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Pas de relance pour les plus précaires

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Bien que les plus précaires comptent parmi les victimes les plus touchées par la crise et basculent dans la pauvreté, le plan de relance du gouvernement fait l’impasse sur des mesures structurantes qui auraient témoigné de sa prise en considération du problème. Pire : certaines réformes semblent avoir été jetées aux oubliettes. Un choix critiqué par Jérôme Voiturier, directeur général de l’Uniopss.

« LA CRISE SANITAIRE ET SES CONSEQUENCES ECONOMIQUES TOUCHENT TOUTES LES CATEGORIES DE LA POPULATION quels que soient l’âge, les conditions de vie, les ressources, le lieu de vie. Les plus fragiles et les plus vulnérables en premier lieu. Ceux pour qui le moindre événement exceptionnel n’est pas supportable financièrement. La hausse des dépenses liées au confinement (fermeture des cantines scolaires, hausse des dépenses alimentaires et des charges d’électricité et d’eau) ainsi que la baisse de certaines recettes (chômage partiel, perte d’emplois, suspension de l’économies informelles…) ont dès lors fortement impacté les plus précaires, mais également une grande frange de la population se trouvant à la limite de la pauvreté avant ces événements. Comme le décrit la direction du Trésor, dans une note parue au mois d’août 2020(1), la crise du Covid-19 et les mesures de lutte contre la propagation du coronavirus ont mis en lumière les inégalités de conditions de vie des individus et le risque d’accroissement de celles-ci en particulier sur les conditions de logement et les risques de décrochage scolaire.

Nous sommes dès lors aujourd’hui face à une aggravation, un basculement et un ancrage d’une frange de la population dans la grande précarité. Ainsi la paupérisation des 15-30 ans s’accélère-t-elle (près de 24 % de cette classe d’âge est en situation de pauvreté contre 14 % de la population générale). De même, la situation s’aggrave pour les 9 % des ménages les plus modestes qui, avant la crise, avaient déjà perdu du pouvoir d’achat en 2019 avec les effets cumulés des mesures de 2018 et 2019(2).

Aussi l’attente était-elle grande de mesures fortes pour améliorer la réalité vécue à la fois dans l’immédiat mais également la perspective d’avenir de plus de 9 millions de nos concitoyens dont 3 millions d’enfants. Le plan de relance présenté le 3 septembre dernier représente sur ce point une occasion manquée.

Décliné autour de trois axes que sont l’écologie, la compétitivité et la cohésion, ce plan de relance “France Relance”, malheureusement oublie à la fois de répondre à l’urgence sociale pour les plus précaires et d’investissement pour construire “le monde d’après” qui devait être plus juste socialement. Outre l’aspect financier qui fait que les personnes en situation de pauvreté sont celles qui bénéficieront le moins des mesures du plan de relance (pour mémoire 800 millions sur les 100 milliards du plan), les dispositifs proposés pour les personnes en grande précarité ne sont pas à la hauteur.

Des annonces en deçà des besoins

En effet, la majoration de 100 € de l’allocation de rentrée scolaire – mesure déjà annoncée précédemment – ne compense pas intégralement les coûts liés à la crise du Covid-19. Les repas à 1 € en restaurant universitaire ne concernent qu’une partie de la jeunesse et pour beaucoup l’accès à l’université n’est pas assurée.

L’enveloppe de 100 millions d’euros pour un soutien exceptionnel aux personnes en grande précarité pour la construction de places nouvelles d’hébergement et de rénovation des places existantes est clairement sous-doté lorsque l’on estime à 141 000 le nombre de personnes sans domicile en France(3) et que, comme le rappelle la Cour des Comptes, cette politique est structurellement sous-budgétisée d’année en année(4).

Enfin, troisième mesure concernant le soutien aux personnes précaires, la dotation de 100 millions d’euros pour les associations d’aide aux personnes vulnérables est là encore insuffisante.

Dans une enquête du réseau Uniopss/Uriopss, auprès de 2 000 structures de solidarité œuvrant auprès des personnes précaires, des personnes âgées, des personnes en situation de handicap, de la petite enfance, de la protection de l’enfance, et de la santé, nous avions démontré que près de 96 % des structures indiquent des surcoûts liés à la crise du Covid-19 (achat d’équipements de protection individuelle, renfort en personnel, frais liés aux heures supplémentaires) et que, parallèlement, près de 66 % des structures ont déclaré une baisse de leurs recettes.

