Elle s’appelle Julie, elle a été violée par une vingtaine de pompiers entre ses 13 et ses 15 ans(1). Plainte déposée en 2010. Et depuis ? Depuis, rien, tout, dix années de tout et de rien. Des lettres, des pétitions… Le viol en réunion sur mineur de moins de 15 ans requalifié en atteintes sexuelles sans violence, contrainte, menace ni surprise, et seulement trois pompiers mis en examen. Et Julie ? Julie, elle est trop abîmée pour crier, alors c’est sa mère qui crie pour elle. Elle crie justice pour sa fille, ça fait des années qu’elle crie, mais ses cris se perdent dans les couloirs des tribunaux, et ne trouvent en écho qu’un assourdissant silence.
Oui mais quand même, y pensez-vous ? Des pompiers ! Des héros qui sauvent des vies ! Sauver ou périr, honneur et sacrifice ! Et la p’tite Julie, là, elle l’aurait pas un peu cherché ? C’est quand même bizarre cette histoire de textos… et ces malaises… et cette mère si confiante… Non ?
Elle s’appelle Giulia, elle a été violée, il y a eu un procès… et le violeur a été acquitté aux assises(2). Acquitté, le rat qui viole sous la menace d’un cutter. Parce que quand même, ce gars, c’est un type sympa, bien blanc comme il faut, bon père de famille et entraîneur de foot, le profil ne colle pas voyons ! Et puis la p’tite jeune, elle était jolie et habillée un peu léger, et quelle idée aussi de parler à un inconnu, c’est pas très prudent ça ma p’tite dame, et puis d’abord elles sont où les preuves ?
Elles s’appelaient Aurélie, Nour, Alexandra, Khaddija, Christine(3). Elles avaient respectivement 43, 27, 30, 48 et 58 ans. Elles sont mortes sous les coups d’un homme.
Dans la lumière blafarde d’un commissariat, Julie et Giulia ont parlé. Elles ont prononcé les mots « viol », « violence », « peur », « mort ». Victimes. Après elles, il y aura d’autres femmes, d’autres viols, d’autres procès.
Dans l’ombre des cimetières, les autres se sont tues. La presse a parlé de « drame conjugal » et de « différend familial ». Personne n’a su défendre leur vie. Il y aura d’autres femmes, d’autres morts, d’autres tombes.
Julie et Giulia témoignent. Avec leurs familles et leurs amis, leur présence et leur force. Avec les soutiens des femmes et des hommes, féministes et alliés : « fraternité, égalité, sororité ». Et il y a ces cris dehors, les cris de leurs détracteurs, les défenseurs de l’honneur pas encore perdu des violeurs. Il y a leurs insultes et leurs menaces. Contre ces femmes dont le seul crime est de parler.
Et pendant qu’elles parlent et qu’elles écrivent, il y a ce silence dehors, le silence des femmes qui sont mortes, parce que personne n’a crié avec elles. Les menaces ne sont pas que des mots en l’air, ce sont aussi des corps sous terre. Pour ces femmes dont le seul crime était de vivre.
Julie s’effondre et Giulia se relève. Des viols et des vies. Pendant ce temps, loin des tribunaux, il y a aussi celles qui meurent. Des corps et des morts. Aurélie, abattue. Nour, étouffée. Alexandra, poignardée. Khaddija, défenestrée. Christine, égorgée.
Il y a les femmes qui parlent et celles qui ne parlent plus, le procès des unes et l’épitaphe des autres.
(1) Twitter : @corinne_leriche.
(2) G. Foïs – « Je suis une sur deux » – Ed. Flammarion, mars 2020.
(3) Source : https://www.facebook.com/feminicide.