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Info sociale en ligne est un dispositif unique en France permettant à tous les habitants d’Ille-et-Vilaine d’être informés et orientés rapidement. Le succès de ce service téléphonique, gratuit depuis cette année, tient beaucoup à l’expertise de ses conseillères sociales.

« VOUS VOULEZ CHANGER LA BAIGNOIRE-SABOT ? VOUS N’AVEZ PAS DE DOUCHE ? «  Installée derrière son bureau et équipée de son casque-micro, Angèle Baffet ne travaille pas pour une entreprise de plomberie mais pour le service Info sociale en ligne (ISL). Unique en France, ce dispositif de lutte contre les exclusions est à la disposition de tous les habitants d’Ille-et-Vilaine depuis vingt ans. Dans quatre bureaux situés au sous-sol de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de Rennes, sept conseillères sociales répondent 5 jours sur 7 par téléphone, mails ou courriers aux demandes d’informations juridiques, administratives ou pratiques de la vie quotidienne. Fondé sur le respect de l’anonymat et sur l’écoute bienveillante, le service rattaché au pôle « Solidarité » du département d’Ille-et-Vilaine permet d’apporter un premier niveau de réponse et d’orientation personnalisé. Famille, emploi, logement, santé, éducation, justice, citoyenneté, droit de la consommation, des étrangers ou de la fonction publique… Les thématiques abordées vont bien au-delà des compétences obligatoires de la collectivité. Le service fournit les réponses dans 60 % des cas, les 40 % restants étant réorientés vers un organisme ou un centre départemental d’action sociale.

« Etes-vous en situation de dépendance ?, demande Angèle Baffet à son interlocutrice. Oui, il existe des aides pour aménager son logement. » La conseillère sociale l’oriente alors vers Soliha, une association au service de l’habitat des personnes défavorisées. A peine raccroché, le téléphone sonne à nouveau. Pas le temps de s’ennuyer. « Information sociale en ligne, bonjour ! » La conseillère prend consciencieusement des notes dans son cahier à petits carreaux. En face d’elle, sa collègue a scotché sur son poste de travail deux mots en majuscules : « patience » et « concentration ». « Si je comprends bien, c’est un contrat destiné à remplacer une personne dont vous ignorez la durée du congé maladie ? «  La question, assez technique, a trait au droit du travail. Angèle a beau travailler dans le service depuis vingt ans, elle n’a pas toutes les réponses. Certaines demandes nécessitent une recherche d’informations juridiques plus approfondie, mais toujours dans un délai maximal de 48 heures. Après avoir mis en attente son interlocuteur, elle traverse son bureau pour aller chercher le Dictionnaire permanent social, un pavé de plusieurs milliers de pages. Trois minutes après, elle reprend l’appel. « Je ne suis pas spécialiste, mais cela ne me semble pas être le meilleur des contrats car vous n’avez ni les avantages du contrat à durée indéterminée ni ceux du contrat à durée déterminée. » Passé ce premier niveau de réponse, la professionnelle oriente encore une fois vers un service plus qualifié, en l’occurrence la Direccte (direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi). « Nous ne sommes ni des avocats, ni des médecins, et pourtant on nous appelle aussi pour des bébés qui pleurent. On oriente alors la maman angoissée vers la protection maternelle et infantile ou la ligne Allô Parents Bébé. En effet, nous sommes légitimes à écouter l’inquiétude, mais pas à diagnostiquer », souligne Angèle Baffet.

