« Le Cpom est un outil qui permet de peser sur l’avenir et sur l’environnement des établissements et services de son périmètre », souligne Pierre-François Pouthier, consultant et gérant du cabinet Fair’Equipe. C’est un investissement de long terme : un Cpom prépare le Cpom suivant. » Adjoint à la directrice du pôle offre sociale et médico-sociale de Nexem, Alexis Roger rappelle : « Depuis 2017, la contractualisation est entrée dans une ère d’industrialisation. La signature d’un Cpom est aujourd’hui soit obligatoire soit très fortement encouragée pour l’ensemble du secteur social et médico-social »(1). Considérée comme « une véritable révolution culturelle et organisationnelle » selon Benoît Péricard, directeur national « secteur public et santé » du cabinet d’audit et d’expertise comptable KPMG, la contractualisation pluriannuelle permet aux organismes gestionnaires de bénéficier d’une plus grande autonomie dans la gestion des établissements qui leur sont rattachés et dans le pilotage de leur stratégie, tant sur la définition et la mise en œuvre de projets que sur le plan budgétaire. « L’arbitrage financier se déplace de l’extérieur de l’association vers l’intérieur. Jusque-là, les établissements se “bagarraient” établissement par établissement, autorité de tarification par autorité de tarification », rappelle Jean-Pierre Hardy, directeur du projet stratégique de France Horizon(2). Dans le même élan, l’état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD), qui se substitue aux budgets prévisionnels, a également engendré une responsabilisation accrue des gestionnaires et une plus grande autonomie en matière de pilotage financier et stratégique : des engagements pluriannuels, une tarification à la ressource, et la libre affectation des résultats comptables par le gestionnaire.
Comme le met en exergue le cabinet KPMG dès 2017 dans une étude(3), le « choc culturel » produit par les Cpom a modifié la gouvernance des organismes gestionnaires, en particulier les rapports entre les établissements et le siège, ce dernier devenant progressivement « l’interlocuteur de référence des autorités de tarification à la fois pour la mise en place du Cpom et la réalisation budgétaire ». En particulier, les organismes gestionnaires doivent « bien maîtriser les enjeux territoriaux et sectoriels », souligne Alexis Robert. « C’est aussi en collant aux spécificités territoriales et aux politiques associées, tels les plans régionaux de santé, que les organismes gestionnaires pourront obtenir des concessions ou un ajustement de moyens de la part de l’autorité de tarification et de contrôle », explique-t-il. Pour Pierre-François Pouthier, il s’agit de trouver, dans le cadre du diagnostic partagé, « les plus grands dénominateurs communs » entre la stratégie de l’organisme gestionnaire et les priorités fixées par les financeurs.
Lors de la première journée nationale d’études sur les Cpom et l’EPRD organisée le 7 février dernier avec l’Assemblée des départements de France (ADF), la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), la Compagnie nationale des commissaires aux comptes et le Groupe SOS, les intervenants ont mis en évidence « l’importance prise par les sièges sociaux des personnes morales […], qui estompent la focalisation et la segmentation antérieures sur les seuls établissements et services. Nombre de directions et de sièges sociaux ne sont pas encore à la hauteur stratégique et technique des changements nécessaires. Il s’agit d’une transformation autant technique que culturelle qui est parfois malaisée, car cela requiert la construction d’une vision collective interétablissements, quoique au sein d’une même personne morale. »
La contractualisation a conduit à une redistribution des cartes, que Jean-Pierre Hardy définit ainsi : « rétablir le pouvoir collectif des administrateurs sur le sens des actions et sur les axes stratégiques de leurs projets associatifs tout en laissant une plus grande autonomie technique aux équipes de direction ». Quelles sont donc les évolutions au niveau des relations entre l’organisme gestionnaire et les directeurs d’établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) ? Quatre grands impacts arrivent en tête, selon l’étude du cabinet KPMG : la co-construction d’une vision à moyen terme (65 %), le développement de projets transversaux (53 %), le recentrage du rôle du directeur d’établissement plutôt sur la prise en charge et moins sur le pilotage financier (39 %) et le changement dans l’organisation managériale des établissements et services (33 %). En revanche, les notions de conflits d’intérêts, de déséquilibre des relations ou d’appauvrissement du rôle du directeur ne sont que très faiblement citées par les répondants. Concernant le pilotage de l’organisme gestionnaire et de ses établissements et/ou services, les deux principaux impacts mentionnés sont l’obligation d’une vision à moyen terme (55 %) et la nécessité de définir des grands projets structurants (51 %) ; suivent le changement de logique et de stratégie de négociation (43 %), le développement d’un management transversal (33 %) et la mise aux normes de certaines structures (27 %).
