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Un espace d’avenir pour jeunes parents isolés

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A Saint-Denis, en Ile-de-France, le centre ALJM héberge et accompagne une trentaine de familles. Parfois mineurs et sans papiers, les parents y sont suivis jusqu’aux 3 ans de leur enfant. Un dispositif d’aide à la parentalité axé sur le quotidien.

Sa démarche est encore hésitante, mais son sourire, lui, est bien franc. Du haut de ses 13 mois, le petit Deagan(1) ne marche que depuis quelques semaines, ce qui ne l’empêche pas de parcourir la salle de réunion de l’ALJM (Accueil logement jeunes mères) en long, en large et en travers, tout en gazouillant. Ici, le petit garçon est pris en charge avec son père, Gervais. Employé à La Poste, le jeune homme a 25 ans quand il apprend que sa compagne d’alors est enceinte de huit mois. Déni de grossesse. La jeune femme choisit d’accoucher sous X. Gervais, lui, décide de reconnaître son fils. « Ce n’était pas une question de courage, c’était ma responsabilité. Je ne voulais pas que dans sa vie il manque d’un père. Qu’on soit heureux ou malheureux, on va partager ça ensemble », assure posément Gervais, son bonnet noir enfoncé sur la tête. Prévenu de l’accouchement, il s’occupe des démarches administratives et récupère son fils dix-sept jours après sa naissance. « En néonat’, ça a été la formation intensive. La première douche, c’était compliqué ! », plaisante le père.

Abandonné à la naissance par sa génitrice, l’enfant a automatiquement été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Or c’est justement en demandant un soutien aux psychologues et aux éducateurs de l’ASE que Gervais a été orienté vers le centre ALJM, implanté à Saint-Denis, en plein cœur de la Seine-Saint-Denis. Pour lui, comme pour les autres jeunes parents qui intègrent Les Espaces d’avenirs (Leda) (association qui a repris l’ALJM depuis 2015), le réseau familial et les ressources socio-économiques sont souvent limités. Dans ce contexte, ils ont parfois besoin d’un soutien à la parentalité et sont orientés pour ce faire vers l’ALJM par leur lycée, la mission locale, la protection maternelle et infantile (PMI), les assistantes sociales… « Ils doivent préalablement déposer un dossier auprès de la protection de l’enfance du département », précise Stéphane Laurenceau, le directeur atypique du centre d’accueil. Chemise aux motifs papillons colorés et lunettes rondes sur le nez, il est le seul homme de l’établissement. « Certaines jeunes femmes m’appellent “papa”, je leur dit : “Non, je ne suis pas votre papa.” Mais comme, parfois, je suis la première figure masculine à leur venir en aide, c’est ce surnom qu’elles me collent », raconte-t-il.

Déterminé, ouvert, le directeur ne cache rien, ou presque. Ni les difficultés dans lesquelles se trouvait la structure quand il en a pris la direction en 2018, après six ans comme chef de service au sein de l’association, ni la localisation particulière du centre dans un quartier de Saint-Denis où le trafic de drogue fait partie du quotidien, ni le poids de l’administratif dans la gestion du centre. « Je suis cash ! », prévient Stéphane Laurenceau avec un grand sourire. Et d’expliciter l’ambition de cette structure : « L’idée est que, par la suite, les mères et les pères accompagnés puissent reproduire par eux-mêmes ce qu’on leur montre. Notre travail, ici, n’est pas de connaître Dolto par cœur, mais d’être pratico-pratiques. De répondre à des questions toutes simples comme : peut-on ranger les pâtes dans le même placard que la lessive ? »

Ce genre de questions, Roselaine Alfred doit y répondre régulièrement. Cette technicienne en intervention sociale et familiale (TISF) est un repère pour les ménages : « Je vais au domicile, je fais de l’accompagnement au quotidien et je veille au bien-être et à la sécurité de l’enfant et du parent, ce qui crée une certaine proximité. » Une mission pas toujours aisée. « Les familles viennent toutes avec des fragilités, on n’arrive pas ici par hasard. L’objectif est de solidifier. Ça peut passer par l’insertion, le mode de garde, la mise en place d’un nouveau projet. Pour certaines, c’est un vrai challenge car elles n’ont jamais été insérées », précise la salariée de l’association Leda.

