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« La bête nous met face à l’essoufflement du modèle qu’est l’Ehpad »

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Chloé Poirault, petite-fille d’une personne âgée hébergée en Ehpad et travailleuse sociale, invite à tirer les leçons du confinement dans les Ehpad. Pour elle, il est indispensable, de « faire un pas de côté pour conjuguer sécurité et humanité ». Elle invite à une plus grande association des familles à la vie des établissements, et rappelle combien l’accompagnement des proches et des professionnels est indissociable de la proximité.

« “LA BETE, ELLE A QU’A NOUS EMPORTER”(SIC MARIE-JO 84 ANS, ANCIENNE AGRICULTRICE, VIVANT EN EHPAD DEPUIS JUIN 2018). La bête, c’est aussi celle qui, par des mesures sanitaires et sécuritaires, a fait enfermer notre aînée dans son Ehpad depuis le 12 mars dernier. Elle a été recluse dans sa chambre, puis dans son étage, puis au sein de son établissement. Après une restriction totale des visites, celles-ci ont pu reprendre à compter du 13 mai sous surveillance de la protection civile, pour un roulement d’une visite toutes les cinq semaines. Rappelons ici que nos personnes âgées d’aujourd’hui sont également celles qui ont vécues la guerre hier et, qu’être enfermées, vivre avec des restrictions et être surveillées, n’est pas sans faire écho à leur passé. Sous la pression des familles, qui ont créé un collectif pour permettre une plus grande coopération familles-direction et favoriser la communication sur la vie des résidents, les visites “libres” ont pu reprendre le 7 juin. Durant l’été, des communiqués rappelaient aux familles la décision de rester sur la posture d’interdire les rencontres à l’extérieur de l’établissement. Le 16 septembre, soit après six mois d’enfermement de notre aînée, les sorties encadrées par un protocole sont rendues possibles. Six mois durant lesquels, il a fallu rassurer, répondre aux angoisses tout en gérant les nôtres, être présents sans l’être. Echéance après échéance, sous couvert de sécurité et de protection, nous n’avons pas eu le choix que d’accepter les règles et les protocoles.

La bête, qui a engendré une crise sanitaire sans précédent, est venue accentuer des difficultés, déjà présentes dans les établissements. La crise révèle qu’au-delà de leur prise en charge financière et sanitaire, il convient de créer des conditions de vie humaines et adaptées pour nos aînés. Or quels constats faisons-nous aujourd’hui ? Ils souffrent de la perte et de la rupture des liens familiaux, en conçoivent un sentiment d’abandon, et glissent vers des syndromes dépressifs conduisant, tout comme le Covid-19, vers la mort. “Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? Autant finir à la rivière.”

Traumatisme à tous les échelons

Les familles se sentent déconsidérées et naviguent entre compréhension, incompréhension, tristesse et colère. Leur préoccupation étant le bien-être de leur parent, grand-parent. Le personnel est épuisé par les conditions de travail, le rythme et la non-reconnaissance de leur métier. Leur préoccupation est de parvenir à effectuer l’ensemble des tâches demandées en un temps défini. Les directions tentent de faire vivre leurs établissements en intégrant ces différents paramètres, tout en répondant aux multiples préconisations sanitaires de l’agence régionale de santé (ARS) et en endossant personnellement les risques encourus. Leur enjeu est la responsabilité de cette articulation jonchée de paradoxes. En effet, avec le Covid-19, les préconisations de l’ARS ont décuplé mais ces préconisations sont-elles des injonctions sous-jacentes pour les directions qu’on n’oubliera pas de blâmer en cas de négligence ?

Cette période reste traumatisante pour chacun de nous mais pour que ce traumatisme nous serve de tremplin, prenons le temps de poser notre regard autour de nous. Nous voyons que les familles n’abandonnent pas leurs aînés, que l’accompagnement reste une clé, et que faire un pas de côté pour conjuguer sécurité et humanité est possible. Après la sidération et la résignation de ce confinement, les familles ont répondu par la colère au vécu de leurs aînés. Conscientes des difficultés éprouvées par les structures, elles ont malgré tout exprimé leur indignation. Cette privation de liberté du proche, cette mise sous cloche sanitaire des résidents a été choquante. La crise sanitaire a engendré une prise de cons­cience de leur absence au sein de la vie de l’établisse­ment. Pour de nombreux proches, cette bête a été un électrochoc pour décider de prendre partie, d’être entendus et de pouvoir échanger et construire ensemble.