« Un Cpom unit dans son périmètre des établissements qui, d’indépendants, deviennent interdépendants. Les acteurs du Cpom doivent concevoir une gouvernance qui leur garantit une gestion harmonieuse et dynamique, en capacité de réguler leurs différentes contraintes et de piloter leurs développements », explique Pierre-François Pouthier. Comme le souligne l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements et services de santé et médico-sociaux (Anap) dans sa publication « Négocier et mettre en œuvre les Cpom dans le secteur médico-social – Guide méthodologique d’appui à la contractualisation », ce contrat change les relations, d’une part, entre les directeurs et, d’autre part, entre ceux-ci et le siège. « Une forme de solidarité est requise dès lors que le Cpom permet de compenser les déficits d’un ou plusieurs établissements de l’organisme gestionnaire au sein du périmètre. » Et le consultant d’ajouter : « Cette dynamique ne marche que si elle est animée et garantie par une direction générale suffisamment forte. Cette direction générale gère un budget global et va ensuite le redistribuer auprès les établissements en fonction des objectifs définis dans le Cpom. Quand on a des directions de bonne foi, ce qui est souvent le cas, elles comprennent très bien les priorités qui peuvent être données à tel ou tel établissement. » L’Anap met elle aussi en avant cette nécessité pour les directeurs d’ESSMS d’adopter une culture commune : « Il convient pour les directeurs d’admettre que leur bonne gestion contribue à renforcer le fonctionnement d’un autre établissement ou service dirigé par un collègue et dont la situation est fragile. Cette solidarité nécessite un partage d’information entre les directeurs d’un même organisme gestionnaire. »
Le Cpom est apparu en tant que levier potentiel pour réformer la gouvernance et engager une réorganisation interne. Il implique une évolution des rôles des acteurs au sein de l’organisme gestionnaire, notamment dans le secteur privé non lucratif. « Le conseil d’administration doit se positionner pleinement dans son rôle de validation de la stratégie de l’organisme gestionnaire. Il valide l’engagement de ce dernier dans la démarche de contractualisation, mandate une personne pour porter la démarche en interne (en général le directeur général, si cette fonction existe) et, enfin, veille à la mise en œuvre du Cpom dans le respect des valeurs de l’organisme gestionnaire (formalisées dans le projet associatif, par exemple) », détaille l’Anap.
Selon l’agence, le Cpom peut être l’occasion de s’interroger sur la pertinence d’une « organisation en pôles », de valoriser le « fonctionnement en dispositifs » et de renforcer les démarches de solidarité financière entre ESSMS, de prévoir une plus grande transversalité des postes et de la gestion des ressources humaines. « A titre d’exemple, certains organismes gestionnaires se sont organisés de telle manière que le siège, quand il existe, puisse piloter le Cpom. Certains gestionnaires ont alors fait le choix de monter des sièges experts, dont le rôle est notamment d’accompagner les ESSMS à la mise en œuvre des actions identifiées dans le Cpom. D’autres organismes gestionnaires se positionnent dans ce cadre plutôt en autorité de gestion des enveloppes financières entre les différents ESSMS gérés. Leur rôle s’apparente finalement à celui d’une autorité de tarification et de contrôle qui veille à la répartition des moyens et demande aux directeurs de rendre compte de la mise en œuvre des actions du Cpom », détaille l’Anap.
La mise au travail des projets associatifs soulève la question de leur traduction opérationnelle : comment articuler et décliner opérationnellement et stratégiquement une politique associative des Cpom est une question posée de manière récurrente par les directions générales. Pour faire face à ce défi, une montée en compétences et une « professionnalisation » des bénévoles des sièges sociaux des associations et organismes gestionnaires semble nécessaire dans certains cas. « Au niveau des conseils d’administration, c’est la question stratégique qui se pose. Il faut comprendre la dimension politique des Cpom, et la dimension pratique, à quoi ça sert… Les administrateurs doivent connaître les ouvertures permises par ce dispositif et les restrictions qui en découlent. Des demandes de formation dédiées spécifiquement à la formation des bénévoles des associations gestionnaires des ESSMS ont été exprimées », peut-on lire dans l’enquête du Creai (centre régional d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité) réalisée en 2019 à la demande de l’agence régionale de santé Centre-Val de Loire(4). Une montée du niveau de formation et de compétences qui concerne également les ARS et les conseils départementaux…
(1) Manuel de direction en action sociale et médico-sociale – Sous la direction de F. Batifoulier – Ed. Dunod, octobre 2019 (2e édition).
(2) Nexem propose en ligne un podcast intitulé « Cinq conseils pour bien préparer votre négociation Cpom ».
(3) « Les Cpom à l’épreuve de la réalité » – Cabinet KPMG – Septembre 2017.
(4) « Former, accompagner et conseiller pour transformer ? Postures, pratiques et coopérations professionnelles au cœur de la transformation de l’offre médico-sociale » – Creai Centre-Val-de-Loire – Avril 2019.