Ce genre de challenge n’effraie pas Jade. Elle n’a pas encore 18 ans et, pourtant, elle a déjà traversé de nombreuses épreuves. L’élégante jeune fille vêtue d’un haut en dentelle blanche prend le temps de se confier alors qu’elle a rendez-vous le jour même pour le déclenchement de son accouchement. Souriante, elle revient sur son histoire : née en Guyane, elle est enlevée par sa mère à l’âge de 8 ans et ramenée de force en France. Elle atterrit à Aulnay-sous-Bois puis est rapidement confiée à l’ASE en raison de violences familiales. Elle fréquente les foyers, puis tombe enceinte, mais ne s’en rend compte qu’au bout de six mois de grossesse. Une annonce « un peu dure », admet l’adolescente. Arrivée cet été au centre ALJM en vue de son accouchement imminent, elle partage désormais un « très grand » appartement (trois pièces principales) avec une autre mère de 17 ans. « Ça se passe très bien, ici, je me sens plus libre. Ça me rassure d’habiter pas loin du local de l’association », détaille-t-elle.

Un lieu où déposer sa parole

En plus des rendez-vous réguliers avec les travailleurs sociaux du centre, Jade a noué une relation de confiance avec sa colocataire : « J’avais des angoisses, notamment sur le fait que mon bébé régurgite et s’étouffe. J’ai pu lui en parler et elle m’a montré la technique, comment le tenir pour éviter que cela arrive. Ça m’a fait du bien d’avoir une réponse ! » Pour Stéphane Laurenceau, « ici, les familles doivent pouvoir déposer leur parole sans crainte d’être jugées. » L’équipe de l’ALJM travaille aussi au « détachement » du parent et de l’enfant. « On leur explique que mettre l’enfant à la crèche va leur procurer du temps, que ce n’est pas parce qu’on est maman que le monde doit s’arrêter », explique Roselaine Alfred. Car tous ces jeunes parents racontent la difficulté d’assumer un enfant en solo : les nuits sans dormir, les pleurs incessants, la fatigue… « Je n’étais pas prêt à changer de vie », concède Gervais. Fini les sorties avec les amis. « J’en vois l’effet, car je peux voir grandir mon fils », se réjouit-il. Quelques mois après son arrivée au centre, il a trouvé une nounou et va s’inscrire à une formation de brancardier. Quant à la gestion du budget, la méthode du jeune père est limpide : « Je dissocie l’argent pour mon fils de celui que je garde pour moi. »

La gestion des ressources est un travail crucial dans l’accueil de ces parents, car si Leda réalise l’avance des loyers, tous doivent ensuite s’acquitter de son montant – en moyenne, 120 à 150 € à débourser chaque mois. Pour les personnes en situation irrégulière, ce montant est déduit de l’allocation négociée à 980 € mensuels par famille. « Elles paient aussi l’électricité, l’assurance… Quand on vit avec un RSA [revenu de solidarité active], ça va vite ! », assure le directeur.

Parfois trop « administratif »

Au rez-de-chaussée de l’association, le bureau de Julia Suzan est bercé de lumière. La psychologue clinicienne est en poste depuis près d’un an. Si le cœur de son métier consiste à suivre les familles de l’ALJM, elle les reçoit pourtant très peu en consultation individuelle. « Ici, les familles n’ont pas l’habitude de venir voir un psychologue. C’est mal vu », souligne-t-elle. Alors, pour ne pas perdre le lien avec ces jeunes parents souvent isolés, la professionnelle se rend au domicile ou leur propose des rendez-vous à l’extérieur. Elle propose aussi des projets collectifs, des ateliers d’écriture ou des groupes de paroles. « J’essaie de partir de leurs volontés et de faire un pas de côté par rapport à l’aspect éducatif, pour être dans quelque chose de plus subjectif, culturel », précise-t-elle.