Lutter contre la fracture territoriale

Le concept d’ISL est né de l’initiative nationale de l’Association Action humanitaire à la suite de la promulgation de la première loi de lutte contre les exclusions en 1998. Le service a d’abord été testé dans le Puy-de-Dôme et la Haute-Loire avant d’être déployé, en Ille-et-Vilaine notamment. Seul ce département a souhaité le conserver. En juin 1999, le coût du projet s’élevait à 1,2 million de francs de l’époque (182 940 €), dont la moitié financée par le département et l’autre moitié par les partenaires : la caisse d’allocations familiales (CAF) d’Ille-et-Vilaine, la direction départementale de l’action sanitaire et sociale (Ddass)et la mutualité sociale agricole (MSA). Vingt ans plus tard, seule la collectivité continue à le porter à bout de bras. « En 2008, lors de la crise économique, le département a dû restreindre ses crédits d’intervention. On s’était alors demandé s’il fallait garder ce service. Au final, il a été conforté », explique Robert Denieul, directeur du pôle « solidarités humaines ». L’effectif est passé de quatre conseillères à mi-temps en 1999 à six temps pleins aujourd’hui. « A l’heure où on parle d’accueil social inconditionnel, on se rend compte que le département a eu cette préoccupation bien avant l’heure », souligne Catherine Debroise, vice-présidente du conseil départemental d’Ille-et-Vilaine déléguée à l’insertion et à la lutte contre l’exclusion.

La collectivité a même décidé cette année de rendre gratuit le numéro d’appel. « Maintenir un vrai service public par téléphone, ce n’est pas banal, mais on s’aperçoit que cela permet de lutter contre la déshumanisation et les fractures territoriales. ISL est un support indispensable pour tous les guichets de proximité comme les mairies ou les maisons France service, d’autant plus avec la mise en place du schéma départemental d’amélioration de l’accessibilité des services au public », analyse Robert Denieul. « Quand on appelle ici, on a toujours quelqu’un. Cela surprend même certaines personnes qui s’attendent à des robots », plaisante Françoise Pivaut, responsable du service depuis quatre ans. Certes, six conseillères « social » derrière un bureau, ce sont autant de travailleuses sociales en moins sur le terrain. Un manque qui ne se fait pas sentir, bien au contraire. Car « en donnant un premier niveau de réponse avec ISL, on évite des rendez-vous inutiles et l’engorgement des CDAS [centres départementaux d’action sociale] », remarque Françoise Pivaut. Les travailleurs sociaux peuvent alors se concentrer sur les fondamentaux de leur métier, à savoir l’accompagnement.

Un observatoire social privilégié

Véritable gare de triage, ISL reçoit entre 40 et 50 appels téléphoniques et 10 mails par jour. Auxquels s’ajoute une centaine de courriers manuscrits par an. 80 % des sollicitations proviennent des particuliers et 20 % des professionnels, notamment de travailleurs sociaux. « Certains sont seuls en institution. On est là pour leur faciliter leurs démarches. J’ai autrefois été sur le terrain et je sais combien c’est difficile », assure Angèle. L’une de ses collègues vient justement de recevoir un appel d’une assistante sociale de la CAF. « Elle était en entretien avec une personne. Son interrogation portait sur les démarches à faire auprès du juge des tutelles. Cela nous arrive souvent. » Le profil des conseillères sociales leur permet de couvrir un large spectre de compétences. Dans l’équipe figurent trois assistantes sociales, deux conseillères en économie sociale et familiale, deux éducatrices spécialisées, une juriste-documentaliste et une cheffe de service. « On sollicite les collègues sur certains sujets qu’elles maîtrisent mieux que nous, en fonction de notre expérience à chacune », remarque Marion Ferchaud, 40 ans. Avant d’intégrer ISL en juillet dernier, cette assistante sociale de formation a travaillé dans une association d’écoute des femmes victimes de violences conjugales. Ce matin, elle a reçu plusieurs appels à propos du fonds de solidarité logement. « Il y a aussi eu le cas un peu plus compliqué d’une jeune femme partie du domicile familial en situation de tension », note-t-elle.

