Le confinement, ça avait du bon, finalement…
Les familles nous remerciaient, les cadres nous encourageaient et les médias nous encensaient. Nous étions sous les feux des projecteurs, pleine lumière sur les « petites mains du système de santé », soignantes dévouées sanctifiées sur l’autel de la pandémie, courageuses femmes luttant sans relâche contre l’ennemi invisible.
Nous étions Diana, Wonder Soignantes des Ehpad, vaillantes héroïnes sauveuses de vieux en détresse. Nos lassos magiques débusquaient les « fake news » complotistes et nos bracelets d’invincibilité contraient les attaques du virus meurtrier.
Nous étions Brünnhilde, fidèles Walkyries du crépuscule des vieux, gardiennes du trésor, le trésor de la vie… tant de poésie, c’est beau.
Auréolées de lumière, galvanisées, réenchantées, nous avons touché du doigt le ciel immaculé de la gloire éternelle… Et patatras ! Du tréfonds des abîmes, des voix dissonantes se sont élevées. Un chuchotis d’abord, une rumeur, puis une clameur, puis le vacarme. Nous enfermerions les résidents à double tour. Nous empêcherions les familles de voir leurs parents. Pire, nous laisserions ces derniers mourir d’ennui et de solitude.
Et puis… le déconfinement, la reprise des visites, le retour des familles… Et nous, hier vaillantes soignantes, aujourd’hui arrogantes surveillantes.
« Bonjour Monsieur. Vous avez un masque ? Non ? Pas de souci, je vais vous en donner un. Bonjour Madame, si vous permettez, je vais juste prendre votre température avant de vous laisser entrer. Avant de partir, j’ai un petit formulaire à vous faire signer, ça ne prendre qu’une minute. Bonjour Monsieur, un peu de solution hydroalcoolique avant d’entrer, s’il vous plaît ? Bonjour Madame, je vois que vous avez amené des petits gâteaux, je vais devoir les mettre de côté, nous les donnerons à votre mère plus tard. Bonjour Monsieur, ma question va vous paraître intrusive, mais êtes-vous récemment allé en Espagne ? Ne vous dérangez pas, je ne fais que passer, j’amène un petit rafraîchissement. Pourriez-vous remettre votre masque, je vous prie ? Bonjour Monsieur, je vais juste prendre votre température et… oh mince, 38,5°, je suis désolée, vous n’allez pas pouvoir entrer… C’est encore moi, je viens récupérer le plateau… Pourriez-vous remettre votre masque, s’il vous plaît ? Tiens, il y a une nouvelle consigne de l’ARS. Etes-vous récemment allé dans une zone à risques ? Oh, une nouvelle note de service ! Je me permets de prendre votre température. Ah, le ministre de la Santé a parlé. Pourriez-vous remettre votre masque, je vous prie ? Pfff, encore une note… Tenez, vous pouvez vous installer ici, mais s’il vous plaît, pas de contacts physiques. On a une réunion ? Encore ? Désolée, les enfants de moins de 10 ans ne peuvent pas entrer. Il me faudrait votre nom et votre numéro de téléphone, s’il vous plaît, c’est juste au cas où. Les visites, pour le moment, c’est pas plus de deux personnes à la fois. Tiens, une nouvelle note de service. Les visites ? Une fois par semaine et sur rendez-vous. »
Je suis Cerbère, soignante à trois têtes, gardienne des chambres et de la bonne santé, mais les supplications mélodieuses des familles ne m’atteignent pas. Je suis Méduse, impitoyable Gorgone, mon regard acéré foudroie ceux qui osent défier les notes de service. Je suis Flore, soignante fatiguée, je ne vous veux pas de mal. Je veux juste leur bien.