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« Mais maman, pourquoi il a été tué le prof ? »

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Je la voyais venir, cette question. J’aurais dû m’y préparer. Mais j’étais pas prête.

J’ai failli répondre : « Il a été tué parce qu’il avait fait un cours sur la liberté d’expression »… mais je me suis retenue à temps. Non. C’est pas ça, la bonne réponse. C’est comme si je disais : « La femme a été violée parce qu’elle portait une jupe », ou : « L’enfant a été frappé parce qu’il n’était pas sage. » La cause, ça n’est pas la victime.

J’ai réfléchi. Vite. Comment expliquer l’inexplicable ? Comment trouver les mots justes pour un petit bonhomme et une grande ado ?

Alors je me suis lancée, hésitante.

J’ai raconté : Charlie, la liberté d’expression, la loi, les droits fondamentaux… Je leur ai parlé de ceux qui avaient perdu la vie pour nous informer, nous, lecteurs, spectateurs, citoyens : Rémi (photographe), Camille (journaliste), Charb (dessinateur)… On peut encore mourir pour quelques mots, quelques traits, quelques idées. On peut mourir pour la liberté. Liberté, liberté chérie.

J’ai divagué, divergé, disserté, un ricochet puis un autre, « Liberté-Egalité-Fraternité », c’est notre devise, inscrite sur le fronton des mairies et des écoles… L’école justement, l’école qui éduque, qui enseigne, qui apprend à apprendre, cette fameuse école de l’égalité des chances, l’école et ses professeurs. J’ai enchaîné, les profs, les éducs, les soignants, je les ai collés tous ensemble, parce qu’à un moment ou à un autre, chacune de ces professions a payé le tribut de cette devise : Samuel (professeur), Jacques (éducateur spécialisé), Morgane (psychologue), Elodie (infirmière). Quelques noms et quelques morts pour quelques mots.

C’est parti loin, cette discussion. Au début on parlait d’un prof, mais les enfants étaient avides de réponses et ils voulaient comprendre. Comment un dessin, un simple dessin, avait-il pu provoquer tout ça ? Alors on a encore parlé, longtemps, jusqu’à en mélanger les mots, jusqu’à ce que la fatigue l’emporte.

Avec tout ça il était tard. Une histoire, un bisou et dodo, mais juste avant d’éteindre : « Au fait les enfants, demain je vais rentrer plus tard que d’habitude. Après le boulot, je file au rassemblement devant la préfecture. »

Et nous y voilà, devant cette préfecture. La foule silencieuse et solennelle, le discours plein de larmes d’une enseignante, la minute de silence, les applaudissements et quelques fleurs déposées sur le trottoir. Et puis on se disperse, chacun repart de son côté, ça n’est ni une marche ni une manif, juste un moment partagé, pour Samuel, pour l’école, pour la liberté. Liberté, liberté chérie.

Je suis venue avec une amie, prof et dessinatrice de presse. Double casquette et doublement inquiète : « Et moi, je fais quoi maintenant ? Comment je dessine ? Comment je fais cours ? Comment je peux travailler si je dois avoir peur tout le temps ? »

Je me tais. Je ne sais pas. Nous marchons, nous parlons, et quand nous repassons sur le trottoir, là où la foule silencieuse s’était réunie deux heures plus tôt, les fleurs ont disparu.

La minute de Flo

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