« Vague de départs d’infirmières du réseau public québécois », titrait récemment Radio-Canada. Depuis quelques semaines, les médias québécois se font l’écho des démissions d’infirmières dans la province. Sur 14 600 infirmières à Montréal, plus de 800 ont démissionné entre mars et juillet dernier. Et plus de 12 000 travailleurs de la santé se sont fait porter pâle au pic de la crise sanitaire, le plus souvent dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), l’équivalent des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Les « blouses bleues » – la couleur des uniformes médicaux au Québec – quittent massivement les établissements de santé pour travailler dans des structures privées. Le phénomène ne date pas d’hier. Mais alors qu’il était stable depuis quelques années, le départ vers les structures privées s’est accentué avec l’épidémie du coronavirus.
Environ 10 % des infirmières travaillent pour le secteur privé ou des agences de placement, selon le ministère québécois de la Santé. La raison ? Les personnels peuvent choisir dans ces structures leurs horaires de travail. Les salaires sont aussi plus élevés, même si la rémunération des infirmières québécoises est raisonnable : dans le secteur public, elle s’échelonne de 50 000 $ canadiens (32 000 €) par an en début de carrière à 80 000 $ (51 300 €), soit l’équivalent de deux à trois fois et demi le salaire minimum. Des chiffres auxquels il faut ajouter de nombreuses primes (nuit, ancienneté de travail dans les services de réanimation, éloignement…). Certains CHSLD offrent même des primes pouvant atteindre 1 000 $ par mois pour ceux qui restent dans la structure. Dans le secteur privé, certaines infirmières gagnent plus de 100 000 $ canadiens par an.
Dans un pays où l’attachement à l’entreprise ou à la profession est faible, les infirmières changent aussi carrément d’orientation professionnelle. Telle cette infirmière montréalaise depuis une dizaine d’années. « J’étais extrêmement fatiguée. C’était très difficile comme travail. Je lève mon chapeau à celles qui font ça depuis cinq mois », a récemment confié Nathalie Staké-Doucet à Radio-Canada. Après une dizaine d’années comme infirmière dans un établissement pour personnes âgées, elle l’a quitté. C’est surtout au cours de ces derniers mois que la situation s’est tendue. « Si ma mère était dans un CHSLD, je la sortirais. Ce n’est pas la qualité du personnel que je remets en cause, mais bien le manque de moyens qui fait en sorte qu’on doit diminuer des services », pointe l’infirmière de l’une de ces structures préférant rester anonyme à l’hebdomadaire La Nouvelle union. Son équipe compte une autre infirmière en plus d’elle et cinq aides-soignantes pour 30 patients.
La plupart des blouses bleues dénoncent un manque de moyens, des heures supplémentaires obligatoires et demandent des hausses salariales. Nombreuses sont celles qui déplorent aussi une désorganisation et la hausse des tâches de gestion. « Dans mon établissement, les chefs d’unités concoctent eux-mêmes les horaires de travail. Résultat ? Ils placent 10 infirmières le jour, contre 2 le soir dont une qui reste seule pendant 1 h 30 pour 171 résidents dont 25 % ont été atteints du Covid », rapporte une infirmière dans un courriel à son ordre professionnel.
La crise sanitaire a plus que marqué les esprits au Québec, l’un des endroits les plus touchés au monde avec près de 6 000 morts pour seulement huit millions d’habitants, essentiellement dans les CHSLD, transformés en « mouroirs » durant le Covid. Les Québécois ont reproché aux personnels d’avoir rapidement abandonné leurs postes pour laisser les résidents sans soins et parfois sans nourriture. Pour pallier cette crise, le gouvernement canadien a dépêché plus de 1 000 militaires spécialisés dans les CHSLD. Alors que la deuxième vague a commencé au Québec, la catastrophe sanitaire semble devoir se répéter.