Maraudes, accueils de jour et de nuit renforcés, maintien des places d’hébergement ouvertes pendant la crise du printemps… Le 18 octobre, soit 13 jours avant l’habituel 1er novembre, le plan hivernal a été mis en place. Le plan hivernal, pas la trêve : des expulsions locatives peuvent donc, en théorie, se produire encore d’ici la fin octobre. Le même week-end, la promesse des 150 € d’allocations exceptionnelles a donné lieu à un cafouillage sur ceux qui, en particulier chez les moins de 25 ans, en bénéficieraient réellement. Et les annonces en faveur des plus précaires, que devait communiquer le Premier ministre Jean Castex le 17 octobre devraient, finalement, peut-être, se voir rendues publiques le 24. En somme, les plus précaires affrontent de nombreuses incertitudes sur leur avenir immédiat. Mais à n’en pas douter, leur nombre augmente, soit du fait du basculement de populations jusque-là épargnées, soit de l’aggravation de la situation de personnes déjà fragiles. Le collectif Alerte de Paca a d’ailleurs produit un rapport pour pointer cette donne et signaler qu’il y avait urgence.
Face à cela, « on pose sans arrêt des emplâtres sur une jambe de bois », s’agace Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD quart monde. La volonté affichée par Emmanuel Macron en octobre 2018 au cours de la présentation de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, qui supposait de prendre des mesures structurelles, semble aux yeux des associations de soutien aux plus démunis s’éloigner toujours davantage. Ce qui paraît être l’enterrement du revenu universel d’activité (RUA) les conforte dans ce sentiment. « Nous demandons, et proposons, des politiques structurelles pérennes, mais seuls des coups de pouce sont donnés, avec l’idée que la crise n’est qu’une parenthèse », déplore Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre.
Leur première recommandation, la revalorisation des minima sociaux, se heurte à un verrou élyséen, encore fermement énoncé le 14 octobre dernier lors de l’interview télévisée du chef de l’Etat. « Pourtant, ailleurs, y compris de la part de certains ministres j’oserais dire, notre analyse est de plus en plus partagée », observe Christophe Devys, président du collectif Alerte. « C’est un choix politique, bien plus qu’une contrainte économique, commente Mathieu Cocq, économiste. Doubler le RSA coûterait 10 milliards d’euros, l’équivalent de la baisse des impôts de production pour 2021. L’augmenter de 10 % coûterait 1 milliard, soit 1 % du plan de relance de 100 milliards. » Le choix idéologique des pouvoirs publics consiste, à l’opposé, à promouvoir le retour à l’activité : « C’était déjà décalé en période de baisse du chômage, mais là, ça perd tout son sens », remarque Christophe Devys. D’autant que, complète Mathieu Cocq, cet argent qui leur serait octroyé ne serait pas épargné, mais réinjecté dans l’économie et pourrait donc, sur le plan macro-économique, contribuer à la relance.
Les associations de défense des plus précaires affichent la même incompréhension lorsqu’elles affrontent le même véto en matière d’ouverture du RSA aux jeunes de 18 à 25 ans. « Une autre mesure structurelle à prendre en direction de ces publics, réclame Marie-Aleth Grard, consiste à embaucher des professionnels dans les missions locales qui accompagnent les jeunes qui sortent du système scolaire sans diplôme. On ne nous donne plus leur nombre depuis trois ans, on estime qu’il doit avoisiner les 100 000. »
Pas de mesure inscrite dans la durée non plus en termes de logement. Alors que, souligne Manuel Domergue, le logement social n’a plus à faire la preuve de son efficacité. Le combat semble âpre pour que des expérimentations comme « Territoires zéro chômeur de longue durée »(1) obtiennent les moyens de réellement porter leurs effets, à en croire les associations, qui continuent d’œuvrer en ce sens auprès des parlementaires.
Mais alors pourquoi, si le consensus semble largement partagé sur les mesures structurelles à prendre, ne sont-elles pas mises en pratique ? Outre la surdité des pouvoirs publics qu’elles dénoncent, les associations n’auraient-elles pas, elles aussi, leur part de responsabilité ? Marie-Aleth Grard reconnaît manquer de forces vives pour prêcher la bonne parole partout où cela serait nécessaire, comme auprès de tous les parlementaires en période de discussion du projet de loi de finances. Un autre représentant souligne que la liberté d’expression de certaines peut être entravée par le fait qu’elles reçoivent des subventions de l’Etat.
Quoi qu’il en soit, nombreuses sont les associations qui disent réfléchir à des actions à mener cet hiver, pour défendre les droits des plus pauvres. Mais plusieurs prévoient qu’il sera difficile d’obtenir sur ce sujet une mobilisation citoyenne. Pourtant, elles savent qu’il leur faudra taper fort : « Notre adversaire, c’est Bercy. En face, des ministres comme Emmanuelle Wargon [ministre déléguée chargée du logement] n’ont pas de réel poids politique », remarque un observateur. « Le temps presse, prévient Manuel Domergue. Parce que, finalement, une personne qui se retrouverait à la rue coûtera bien plus cher à la société qu’un accompagnement et des mesures qui lui auraient évité cette situation. »
Dans le contexte de la concertation pour la mise en place du revenu universel d’activité, le Secours catholique a produit une analyse et un rapport, publié en septembre, pour défendre l’idée de mettre en place un revenu minimum sans contrepartie(1). Au nom, expliquent les auteurs, du respect de la dignité des allocataires mais aussi pour éviter les non-recours de ceux qui ne veulent ou ne peuvent justifier de leur reprise d’activité. L’association estime qu’il devrait s’élever à 850 € par mois, soit 50 % du revenu médian, et demande, en attendant et dès maintenant, une augmentation de 100 € et l’ouverture du revenu de solidarité active (RSA) aux 18-25 ans.
Le rapport a reçu peu d’écho. Pourtant, les associations interrogées disent toutes le soutenir sur le principe.
(1) Pour le consulter : bit.ly/3ojOzUm.