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Les jeux vidéo, un outil de médiation à part entière

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Accusés de tous les maux, les jeux vidéo nuiraient au bon développement de l’enfant et de l’adolescent, réduiraient à néant sa vie sociale et engendreraient de la violence… Pourtant, selon le psychologue Yann Leroux, ils devraient être utilisés par les adultes qui accompagnent les jeunes car de nombreuses recherches, mal connues, démontrent leurs bénéfices.

« En avril 2020, au cœur de la pandémie de Covid-19, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé la campagne #PlayApart­Together, qui encourage à “jouer ensemble séparément” aux jeux vidéo, en partenariat avec des grandes entreprises de l’industrie du jeu vidéo comme Riot Games, Zynga, Twitch ou YouTube Gaming. Pour l’OMS, les jeux vidéo ont un intérêt parce qu’ils permettent de respecter les distances physiques et qu’ils contribuent ainsi à la lutte contre la pandémie(1).

L’annonce m’a beaucoup surpris. Psychologue, je m’intéresse à l’utilisation des jeux vidéo dans le cadre de médiations thérapeutiques et éducatives. Je suis de près les recherches faites sur les jeux vidéo depuis une quinzaine d’années. Or l’OMS m’était surtout connue par le fait qu’elle est à la manœuvre dans la définition du très contesté “trouble de l’addiction aux jeux vidéo”(2).

Les jeux vidéo sont très régulièrement dépeints sous un jour défavorable. A tort : des recherches menées dans ce domaine les montrent sous un tout autre visage que celui présenté dans les médias. L’utilisation des jeux vidéo par les jeunes et les adolescents s’avère très largement non problématique. La recherche apporte dans ce domaine des arguments solides(3).

Depuis une vingtaine d’années, des études, menées avec des méthodologies différentes, documentent les effets des jeux vidéo dans les domaines cognitivo-émotionnels et socio-éducatifs. Celles-ci sont malheureusement peu mises en avant, ce qui entretient la méfiance à l’égard des jeux vidéo, surtout chez les travailleurs sociaux.

Elles ont exploré le lien entre les jeux vidéo et le bien-être, avec à chaque fois la même réponse : il n’existe pas, à ce jour, de preuves solides d’un lien causal négatif entre les jeux vidéo et le bien-être, ni entre les troubles du développement et du comportement et le fait de jouer aux jeux vidéo (Orben & Przybylski, 2019). Au-delà, prises dans leur ensemble, ces recherches suggèrent que les jeux vidéo bénéficient des même pouvoirs que le jeu classique. Jouer avec un ballon, des cartes ou une console soutient le développement de la personne. Car le jeu – vidéo ou non – est un facilitateur de l’expression, contribue au bien-être émotionnel, favorise les relations sociales et augmente les forces personnelles. A l’intérieur du double cercle magique induit par le jeu et le numérique, les joueurs peuvent explorer des dimensions de leur personnalité(4).

Les jeux vidéo contribuent au bien-être émotionnel des joueurs par la gamme d’émotions qu’ils procurent. Le joueur peut vivre des émotions fortes, apportées par les situations où il doit prendre rapidement des décisions. La fierté, la joie, mais aussi la honte et la culpabilité sont alors au rendez-vous. Mais les jeux vidéo autorisent aussi de la détente, de la contemplation et de la relaxation.

Des espaces sociaux d’interactions

En matière de vie sociale, le boom du jeu vidéo en ligne a fait craindre que le développement des relations par ce biais ne se fasse au détriment de celui du cercle social habituel. Des témoignages anecdotiques et la recherche soulignent, à l’opposé, que les jeux vidéo sont des espaces sociaux dans lesquels les interactions sont comparables ou meilleures que celles hors ligne et susceptibles de cimenter des amitiés fortes(5).