Pour autant, la psychologue doit prendre en compte certaines contraintes, comme la limite temporelle de la prise en charge à l’ALJM, qui va au maximum jusqu’aux 3 ans de l’enfant. « L’ALJM est un lieu de passage. Mon travail consiste d’abord à les écouter pour essayer de les orienter au mieux par rapport à ce qu’ils sont. Mais ce n’est pas facile. Il y a l’ASE derrière, et les jeunes gens veulent absolument montrer qu’ils sont de bons parents », pointe-t-elle. Cette pression, Ida la ressent. Cette jeune Ivoirienne est arrivée en France en 2017 pour rejoindre sa propre mère et finir ses études. Malgré la naissance de sa fille, elle n’a pas arrêté le lycée et reste focalisée sur son objectif : devenir infirmière. « Souvent déprimée », elle peut compter sur le soutien de sa colocataire, qui garde sa fille pendant qu’elle va en cours. Mais elle confie : « Ça m’inquiète de me dire que, dans moins de trois ans, ce sera terminé. » Ida a d’ailleurs fait une demande pour bénéficier d’un contrat jeune majeur pris en charge par l’ASE, et en attend la réponse.

« Ce dispositif est une chance pour les familles. Mais on leur met aussi une grosse responsabilité sur les épaules en leur disant d’emblée qu’aux 3 ans de leurs enfants, ils devront partir, affirme Stéphane Laurenceau. On responsabilise très vite ces personnes, alors que certaines arrivent très jeunes. » D’autant qu’à l’ALJM les problématiques s’entremêlent : près de la moitié des mères sont mineures, et certains parents sont sans papiers. « Parfois, l’accompagnement est davantage administratif. C’est le parcours du combattant pour avoir un rendez-vous à la préfecture, par exemple », déplore Aimée-Claire Zézé, éducatrice de jeunes enfants et travailleuse sociale à l’ALJM. Un travail jalonné de quelques lueurs d’espoir : « Quand quelqu’un décroche enfin un titre de séjour, quand il se saisit d’une opportunité, ça remotive ! »

Pour autant, l’insécurité est permanente pour les familles sans papiers. Ce que Chris supporte très mal. Arrivé en France en 2016, ce Congolais de 29 ans est le père d’une petite fille de 2 ans. Lorsque celle-ci est née, il poursuivait ses études à l’université de Reims, mais il a perdu tous ses repères en montant à Paris. Et sa situation administrative ne l’aide pas à relativiser : venu au départ en tant qu’étudiant étranger, il n’a désormais plus de visa. « La première des choses est de retrouver un statut normal. Le préfet a jugé que je n’étais plus éligible à un titre de séjour. Je me retrouve abandonné par tout le monde », lâche-t-il, le regard amer. Difficile, dans ces conditions, de s’impliquer au quotidien dans l’éducation de son enfant : lui donner à manger, la coucher, l’habiller… « Heureusement, la mettre à la crèche m’a permis de sortir la tête de l’eau », assure le jeune homme. Myriame, elle aussi, est congolaise. Mère de deux enfants de 3 et 4 ans, elle est arrivée à l’ALJM après des mois de galère. Guidée par l’équipe, elle a inscrit ses deux filles à l’école et s’apprête à postuler à un CAP petite enfance. La jeune maman l’avoue, l’accueil au centre a changé sa vie et sa manière d’éduquer ses enfants. « Seule, je n’avais plus d’espoir. Là, avec du soutien, je me suis transformée et j’ai retrouvé de l’ambition », sourit-elle. Dès qu’elle aura du travail, la jeune femme espère signer un bail glissant grâce à l’ALJM. Une particularité de l’association, qui a créé un service d’accompagnement vers l’hébergement et le logement (SAVHL). Actuellement, huit familles profitent du dispositif, lequel autorise l’association à signer un bail en lieu et place d’une famille en difficulté. Cette dernière restant toutefois garante du paiement du loyer. Temporaire, le document a vocation à passer par la suite au nom du véritable locataire. Un coup de pouce qui permet à de nombreuses personnes précaires d’avoir un toit. « L’idée n’est pas d’apporter toutes les solutions aux personnes accueillies, mais de les aider à les chercher ensemble, conclut Stéphane Laurenceau. Nous misons beaucoup sur la stratégie d’alliance et de non-abandon. »

Notes

(1) Les prénoms des parents bénéficiaires et de leurs enfants ont été changés.

Reportage

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