« CETTE OBSESSION DE LA SÉCURITÉ SANITAIRE A DES ANCRAGES HISTORIQUES », analyse Raymond Massé, anthropologue, spécialiste d’éthique de la santé publique (Université Laval, Québec), lors d’une visioconférence organisée par l’Espace de réflexion éthique de la région Ile-de-France. « L’idéologie sanitariste a mis un accent important sur la santé depuis un siècle. On a convaincu les individus sur l’importance suprême de la santé par rapport aux éléments de la vie. Progressivement, au fil des décennies, les lois sont venues placer la valeur santé comme la valeur prioritaire par rapport au reste », explique-t-il.
Conséquences ? « Les décideurs politiques qui doivent gérer et prendre des décisions lors des pandémies doivent composer avec une très forte majorité de la population qui fait passer la santé bien avant toutes les autres valeurs, bien avant même les droits fondamentaux, les libertés fondamentales. Une forte majorité de la population est en demande de sécurité, en demande de protection par rapport aux institutions de santé publique et aux autorités de santé. » Raymond Massé note dans certains cas l’attente « d’un paternalisme fort qui implique l’imposition de normes (confinement, distanciation sociale, port du masque, etc). » Et l’anthropologue de poursuivre : « Dans les sociétés socio-démocrates, l’Etat sera vertement critiqué s’il ne met pas en place toutes les mesures qui vont sauver la sécurité sanitaire. Les autorités politiques et de santé publique seront responsabilisées en cas d’échec de ces mesures. La population leur reprochera de ne pas avoir réagi assez rapidement, assez fortement ou de manière suffisamment musclée. L’Etat se retrouve donc pris entre des groupes sociaux en attente d’être sécurisés pour leur santé et des défenseurs, inconditionnels parfois, des droits et libertés. A cela s’ajoute la perte de confiance dans les experts et les savoirs experts. Leur autorité est mise à mal aujourd’hui pour justifier, légitimiser les restrictions des droits et libertés. Elle est fragilisée par l’utilisation parfois abusive de ces experts de santé publique par les politiques. On a vu dans plusieurs pays des politiciens tenir des conférences de presse en compagnie de directeurs de la santé publique venant légitimer au nom de la science des décisions politiques qui allaient parfois bien au-delà de la science. Une brèche s’est ouverte et les a fragilisés aux yeux de l’ensemble de la population. Le savoir populaire, la critique radicale de toute autorité et les réseaux sociaux ont également joué un rôle majeur dans la fragilisation de ces savoirs experts. »