Enfin, les jeux vidéo contribuent au renforcement des forces personnelles car les joueurs y trouvent des modèles auxquels ils peuvent s’identifier(6). Les personnages y sont largement inspirés des archétypes des contes et des légendes. Ceux, par exemple, que l’on trouve dans League of Legends ou Overwatch sont autant d’nvitations à l’exploration de ces archétypes. Les joueurs trouvent aussi dans ces univers un havre dans lequel il peuvent à nouveau se vivre comme des individus valables et compétents, comme le montrent les nombreux témoignages de personnes qui racontent avoir trouvé dans les jeux vidéo un point d’appui lors de moments de vie difficiles et douloureux.

On l’aura compris, présenter les jeux vidéo comme la cause de troubles psychologiques ne correspond pas aux résultats actuels de la recherche. Certes, des enfants et adolescents jouent avec excès, et certains d’entre eux souffrent de troubles psychologiques ou du comportement. Mais ces troubles préexistaient, et l’utilisation problématique des jeux vidéo constitue alors pour ces jeunes une nouvelle expression de leur souffrance psychique.

Tout au contraire, ces jeux comptent parmi les outils pour combattre de tels troubles. Mais pour que cette opportunité de développement se traduise en gains effectifs, il est nécessaire que les adultes accompagnent l’activité ludique en ligne, à l’instar de celles culturelles et sportives. Une expérience doit être validée par un adulte positivement investi par l’enfant pour qu’il l’intègre à sa personnalité et à son fonctionnement. Sans cet accompagnement, les jeux vidéo risquent de rester une activité de marge, non intégrée à la culture en général.

Les jeunes gagneraient beaucoup à ce que les travailleurs sociaux qui les assistent dans leur développement prennent mieux en compte cette activité qu’ils investissent beaucoup. Cela permettrait à ces professionnels du social de terrain de veiller aux éventuels problèmes que les joueurs peuvent rencontrer dans les jeux vidéo, mais surtout de faire des liens entre les jeux vidéo et d’autres domaines de la culture. Même les jeux de guerre ont un rôle à jouer : engendrer des discussions, par exemple autour de la violence en général, ou des guerres menées au Moyen-Orient, ou encore de la manière dont les minorités sont présentées. Il est important que les éducateurs prennent en compte cette donne pour que leurs interventions soient adaptées auprès des jeunes. Ce faisant, les jeux vidéo deviendront un nouvel outil de médiation. »

Notes

(1) « What Role Can Videogames Play in the Covid-19 Pandemic ? », H. R. Marston et R. Kowert – Emerald Open Research (2020) – A lire sur https://bit.ly/3lZcwhv.

(2) « Scholars’ Open Debate Paper on the World Health Organization ICD-11 Gaming Disorder Proposal » – E. Aarseth et al. – Journal of Behavioral Addictions (2017) – A lire sur https://bit.ly/2TaSS5K.

(3) « Gaming Well : Links Between Videogames and Flourishing Mental Health », C. Jones et al. – Frontiers in Psychology (2014) – A lire sur https://bit.ly/3jcTbYD.

(4) « Gender Differences in Preadolescent Children’s Online Interactions : Symbolic Modes of Self-Presentation and Self-Expression », S. L. Calvert et al. – Journal of Applied Developmental Psychology (2003) – A lire sur https://bit.ly/37mpCSe.

(5) « Social Interactions in Massively Multiplayer Online Role-Playing Gamers », H. Cole et M. D. Griffiths – CyberPsychology &Behavior (2007) – A lire sur https://bit.ly/2T90Hcc. Et « Motivations for Play in Online Games », N. Yee – CyberPsychology &Behavior (2006) – A lire sur https://bit.ly/37ktYZV.

(6) « The Ideal Elf : Identity Exploration in World of Warcraft », K. Bessière, A. F. Seay et S. Kiesler – CyberPsychology &Behavior (2007) – A lire sur https://bit.ly/31mAWtt.

Contact : yann.leroux@laposte.net

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