Marie-Laure de Guardia : Pendant la crise sanitaire, ce printemps, nous n’avons cessé de souligner la nécessité de cette coordination. Elle doit s’opérer à l’échelon départemental. Or les agences régionales de santé (ARS) laissent peu de marges de manœuvre à leurs échelons départementaux. A tort, parce que les départements constituent le bon échelon de la mise en œuvre des politiques publiques. Ils permettent une prise en compte des spécificités des territoires et des publics. Mais on manque aujourd’hui de coordination départementale sur les questions de soin et dans le champ du médico-social. Pour nous, la question n’est pas de savoir qui du conseil départemental ou de l’ARS doit piloter cela. Chacun a sa spécificité. Ce qui nous importe tient à l’effectivité de cette coordination qui aujourd’hui n’existe pas, sauf dans quelques départements, lorsque les dirigeants des deux institutions se connaissent bien.
Frédéric Bizard : L’évolution de la gouvernance est aujourd’hui dans une impasse. Nous sommes confrontés à une étatisation et à une centralisation des politiques de santé et relatives au médico-social. En témoigne la création des ARS, qui ne représente pas une décentralisation, mais une déconcentration des services de l’Etat. La politique du champ médico-social n’a en réalité jamais été aussi centralisée. C’est de santé publique dont les ARS devraient se préoccuper, et cela manque cruellement. Il faut redéfinir le rôle des principaux acteurs, tant sur le plan sanitaire que sur celui du médico-social. Les ARS devraient devenir des agences de santé publique, et on devrait confier le pilotage des acteurs médico-sociaux à la démocratie sanitaire et sociale autour des financeurs, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, par exemple. Et, selon moi, c’est le territoire plus que le département qui est la bonne unité géographique. Ces territoires de santé devraient regrouper autour de 120 000 personnes.
M.-L. de G. : La création des ARS aurait dû permettre de développer l’analyse de données, de mettre en place un vrai système de santé publique. Donc, en effet, la région ne joue pas assez son rôle en matière de politique publique de la santé, tant pour sa mise en œuvre que pour son évaluation. Résultat ? En matière d’enfance, il n’y a pas de politique nationale. La protection maternelle et infantile de même que le secteur de la protection de l’enfance sont confiés aux départements, avec le risque d’une grande diversité dans la mise en œuvre de politiques. Tant en termes de moyens que de vision, les inégalités sont importantes. L’Etat doit rester porteur des grandes orientations de politiques publiques nationales à destination des plus vulnérables. Mais elles doivent être déclinées sur le plan opérationnel à l’échelle départementale. La région, elle, devrait être un observateur.
F. B. : Aujourd’hui, l’Etat est faible là où il devrait être fort. Le politique ne se préoccupe de santé que sur des aspects techniques laissés aux parlementaires. Il faut faire une révolution culturelle dans l’approche de la santé. Les outils et les financements dépendront de cette politique que l’on veut mettre en place. Actuellement, on ne fait que construire sur de l’existant défaillant, sans régler les problèmes de fond. La cacophonie est complète.
F. B. : Quelque chose de simple. Pour rebâtir une politique efficace, il faut regarder ce qui a un réel impact sur le citoyen. En cela, l’échelon territorial a de l’importance, il permettrait de réduire les inégalités sociales en matière de santé. L’Etat ne disparaît pas au prétexte d’un pilotage territorial, il doit au contraire assurer une régulation.
M.-L. de G. : Aujourd’hui, les personnes doivent construire leur parcours, aller d’opérateur en opérateur. De même qu’il existe des coordonnateurs de parcours, il faudrait leurs équivalents entre les dispositifs. Et le département, au sens de territoire, pas de collectivité, tient là un rôle important. Ces lieux de coordination sont technocratiques, visent à écrire des schémas. Alors qu’il nous faut du concret, de l’opérationnel. On manque d’un lieu de ce type, où les usagers seraient représentés. Il faut des lieux d’échange, en finir avec nos silos, nos secteurs fermés (enfance, handicap, personnes âgées…), et leur substituer des thèmes tels que l’insertion, la santé, la prévention…
F. B. : En effet, le vrai progrès consiste à passer d’une régulation basée sur l’offre à celle qui partirait de la demande. Pour passer au XXIe siècle, il faut donner les clés du camion à l’individu, qui doit pouvoir construire son parcours. En cela, des plateformes de gestion des acteurs qui seraient accessibles aux individus seraient de bons outils. Aujourd’hui, le médico-social demeure trop souvent la politique du non-choix. C’est frustrant. L’Etat doit définir une stratégie, des objectifs et des budgets. Des budgets territoriaux adaptés aux besoins spécifiques, qui doivent s’ajouter à ce qui est défini sur le plan national. Les moyens doivent être différenciés sur les territoires, pour une part des budgets.
M.-L. de G. : Nous avons en effet davantage besoin d’équité que d’égalité numérique. Si on part des besoins, on a plus de chances d’y parvenir. Cela commence à se mettre en place ici et là. La protection de l’enfance se préoccupe davantage aujourd’hui qu’hier de la santé, la précarité sociale se voit liée au lien familial dans le secteur du handicap… Mais cela ne se traduit pas encore dans l’organisation du système de santé et du médico-social.
F. B. : On est dans la gesticulation politique, qui vise à dire qu’on a fait quelque chose d’emblématique. Mais ça ne change rien, ni en matière de financement, ni en termes d’organisation. C’est du technocratique pur et dur. On ignore ce que ça va changer pour les citoyens et les opérateurs. Pour le moment, la situation permet de communiquer. Cela tient à ce que, encore une fois, on ne pose pas la question de comment on pilote le système à partir des besoins.