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Les dégâts du virus de la désinformation

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Le coronavirus inspire un grand nombre de fausses informations, rumeurs, intox en tout genre sur Internet et les réseaux sociaux, alimentant ainsi la confusion. Lors d’une visioconférence, l’Espace éthique Ile-de-France est revenu sur les raisons de cette « infodémie », signe d’une défiance envers les autorités et la parole des experts.

« La maladie à coronavirus (COVID-19) est la première pandémie de l’histoire dans laquelle la technologie et les réseaux sociaux sont utilisés à grande échelle pour permettre aux individus d’être en sécurité, informés, productifs et connectés. Dans le même temps, la technologie sur laquelle nous nous appuyons pour rester connectés et informés permet et amplifie une infodémie qui continue à affaiblir la riposte mondiale et compromet les mesures de lutte contre la pandémie. » Dans une déclaration commune, le 23 septembre, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les Nations unies, et notamment l’Unicef, l’Unesco et l’Onusida, ont appelé les Etats à « promouvoir des comportements sains et atténuer les effets néfastes de la diffusion d’informations fausses et trompeuses ». « La diffusion d’informations fausses coûte des vies. S’il n’existe pas un climat de confiance et si l’on ne diffuse pas des informations justes, la population n’utilisera pas les tests de diagnostic, les campagnes de vaccination (ou de promotion de vaccins efficaces) n’atteindront pas leurs objectifs et le virus continuera à se propager. En outre, la diffusion d’informations trompeuses a pour effet de diviser le débat public sur des sujets liés à la Covid-19 », mettent en garde les signataires.

En mai 2020, les Etats membres de l’OMS ont adopté la résolution WHA73.1 sur la riposte au Covid-19 lors de l’Assemblée mondiale de la santé. Objectifs visés ? Inciter chaque membre à fournir « un contenu fiable » sur l’épidémie et à prendre des mesures pour lutter contre les informations fausses et trompeuses.

Mais que faut-il entendre par « infodémie » ? Selon l’OMS, il s’agit d’une surabondance d’informations, tant en ligne que hors ligne. Elle se caractérise par « des tentatives délibérées de diffuser des informations erronées afin de saper la riposte de santé publique et de promouvoir les objectifs différents de certains groupes ou individus ». Les conséquences néfastes de cette désinformation sont nombreuses. « Les informations fausses et trompeuses ainsi diffusées peuvent nuire à la santé physique et mentale des individus, accroître la stigmatisation, menacer de précieux acquis en matière de santé et conduire à un non-respect des mesures de santé publique, réduisant par là-même leur efficacité et compromettant la capacité des pays à enrayer la pandémie », égrène l’OMS. « Les informations trompeuses sapent la confiance du public dans les processus et les institutions démocratiques et accentuent les clivages sociaux », a déclaré Achim Steiner, administrateur du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud).

2 000 rumeurs complotistes

En France, dans son rapport sur les « Enjeux éthiques face à une pandémie » du 13 mars 2020, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) consacrait déjà un chapitre à la nécessité d’une communication « transparente et responsable ». « Les stratégies de communication actuelles, provenant majoritairement du pouvoir politique ou des experts, devraient s’appuyer sur le corps social pour être comprises, critiquées, intégrées intellectuellement et ensuite relayées. L’appropriation par la société de notions complexes, tout autant que la communication sur la mise en place de mesures contraignantes, mais aussi la compréhension des difficultés rencontrées par les décideurs, de leurs dilemmes, est possible et peut donner sens aux mesures prises et à leur acceptabilité par les citoyens. »

Dans le contexte d’évolution rapide de l’épidémie de Covid-19 et de défiance à l’égard des experts et des politiques, les stratégies de communication et de diffusion de l’information se sont faites de plus en plus confuses : la succession des études scientifiques contradictoires, la diffusion de fake news, les hésitations politiques quant aux mesures à mettre en place se sont conjuguées. Ainsi, une étude publiée le 10 août dans la revue American Journal of Tropical Medicine and Hygiene révèle que plus de 2 000 rumeurs complotistes sont apparues sur la Toile depuis le début de la pandémie.

Et le cycle des rumeurs se poursuit… Mi-septembre, une information circulant sur les réseaux sociaux – démentie par le ministère de la Santé – attestait que les hôpitaux obtenaient une prime de 5 000 € lorsqu’ils déclarent un décès dû au Covid-19. Les Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), lieux d’une partie conséquente des décès liés au Covid-19, n’échappent pas aux rumeurs. En avril, une vidéo virale sur Facebook affirmait que l’utilisation du Rivotril était la cause des deux tiers des décès liés au coronavirus en Ehpad, avec une « légalisation » de l’euthanasie qui ne dirait pas son nom.