Accompagner, c’est s’adapter aux personnes et aux situations

’Accompagner” conjugue deux idées : celle “d’être avec” et celle de “déplacement en commun”. Cela signifie d’aller vers l’autre et de se joindre à lui. Accompagner ou être accompagné, c’est être ensemble et accepter l’autre partie. Cela exige une relation de proximité ou l’échange s’effectue dans une sphère de confiance dans le but de parcourir un chemin, quel qu’il soit, ensemble. Une personne âgée vivant dans un Ehpad est avant tout une personne, autrement dit un sujet à part entière dotée de son parcours, de son histoire de vie, de sa personnalité, de ses demandes et de ses capacités. C’est aussi une personne avec des besoins bien particuliers en termes de sécurité physique, psychologique et d’affectivité. “Aller vers”, c’est prendre le temps d’écouter, d’observer, d’apprendre, de faire, d’échanger… “Etre avec”, c’est favoriser, parfois béquiller, analyser… “Parcourir un chemin”, c’est maintenir, développer, s’ajuster… Chacun de ces verbes étant une réalité aussi bien pour l’accompagnant que pour l’accompagner.

Accompagner, c’est aussi s’adapter non seulement aux personnes mais également aux situations. Pour composer avec la crise sanitaire, il aura fallu réagir vite, prendre des mesures strictes, ne laissant peu, voire aucune, marge de manœuvre à nos cadres administratifs. Mais si mince soit-elle, cette brèche, certains ont su s’en saisir. L’idée n’est pas d’enfreindre la règlementation, mais de l’adapter à sa propre situation. Même s’il n’est pas aisé, pour les administrations, de s’écarter du chemin règlementaire, d’en emprunter un autre que celui recommandé, certains l’ont fait grâce à l’intelligence collective. Ces initiatives soudaines ont permis, à la fois de maintenir le lien entre les aînés et l’extérieur, ainsi que de résoudre des problèmes sanitaires. C’est l’exemple des donations de masques par les entreprises aux Ehpad et du redéploiement du personnel de santé départemental pour soutenir les structures. De même, la réalisation de vidéos, l’inventorisation des tablettes numériques, l’instauration de la visio-conférence, l’envoi de courriers, sont des exemples de bonnes pratiques qui ont émergé au fur et à mesure du confinement et de l’après. Car oui, il y a eu et il y a toujours un après. Comment conjuguer visites des familles, lorsque le numérique ne suffit plus ou n’est pas toujours adapté, avec protection de la santé des plus fragiles ? Encore une fois, il a fallu sortir des lignes règlementaires, emprunter un chemin autre mais tout aussi sécurisé. C’est la création d’une salle avec vitre séparant les interlocuteurs, la mise en place d’un jardin éphémère pour sortir, se balader et finalement avoir le droit de respirer.

« Des moyens d’agir et de réfléchir »

En plus d’avoir bouleversé notre quotidien, cette crise est venue nous rappeler l’essentiel : la vie et les conditions de vie. Aussi l’accueil et l’accompagnement des personnes âgées dépendantes sont-ils un véritable enjeu. Acteurs de terrain ou “lanceurs d’alertes”, qu’attendons-nous réellement des politiques publiques ? Des moyens. Des moyens d’agir et de réfléchir. Nous parlons là de la revalorisation des métiers des secteurs médico-sociaux et sociaux. Il s’agit des salaires mais également de la communication positive à impulser sur le sujet. Les métiers de l’accompagnement sont des métiers d’engagement, faisant vivre des convictions personnelles et des valeurs. L’essence même de ces raisons méritent reconnaissance. Nous parlons de la formation humaine du personnel. La gestion de l’humain est complexe, ceci dans un système qui l’est tout autant. La formation paraît alors essentielle afin d’appréhender ces aspects, expérimenter, construire et faire évoluer sa pratique professionnelle. La formation forge une connaissance, façonne un regard, et donne des éléments de compréhension. Au nom de la bienveillance, soyons exigeants et autorisons-nous à réfléchir, à communiquer, à remettre en question, à batailler. Nous parlons de la réflexion à engager pour repenser l’organisation de la vie au sein des structures collectives et garder les personnes au cœur de celles-ci.

La bête nous met face à l’essoufflement du modèle qu’est l’Ehpad et nous conduit collectivement à repenser le système. Restons auteurs et acteurs de ce changement. »

Contact : poirault588@gmail.com

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