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“Penser à l’inclusion numérique des enfants placés”

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Le smartphone permet aux enfants placés de garder des liens avec leur famille mais, selon une étude menée dans six départements et dirigée par Emilie Potin, il reste encore absent des stratégies d’accompagnement mises en place en protection de l’enfance.
Quel usage le smartphone a-t-il dans les familles dont les enfants sont placés ?

Notre enquête révèle trois fonctions. La première est d’assurer la permanence des liens. Les enfants peuvent suivre les publications des parents ou des frères et sœurs, s’inscrire dans une histoire, se situer. Le deuxième intérêt est de pouvoir activer ou réactiver les liens, d’identifier des affiliations, des trajectoires conjugales – celles du père et/ou de la mère –, des recompositions familiales… Certains enfants ont le souvenir d’un demi-frère qu’ils ont croisé un jour chez leurs parents et se mettent en quête de le retrouver seuls via les réseaux sociaux. La troisième fonction est celle de la mémorisation. Appartenir à la même famille ne garantit pas la volonté d’entretenir et de conserver des relations qui ont pu être violentes, conflictuelles ou négligentes mais dont la mémoire est conservée sur Internet et qui restent mobilisables. Dans les liens complexes, la correspondance numérique offre, parfois, une meilleure visibilité que les livrets de famille ou les albums photos. Quand l’enfant est placé très tôt, les échanges sont souvent quasi inexistants ou routiniers dans leur forme. L’environnement d’accueil est la référence principale du mineur. Pour les jeunes placés plus tardivement, le smartphone est un dispositif au service du maintien des liens.

Cela signifie-t-il que l’on peut faire famille à distance ?

Absolument. Nous avons rencontré des adolescents qui, dans le cadre de fratries, échangeaient sur tout. Souvent sur des choses insignifiantes comme la tenue qu’ils porter le lendemain, le match de foot qu’ils ont vu à la télé, leur humeur… Ces mini-récits alimentent le lien familial au quotidien. Ils ne sont pas consignés dans les rapports les concernant mais construisent le sentiment d’être proche. Les jeunes poursuivent ainsi des relations qui comptent pour eux. Au-delà des conflits des adultes, ils façonnent leur propre réseau familial. Ce pouvoir discrétionnaire des smartphones est peu pris en compte par les travailleurs sociaux. Certains jeunes sont aussi capables de mettre à distance des membres de leur famille, de ne pas leur communiquer leur numéro de portable, de bloquer leur parent sur Facebook. C’est plus compliqué pour ceux qui n’arrivent pas à gérer les liens de manière autonome et qui peuvent se mettre en danger. Dans ce cas, les professionnels doivent les aider.

Comment les professionnels de la protection de l’enfance mobilisent-ils ce nouveau support relationnel ?

Ils l’utilisent peu même si, avec le confinement, les expériences se sont développées dans certains services. Notre étude voulait justement en montrer les potentialités tout en protégeant l’enfant. Un SMS ou une photo envoyés avec un smartphone peuvent permettre de modifier le cadre de la relation parents-enfants quand la communication est difficile. La correspondance numérique doit faire partie des outils du travailleur social. Elle permet de diversifier les moyens pour maintenir le lien familial et de faire évoluer les formes ordinaires des droits de visite et d’hébergement – jusqu’ici octroyés qu’aux parents – en les étendant aux mineurs. En offrant à tous la possibilité de prendre l’initiative des contacts, le smartphone met enfants et parents à égalité.

La correspondance numérique des enfants placés est-elle surveillée ?

En accueil collectif, les salles équipées d’ordinateurs avec un accès Internet ne servent pas beaucoup car les jeunes utilisent leurs propres portables dans leur chambre. Les professionnels ont donc plus de mal à avoir un regard sur ce qui se passe sur ces écrans. C’est différent en famille d’accueil. Certaines familles sont très ouvertes au numérique et vont accompagner les expériences de l’adolescent. D’autres ne sont pas à l’aise et vont être très méfiantes. Il y a une diversité des pratiques. En établissement, les professionnels considèrent surtout les outils numériques comme des appuis au travail scolaire, à la recherche d’un emploi ou d’un stage, ou encore à l’activation de droits sociaux. En accueil familial, ils sont davantage vus comme une possibilité de jouer, d’écouter de la musique, de regarder des vidéos… D’un côté, ils font partie du projet éducatif ; de l’autre, ils s’intègrent dans l’ordinaire juvénile. Toutefois, il arrive que la famille d’accueil condamne le portable pour que les échanges avec la famille d’origine n’interfèrent pas en permanence avec ce qui se passe chez elle. L’absence de consignes dans les contrats d’accueil contraint les éducateurs et les assistants familiaux à construire leurs pratiques eux-mêmes et à les adapter aux circonstances.

Qui fournit le smartphone ?

Les mineurs sont équipés globalement vers 11 à 12 ans, au moment de l’entrée au collège. Plus les enfants sont placés tardivement, plus ils arrivent sur le lieu d’accueil avec leur smartphone qui leur sert autant de tablette que de téléphone. L’abonnement peut être payé par les parents, un frère ou une sœur, la famille d’accueil, mais un jeune placé en maison d’enfants à caractère social devra trouver quelqu’un qui s’engage à lui régler des cartes prépayées. Un petit nombre d’enfants dispose d’un ordinateur personnel mais ceux-ci ont des difficultés à obtenir un abonnement. Cette question étant peu prise en compte au sein de la protection de l’enfance, cela peut engendrer des inégalités importantes entre les enfants placés et les autres. D’autres antagonismes existent entre ceux qui arrivent déjà munis d’un portable et ceux qui, pour en avoir un, sont soumis au bon vouloir des professionnels qui les prennent en charge. Sans compter que les règlements des lieux d’accueil, les recommandations des conseils départementaux varient aussi. Pour l’heure, ce sujet ne fait pas partie des priorités des services de la protection de l’enfance qui doivent gérer un système sous tension.

Comment votre travail a-t-il été reçu ?

Il a eu beaucoup d’échos car il permet de repenser la façon dont les liens sont maintenus, dont la relation est nourrie, pas forcément avec les parents mais avec les frères et sœurs, les grands-parents… Jusqu’à présent, la correspondance numérique n’a guère été prise en compte par les juges dans les décisions de placement. Les droits de visite se déclinent encore de façon assez désuète : le coup de téléphone tous les jeudis à 18 heures ou le courrier hebdomadaire ou mensuel. Aucune mention ou presque n’est faite du smartphone. Il est indispensable que les professionnels en fassent un objet de débat et d’accompagnement afin de garantir le droit à l’inclusion numérique des enfants placés. C’est ce que nous avons essayé de défendre.

Maîtresse de conférences

en sociologie à l’université Rennes-2 et membre du Laboratoire interdisciplinaire de recherches en innovations sociétales, Emilie Potin est co-auteure, avec Gaël Henaff et Hélène Trellu, du livre Le smartphone des enfants placés (éd. érès).

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