Crise de la démocratie

« Qu’est-ce qu’une information transparente et loyale en temps de pandémie ? », interrogeait l’Espace éthique Ile-de-France lors d’une visioconférence le 28 septembre, dans le cadre des « Rencontres Covid-19, éthique et société ». Lors de ces débats, Nadine Le Forestier, praticienne hospitalière au département de neurologie de La Pitié-Salpêtrière (AP-HP), a pointé du doigt une « crise de la légitimité ». Et d’expliquer : « Depuis le début de la crise sanitaire, on a des pessimistes, des négationnistes, des misérabilistes, des mégalos, mais on n’a pas du tout d’optimistes. On ne sait plus ce qui est le juste, le nécessaire et le vrai. On se retrouve depuis des mois à avoir des politiques qui parlent de médecine et des médecins qui parlent de politique. C’est la porte ouverte au doute, à une sorte de questionnement sur qui est légitime sur le sujet qu’il aborde. Si les médecins se contentaient de parler de médecine en disant “je sais” ou “je ne sais pas” et si les politiques se contentaient de parler de politique à travers des éléments constructifs, peut-être que cela atténuerait les colères populaires présentes aujourd’hui », considère-t-elle. La praticienne critique les consignes contradictoires au sujet du port du masque qui, selon elle, ont favorisé « le discrédit dans lequel nous sommes actuellement ». Elle déplore également le fait que les médias interrogent « des gens qui n’avaient rien à voir avec l’immunologie, la virologie, voire la réanimation ».

Plus préoccupant encore, Nadine Le Forestier voit dans ce contexte de multiplication des fausses informations une crise de la démocratie. « Le taux d’incertitude est tellement important aujourd’hui qu’il conduit à la dictature de l’opinion. Le réel est tellement inintelligible que chacun s’engouffre dans des croyances avec une appréhension subjective qui dépasse les faits objectifs. On est vraiment dans un véritable manque d’audition. ll n’y a plus d’écoute, plus d’entente, et pour avoir une parole transparente et loyale, il faut reprendre tous ces paramètres et tous ces travers d’une société qui va mal. Penser que toute vérité est maintenant spéculative, forcément manipulatrice et pragmatique, c’est particulièrement dramatique », alerte-t-elle.

De son côté, Karine Demuth-Labouze, maître de conférences en éthique et biochimie à l’université Paris-Saclay, attribue cette émergence de la désinformation à la manière dont les savoirs scientifiques ont été produits, partagés et reçus lors de la première vague de la pandémie. « Dès le début de la crise sanitaire, la communauté scientifique a été appelée au chevet de la société. Elle a été sommée de produire dans l’urgence des savoirs qui permettraient d’endiguer l’épidémie. Dans la plupart des domaines scientifiques, le délai habituel entre la formulation d’une problématique et la production puis le partage d’une nouvelle connaissance fiable se mesure en années. C’est un délai inhérent à la démarche scientifique, il permet d’élaborer un protocole d’étude, de conduire des expérimentations, de valider méthodologiquement les résultats obtenus, de les interpréter à la lumière de résultats obtenus par d’autres, et de soumettre l’ensemble de la procédure à une évaluation par les pairs », explique-t-elle. Or, dans le contexte de la crise sanitaire, cette temporalité propre à la science a volé en éclats. « La communauté scientifique a été obligée de transgresser ses modes de fonctionnement. Elle a dû produire dans des délais n’autorisant pas pleinement l’exercice du doute scientifique et, d’autre part, elle a dû publier de nombreux rapports de travaux préliminaires non encore certifiés par les pairs. La communauté scientifique a été mise en lumière par les pouvoirs publics et ses travaux ont été médiatisés dans l’immédiateté et d’une manière doublement inédite. D’une part, cette médiatisation a impliqué des médiateurs professionnels mais aussi des politiques, des experts et des chercheurs, souvent en l’occurrence également médecins. D’autre part, cette médiatisation a débordé les canaux classiques de diffusion puisqu’elle s’est étendue aux réseaux sociaux », poursuit-t-elle.

Des savoirs non stabilisés

Pour Karine Demuth-Labouze, plusieurs points convergents explique cette émergence de fausses informations : « La médiatisation a porté sur des savoirs non stabilisés parce qu’ils ne pouvaient pas l’être ; deuxièmement, les frontières entre communications scientifique et non scientifique étaient brouillées ; et troisièmement, l’opinion publique était témoin de la science en train de se faire, c’est-à-dire qu’elle était confrontée à l’incertitude épistémiologique à un moment où, prise elle-même dans une incertitude plus ontologique, elle était plutôt en attente de certitudes. »

Nadine le Forestier a rappelé que, dans un contexte de crise sanitaire, la vérité se fait au jour le jour. « Il faut savoir expliquer que quand on prend une décision aujourd’hui, c’est le moins mauvais choix pour que les personnes qui écoutent les explications de ce que l’on sait à un instant T ne se réfugient pas dans le découragement, la désespérance, comme on l’entend avec les collapsologues et les fatalistes. » Elle conclut : « L’exigence de clarté, de transparence et de loyauté n’est pas synonyme de logorrhée avec le développement des réseaux sociaux à tout-va. Le silence serait synonyme d’inaction, d’incompétences, de cachotteries. Or le silence est aussi un temps de réflexion, d’évaluation, de concentration, de prise de distance. Le silence de certains politiques et de certains scientifiques serait bien plus bénéfique qu’une prise de parole à tout-va et tous les jours. »

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