« Madame Titi : préparation du repas chaque midi »
La mission semble simple. « Vous verrez, c’est une dame charmante, et vous n’aurez qu’à préparer les menus élaborés par sa fille », m’a dit madame Grandchef, ma pimpante patronne un peu pédante.
Jour 1 : Je suis plantée devant la porte et sous la pluie. J’ai beau sonner, toquer, appeler, rien n’y fait. La porte reste désespérément close et je suis trempée. Dépitée, j’appelle madame Grandchef.
« Insistez ! » ordonne-t-elle. J’obéis. Je sonne, je tambourine, j’appelle. Derrière la porte, la maison entière retient son souffle. Je sais pourtant que madame Titi est là : j’ai entendu le téléphone sonner au loin, puis des pas précipités, puis plus rien. Je sais qu’elle sait que je suis là. Je sais qu’elle sait que je sais. Et vice versa. Je m’y perds et elle gagne. Je renonce et repars.
Jour 2 : Je suis plantée dans le salon. C’est madame Titi fille qui m’a ouvert la porte, furieuse : « Vous n’êtes pas venue hier, ma mère vous a attendue ! » La fille me regarde, je regarde la mère, la mère regarde ailleurs.
Je bredouille de confuses excuses : « C’est-à-dire que… je suis venue… mais personne n’a ouvert… j’ai appelé… mais personne n’a répondu… »
Madame Titi fille n’est que fureur, madame Titi mère joue la candeur, et je ne suis que stupeur : « J’ai averti votre patronne. Je vous paie pour faire votre travail, alors faites-le ! »
Jour 3 : Je suis plantée dans la cuisine. J’ai préparé le menu selon les consignes de madame Titi fille : courgettes vapeur, riz, blanc de poulet, fromage blanc, fruit. Un menu équilibré, ni trop gras ni trop sucré ni trop salé. Sauf que voilà, madame Titi mère a grignoté toute la matinée, un petit gâteau, puis deux, puis trois, puis le paquet tout entier… et, forcément, à midi, elle n’a plus faim.
« Je mangerai ça ce soir » me promet la charmante dame. Naïve que je suis, je la crois.
Jour 4 : Je suis plantée dans le salon. L’infirmière me passe un savon : « Vous le savez, pourtant, que cette dame est diabétique ! Vous êtes censée lui préparer des repas équilibrés, pas la gaver de cochonneries ! Ses glycémies sont catastrophiques ! Mais où donc avez-vous appris votre métier ? » L’infirmière aboie, je rougeoie, madame Titi flamboie.
Jour 5 : Je suis plantée devant le bureau de madame Grandchef : « Vous arrivez en retard, vous ne respectez pas les consignes, vous mentez… Madame Titi fille est furieuse après vous. Je vous préviens Florentine, il va falloir y mettre du vôtre. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre ce contrat ! » Madame Grandchef m’assassine et je me ratatine.
Jour 6 : Je suis plantée devant mon café qui refroidit. Céleste tente vainement de me consoler : « Tu n’y es pour rien. Madame Titi ne veut pas de nous, c’est sa fille qui lui impose notre présence, alors elle nous fait la misère. Et comme elle peut se montrer tout à fait charmante, tout le monde la croit. »
Jour 7 : Je suis une fichue garce pour madame Titi mère, une bonne à rien pour madame Titi fille, et une incapable pour madame Grandchef. Je suis plantée devant ma voiture. Incapable de bouger.