La majorité des appels concerne des personnes en amont de l’exclusion, souvent en situation de rupture ou de crise. Des situations qui entraînent une fragilisation des personnes souvent dépassées par les méandres administratifs. La durée moyenne d’un appel a augmenté en vingt ans et s’élève à huit minutes, mais de nombreux échanges nécessitent plus d’une heure d’écoute. « Les situations se sont complexifiées. On voit l’impact de la dématérialisation. Les gens nous disent que les services publics se sont éloignés du terrain. On se rend compte des problèmes liés à la mobilité des gens isolés », indique Françoise Pivaut. Le service ISL est un bon observatoire de l’évolution des questions de société. Alors que la thématique familiale ne représentait que 10 % des appels en 2000, ce pourcentage atteint 22 % en 2018. Majoritaires à la création avec 39 % des appels, les questions liées au chômage ou à l’emploi ont diminué de 22 %. Le service observe une augmentation des appels de femmes victimes de violences conjugales et de personnes en situation de fragilité psychologique. Les questions liées au droit des étrangers, en hausse elles aussi, proviennent majoritairement des travailleurs sociaux des centres départementaux d’action sociale et nécessitent souvent de faire appel aux avocats du centre départemental d’accès au droit, avec lequel ISL a noué un partenariat. Le service travaille en effet en réseau. Il a noué une vingtaine de conventions avec notamment le conseil départemental d’accès aux droits, la maison départementale des personnes handicapées, Pôle emploi, le Centre d’information et de défense des femmes et des familles, les Restos du cœur, ou la Fédération des particuliers employeurs de France…

L’anonymat permet aux personnes de se livrer beaucoup plus qu’elles ne le feraient en face à face. Toutes les conseillères ont été formées à l’écoute active et bienveillante. Elles peuvent accueillir les peurs, la colère, les cris et les pleurs de certains appelants. « En n’étant pas physiquement avec les personnes, j’ai développé mes capacités d’écoute. On est plus attentif aux silences, au ton de la voix, à la formulation, aux sanglots », affirme Véronique Lossec, éducatrice spécialisée. « Les gens appellent pour une question précise, mais les collègues peuvent identifier d’autres problèmes en détricotant la situation, explique Françoise Pivaut. Derrière un appel pour un divorce, on peut, par exemple, détecter un problème de violences conjugales qui a un impact sur les enfants. » Angèle Baffet confirme : « Personnellement, je pose toujours la question des violences car les gens ne le disent pas d’emblée ou croient que les humiliations et insultes n’en font pas partie. »

Autre cas de figure : une personne appelle pour une aide au logement, et la conseillère se rend compte qu’il n’y a pas de chauffage et que c’est un habitat insalubre. Elle peut l’orienter vers des associations spécialisées. ISL contribue alors à lutter contre le non-recours aux droits. En complément de ses missions d’information et d’orientation, le service propose également un annuaire social en ligne créé cette année. Celui-ci recense 2 500 organismes ressource sur le territoire et permet de faire des recherches par thématique (logement, santé, famille…), par géolocalisation ou par profil d’usager (personne âgée, allocataire du revenu de solidarité active…). ISL gère le service d’interprétariat pour les personnes étrangères. Il se charge par ailleurs du recueil des informations préoccupantes concernant des appels de particuliers pour le signalement d’enfants en danger ainsi que de la ligne départementale Ecoute maltraitance pour les personnes âgées et handicapées.

Avec le Covid-19, les appels ont explosé

« Le service a été déstabilisé durant le confinement », confie-t-on au département. Tous les agents sont passés au télétravail et sont restés joignables uniquement par mail. Les demandes ont néanmoins explosé : 530 messages ont été traités au lieu de 200 habituellement. Les questions concernaient l’accès aux droits en lien avec le Covid-19, surtout autour du logement, de l’emploi, des assistantes maternelles, des violences intrafamiliales et des demandes d’aides financières. Le service a notamment été sollicité par des personnes privées de revenus et cherchant des solutions pour se nourrir. D’autres demandeurs se sont renseignés sur l’annulation d’un contrat de travail ou sur leurs droits à la suite d’un licenciement. Il y a aussi eu le cas d’un homme en instance de séparation ne supportant plus d’être confiné à domicile avec sa femme et craignant d’être violent avec elle.

Reportage

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