C’est la panique. Depuis des mois, médecins et épidémiologistes se succèdent pour expliquer, alerter, réclamer des moyens supplémentaires pour les hôpitaux et les établissements médico-sociaux. Depuis des mois, les journalistes leur tendent avidement leurs micros et noircissent les pages des journaux de sombres pronostics, à grands renforts de chiffres et de courbes, usant et abusant de l’allégorie de la vague, cette vague qui monte, qui se déploie, qui se fracasse et nous engloutit, et puis qui se retire, nous laissant épuisés. Inanimés. Anéantis. Avant de revenir, plus grande, plus puissante, plus meurtrière…
Sur la plage abandonnée, une députée médecin parle encore de « petite grippe » et un infectiologue barbu assure d’un ton péremptoire qu’il n’y a pas de deuxième vague. Et pendant qu’ils pérorent, les lits se remplissent et les soignants sont vidés.
Dans un bureau de la capitale, un haut fonctionnaire directeur général demande aux soignants de renoncer à leurs congés. « On paie la garde d’enfants », promet-il. Surenchère d’un (premier) ministre : les soignants qui renonceront aux congés de la Toussaint recevront une prime. Le repos, pas besoin, on dormira quand on sera morts.
C’est la panique dans les services. Les chambres seules deviennent doubles, puis triples, les chambres doubles deviennent quadruples. Les soignants tombent les uns après les autres. Covid+, burn-out, démissions…
Au ministère, une sous-directrice des ressources humaines propose de mettre en place une « autorisation temporaire d’exercice d’aide-soignant pour des non-aides-soignants, moyennant une formation de quinze jours ».
Dans la foulée, un médecin anesthésiste réanimateur professeur chef de service député maire propose de « former en trois semaines un vaste corps d’auxiliaires de santé pour aider à des tâches non spécialisées : laver, brancarder, nourrir les patients, leur tenir compagnie… »
Quand je pense que six mois de stage et presque autant de cours pourraient être balayés en moins d’un mois, j’ai mal à mon diplôme.
Du fin fond du vestiaire de l’Ehpad, je suis dubitative. Ce médecin tutti quanti qui veut lever une armée de soignants, où va-t-il les trouver, tous ces joyeux volontaires ?
Je repense alors à cette directrice générale d’un grand groupe qui, pour attirer du monde vers les métiers du soin, a sa petite idée : « Deux millions de jeunes ne sont ni dans les systèmes d’éducation, ni en stage, ni en emploi : c’est une ressource de jeunes hors radar, qu’on pourrait collectivement ramener vers des métiers ayant du sens. »
Voilà, elle est là la solution. On fait trimer les soignants, on les presse, on les use, et quand ils sont malades, ou épuisés, ou morts, on en pioche d’autres, plus jeunes et plus fringants. Deux millions de jeunes qui attendent derrière la porte du vestiaire. Poussez pas derrière, y en aura pour tout l’monde !
Du fin fond du vestiaire, je pense à tous ceux qui parlent de notre métier sans le connaître. Grands penseurs bavards et irremplaçables versus petites mains silencieuses et interchangeables. Le discours des uns, le boulot des autres.