Au-delà des questions des associations de solidarité, le secteur associatif dans son ensemble était en attente de ce plan de relance. S’il faut saluer l’annonce de la secrétaire d’Etat chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable, Olivia Grégoire, de plus de 1,3 milliard de crédits bénéficiant directement aux acteurs de cette économie, dont les associations, il manque une politique transversale et structurelle vis-à-vis du monde associatif où, faut-il le rappeler, près de 30 000 structures sont susceptibles de déposer le bilan. Une mesure qui aurait permis d’avoir une politique de formation, de développement de l’innovation associative, et de renforcer le Fonds de développement de la vie associative (FDVA) pour qu’il puisse enfin jouer pleinement son rôle.

Bien sûr, le gouvernement a proposé des mesures momentanées pendant la période aiguë de la crise, que ce soit pour le secteur associatif ou pour les personnes en situation de précarité. On peut citer, par exemple, pour le secteur associatif des aides de financement et de gestion courante ou pour les personnes en situation de précarité des solutions temporaires concernant l’aide alimentaire, l’hébergement et des aides financières exceptionnelles pour les familles modestes et les jeunes étudiants sans ressources.

Mais l’absence de mesure à long terme visant à faire évoluer structurellement la situation des personnes précaires nous pose question à un moment où le devenir de la concertation sur le revenu universel d’activité (RUA), sensé amélioré le quotidien des personnes en situation de pauvreté est incertain.

Une regrettable absence de mesures structurantes

Diverses mesures auraient pu être présentes dans ce plan de relance. On peut citer, par exemple, la nécessité d’une revalorisation significative du revenu de solidarité active (RSA) et son ouverture dès 18 ans, qui permettrait qu’aucun jeune majeur soit sans ressource, ou encore la revalorisation des aides personnalisées au logement (APL) tenant compte des impayés de loyer et qui sécuriserait également les propriétaires. Concernant le logement, il aurait pu être proposé un plan de création de logements PLAI, qui à la fois permet de loger de manière pérenne et de relancer l’emploi et le secteur de la construction. En outre, la crise a montré le besoin du développement d’une politique de sécurisation alimentaire qui aurait pu lier la possibilité d’une politique de lutte contre l’exclusion et de développement d’une alimentation durable. On aurait également pu imaginer un investissement dans l’insertion par l’activité économique et les contrats aidés, dont l’abandon constitue une erreur.

L’absence de mesures spécifiques structurantes pour les personnes les plus précaires du plan de relance s’expliquerait par la stratégie du gouvernement qui souhaite faire de la lutte contre la précarité une “action constante” et donc l’inscrire dans la continuité. Echaudés par les précédents budgets, nous attendons donc les traductions de cette volonté dans les lois de finances et de financement de la sécurité sociale à venir, afin de voir si la lutte contre la pauvreté constitue enfin un axe de la politique du gouvernement.

Néanmoins, comme le rappelle le président de la République à propos du plan “France Relance”, le but consiste à permettre de reprendre en main notre destin afin de construire la France de 2030. Un objectif louable. Mais encore faudrait-il se donner les moyens que chacun, quelle que soit sa fragilité, puisse participer à cette construction de notre destin commun. Donner la possibilité à chacun de participer à l’élaboration du destin commun, c’est aussi cela “l’égalité des chances”. »

Notes

(1) « Inégalités de conditions de vie face au confinement » –  Trésor-Eco n° 264, août 2020 – Direction générale du Trésor.

(2) « Les impacts du budget 2020 sur les ménages et les entreprises » – Brice Fabre, Arthur Guillouzouic, Chloé Lallemand, Claire Leroy et Clément Malgouyres – Octobre 2019, Institut des politiques publiques – https://bit.ly/3hgLoIo.

(3) Chiffre cité dans le rapport de Nicolas Demoulin, rapporteur du groupe de travail sur l’hébergement d’urgence à l’Assemblée nationale.

(4) « L’hébergement des personnes sans domicile : des résultats en progrès, une stratégie à préciser » – Rapport public annuel 2017 de la Cour des comptes.

Contact : jvoiturier@uniopss.asso.fr

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