Comment lutter, en France, contre les « sorties sèches » et offrir un horizon aux quelque 70 % de jeunes issus de l’aide sociale à l’enfance (ASE) qui ne possèdent aucun diplôme ? Quelle protection leur offrir, quand une personne sans domicile fixe sur quatre est issue de la protection de l’enfance ? Quels dispositifs, pour ces 2 millions de jeunes âgés de 18 à 29 ans qui ne sont ni en études, ni en emploi, ni en formation, selon les chiffres officiels du ministère français du Travail ? Plus d’un an après les annonces du gouvernement d’Emmanuel Macron pour « en finir avec les sorties sèches » et ses engagements pris dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, au Canada, un collectif d’acteurs sociaux et d’associations publie un rapport pour explorer des pistes innovantes sur le sujet. Composé d’intervenants provinciaux et nationaux, le Conseil national des défenseurs des jeunes pris en charge entend profiter des moratoires temporaires sur la cessation de ces prises en charge négociés avec la plupart des juridictions canadiennes pendant la pandémie de Covid-19. Le but ? Eviter le retour au statu quo et créer les conditions d’une « nouvelle normalité ».
Le rapport est en réalité une synthèse de quelque 75 études publiées depuis 1987, « renfermant plus de 435 recommandations concrètes pour apporter des changements aux politiques et aux pratiques de protection de l’enfance ciblant la transition vers l’âge adulte ». Cinq points clés sont mis en avant, avec, d’abord, la création de normes nationales pour le passage vers la vie adulte, afin d’harmoniser un système qui varie considérablement d’une province à l’autre et qui, de fait, n’offre « aucun cadre législatif fédéral » pour « assurer la responsabilisation et l’équité pour les jeunes pris en charge à travers le pays ». Les dix structures membres du conseil (dont Care Jeunesse, Fostering Change, le Conseil d’adoption du Canada ou la Ligue pour le bien-être de l’enfance du Canada) préconisent aussi de prolonger la période de transition, en reconsidérant le principe de « seuil de majorité » : « Des données indiquent que le cortex préfrontal, responsable du contrôle des impulsions, de la prise de décision et de la planification stratégique, n’atteint pas sa pleine maturité avant l’âge de 25 ans. De nombreux rapports ont demandé aux gouvernements provinciaux et territoriaux de prolonger la période de transition vers l’âge adulte des jeunes pris en charge », quand la majorité des recommandations varient entre 24 et 29 ans.
Il s’agit également d’élargir considérablement une approche trop souvent réduite aux aptitudes de vie concrètes (la cuisine, la préparation d’un budget, la rédaction d’un CV…), en tissant « des liens durables avec la culture, la spiritualité et les communautés d’origine, en particulier pour les jeunes autochtones et racialisés ». Comme en France, le rapport insiste sur les inégalités criantes en matière d’accès au logement, quand « la recherche a montré que les jeunes pris en charge au Canada sont susceptibles de connaître l’itinérance jusqu’à 200 fois plus que leurs pairs qui n’ont pas été pris en charge ». Les gouvernements provinciaux et territoriaux doivent prendre la responsabilité d’attribuer des logements spécifiquement à ces jeunes. Le conseil propose à cet effet un programme spécifique fondé sur un « modèle efficace et réalisable ». Enfin, le rapport milite pour une réforme globale et systémique afin d’« éliminer la discrimination fondée sur l’âge dans les services de protection de l’enfance, en mettant en œuvre des modèles axés sur l’état de préparation pour la transition vers l’âge adulte ». Une mesure susceptible, espère le conseil, d’atténuer ces mêmes discriminations au sein de la jeunesse canadienne, où la plupart « peuvent continuer à compter sur leurs parents, leur famille élargie, leurs amis et leur communauté pour obtenir du soutien tout au long de leur vie d’adulte ».