Aidants, certains professionnels témoignent du fait que la relation avec les proches aidants est une composante fondamentale de leur travail, une compétence essentielle, au même titre que la réalisation des gestes techniques et que la gestion de la relation avec la personne aidée. « Les professionnels de l’aide à domicile s’efforcent de gérer au mieux la relation avec l’entourage de la personne aidée. Mais cela ne va pas de soi car, comme pour ce qui est de la relation avec la personne aidée, de nombreux facteurs (conjoncturels, affectifs, personnels, professionnels…) peuvent interférer », reconnaît l’Aract.
Aujourd’hui, cette relation est un pan peu visible de l’activité des professionnels et encore peu intégrée dans les pratiques. Elle est souvent subie, ou gérée à l’intuition, individuellement et au coup par coup, selon les situations particulières à domicile. Ce n’est pas encore un sujet pensé comme une dimension à améliorer, et cette problématique est rarement intégrée dans les formations. « J’ai découvert sur le tas tout ce qu’il fallait gérer au niveau de la relation, je n’ai quasiment pas été formée sur ce sujet », témoigne une intervenante à domicile. « Si les relations avec la personne aidée et les proches aidants sont évoquées entre professionnels, c’est souvent quand il y a des tensions. Les structures d’aide à domicile n’ont que peu de moyens (financement, temps…) et ne savent pas toujours comment agir pour travailler et améliorer cette composante du métier et faire en sorte qu’elle donne lieu à une pratique reconnue, co-construite et partagée », déplore l’Aract.
L’Aract a identifié « deux grandes difficultés » qui font que la relation entre l’intervenant à domicile et les proches aidants est « complexe ». « Le domicile est un lieu de travail pour un tiers, mais c’est avant tout un lieu de vie. Le domicile n’est pas un lieu qui a été pensé pour une intervention professionnelle. Lorsqu’on est proche aidant, on doit aussi faire place à l’intervenant, voire à de multiples interventions dans le cas de prise en charge plus lourde », note Barbara Duquesne. Deuxième difficulté : Les travailleurs sociaux ou médico-sociaux, les personnes aidées et les proches aidants portent chacun des représentations sur ce que doit être l’accompagnement. « Chacun a ses propres attentes. Se mêlent des choses qui relèvent de l’ordre de l’affectif, du personnel, voire de l’intime. Les professionnels peuvent être face à des non-dits, des mal-dits qui peuvent créer des incompréhensions et des tensions pour la mise en place de l’intervention à domicile », ajoute la chargée de mission.
Comment passer alors d’une gestion de la relation plutôt subie, imposée, au coup par coup, à une véritable coopération plus construite ? « Pour coopérer, il faut être capable d’agir ensemble en ayant un but commun. Cela suppose de partager des objectifs et de priorités. Le projet conjoint pour lequel peuvent coopérer les parties prenantes est le projet d’accompagnement ou le projet de vie de la personne aidée », considère Christine Martin-Cocher, chargée de mission à l’Aract. Le projet Coop’Aidants a donc permis d’identifier quatre conditions pour faire évoluer la relation entre proches aidants et professionnels. En premier lieu, il s’agit de définir ensemble les enjeux et le cadre de la mission d’aide à domicile, en particulier en amont de la mise en place de l’intervention. « Il est très rare que proches aidants et professionnels puissent se rencontrer avant que l’accompagnement de la personne aidée ne démarre », rappelle Christine Martin-Cocher.
Deuxième objectif : reconnaître et clarifier la place de chacun et la définir. « Lorsque la posture particulière de chacun n’est pas explicite, elle n’est pas toujours comprise ni respectée, et cela peut être à l’origine de décalages importants dans l’analyse des situations. Par ailleurs, connaître la posture de l’autre permet de mieux envisager quelle place chacun peut occuper auprès de la personne aidée, de mieux mutualiser les ressources et les compétences », précise l’Aract.
Le troisième axe de travail consiste à définir « des espaces et des temps » pour réévaluer, au fil de la mission, les besoins de chacun. « Les missions d’accompagnement à domicile se jouent dans la durée. Les besoins de la personne aidée, du proche aidant et du professionnel peuvent évoluer. Quand les besoins de l’un évoluent, les autres en sentent les effets, et ce n’est pas toujours formulé ni compris », explique Christine Martin-Cocher. « Ces temps permettraient de désamorcer les possibles tensions entre les protagonistes, de parler sereinement des évolutions en cours ou à venir, de mieux identifier les ressources nécessaires pour accompagner. » Au niveau des structures d’aide à domicile, il n’est pas facile de dégager du temps pour accompagner proches aidants, personnes aidées et professionnels. Si les services ont souvent conscience de ce besoin, ils manquent de moyens humains et financiers pour le faire.
Enfin, le quatrième et dernier pilier de la réflexion porte sur la reconnaissance et le développement des compétences professionnelles nécessaires à la coopération avec les proches aidants. « Les professionnels ayant participé au projet Coop’Aidants sont non seulement qualifiés mais ont également développé, en situation de travail, de grandes compétences, propres à la relation d’aide. Or ces compétences sont peu formalisées et peu valorisées, hormis le fait que les structures n’envoient pas n’importe quel professionnel dans n’importe quelle situation. Lorsque les aides à domicile possèdent ces compétences clés de la relation d’aide, elles savent créer la coopération avec les personnes aidées et les proches aidants, et ces derniers sont les premiers à saluer la qualité de la prise en charge de la personne aidée », insiste l’Aract.
La coopération entre professionnels et proches aidants n’est pas à ce jour un sujet abordé collectivement. « On a besoin de professionnels formés et qui puissent adapter leurs postures aux différents types de proches aidants. Il y a sûrement un prisme nouveau à prendre pour regarder l’accompagnement à domicile », conclut Christine Martin-Cocher.
L’Aract Auvergne-Rhône-Alpes a développé des supports pédagogiques pour les services d’aide à domicile afin d’animer un atelier de trois heures sur la thématique de la coopération professionnels-proches aidants. Ce kit ressources comprend un guide, des fiches et supports disponibles sur le site auvergnerhone alpes.aract.fr. Deux vidéos présentent les témoignages croisés de quatre proches aidants et de sept professionnels de services d’aide à domicile de la Loire et de la Haute-Loire sur la complexité des relations professionnelles à domicile.