Recevoir la newsletter

« Ce n’est pas l’exercice libéral qui me gêne, mais la relation marchande »

Article réservé aux abonnés

L’exercice libéral du travail social n’est pas massif mais significatif, selon Didier Dubasque, membre de la commission « éthique » du Haut Conseil du travail social, qui s’inquiète que certains, plus aisés que d’autres, puissent « s’offrir un professionnel ».
Comment expliquez-vous que de plus en plus de travailleurs sociaux s’installent en libéral ?

Ce phénomène révèle un malaise professionnel assez important. Dans les institutions, les cadres d’intervention sont de plus en plus contraignants, il n’est donc pas étonnant que des travailleurs sociaux souhaitent retrouver une certaine liberté d’agir et assumer les actes qu’ils posent plutôt que d’être soumis en permanence à une autorité administrative ou médicale. L’essence même de leur métier est d’avoir un espace, une autonomie qui leur permettent d’aider une personne en difficulté en construisant avec elle un processus d’accompagnement. Or, aujourd’hui, le système norme et leur demande de donner des réponses procédurales. Pour le moment, ce mouvement de fond reste assez marginal mais il est suffisamment significatif. En 2017, sur mon blog, j’ai rapporté l’histoire d’une éducatrice spécialisée travaillant en libéral. Trois ans après, je suis surpris de constater que cet article soit encore toujours très lu et suscite énormément de questions chez les professionnels. Dans le passé, des travailleurs sociaux ont déjà créé des SARL [sociétés à responsabilité limitée] et mutualisé leurs services, principalement dans le travail social en entreprises. Là, la nouveauté est davantage l’auto-entreprenariat et le fait que, dans ce cas, ce sont les usagers qui paient. Une iniquité de traitement entre les riches et les pauvres pourrait se profiler.

Craignez-vous qu’un travail social à deux vitesses se mette en place ?

En travail ou en service social, le fait de faire payer la personne modifie les conditions de l’intervention. Dans le contexte d’une action éducative, si un professionnel aide une famille avec son adolescent, comment fait-il s’il découvre que le parent qui paie la prestation est maltraitant, par exemple. Pourra-t-il prévenir ses collègues des services de la protection de l’enfance et saisir la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes ? C’est compliqué. Le risque existe de voir se développer un service social pour familles aisées qui ne veulent pas avoir affaire à l’aide sociale à l’enfance parce que c’est dégradant pour eux, mais « s’offrent » un professionnel pour régler des difficultés qui ne sont pas de l’ordre de la précarité ou du handicap mais des problèmes psychosociaux. Ce n’est pas tant la possibilité de pouvoir exercer en libéral qui me gêne, mais la relation marchande, le paiement à l’acte en quelque sorte. En même temps, nous sommes déjà dans une société de services où les personnes âgées ayant des moyens financiers, par exemple, sont mieux accompagnées que les autres.

Un travailleur social peut-il exercer seul, sans partage de pratiques et d’expériences ?

L’éducatrice en libéral dont j’ai fait état avant m’a dit avoir besoin de rester en lien avec ses collègues. Le danger serait de tomber dans une forme de solitude qu’il faut à tout prix éviter. D’où l’intérêt que des sites et des réseaux de professionnels libéraux se développent. Un travailleur social ne peut pas vraiment innover tout seul, le collectif est nécessaire pour avoir une réflexivité et le recul permettant d’analyser des situations et d’élaborer des réponses possibles. Dans les institutions, il y a quand même les moyens de travailler en équipe, d’échanger entre pairs et d’être supervisé. Par ailleurs, ceux qui exercent en indépendant – je préfère utiliser ce terme plutôt que celui de « libéral » qui est très connoté – se réfèrent au code de déontologie des assistants de service social mais il n’en existe pas pour les éducateurs. Il y aura une déontologie à établir afin d’empêcher les dérives et que des personnes non qualifiées ou non diplômées se décrètent spécialistes du travail social et fassent n’importe quoi.

L’événement

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur