« ON ADAPTE REGULIEREMENT LA LOI SANS SE SOUCIER DE SA MISE EN œUVRE. L’Etat est pointé dans ses limites. Il n’assume pas ses missions propres et ne parvient pas à impulser les évolutions nécessaires faute d’influence sur les départements et de références données aux professionnels. Les départements n’échappent pas à la critique, se voient accusés pour certains de ne pas faire de l’enfance une priorité. La compétence des élus pour suivre un dossier aussi délicat humainement et techniquement est niée.
On imagine changer les règles du jeu quand il suffirait que chacun tienne sa place et toute sa place. Ainsi on n’hésite pas à remettre en cause la décentralisation intervenue en 1982-1984, qui fait du département le chef de file de la protection de l’enfance, en dénonçant l’inégalité des pratiques territoriales quitte à oublier qu’elle existait déjà avec l’Etat-centralisateur. Comment imaginer répondre aux besoins de protection de l’enfance sur tout le territoire depuis Paris ? La décentralisation induit des politiques différenciées au regard des besoins eux-mêmes variables. Sur 40 ans, l’Etat n’a pas joué son rôle de régulateur.
Reste à répondre aux lacunes relevées. Le ministre, relayé par le Premier ministre, annonce une loi pour 2021. La Cour des comptes et l’Igas (inspection générale des affaires sociales) planchent sur des scénarios. Les institutions concernées, le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) notamment, tentent de se projeter pour apporter leur contribution. Reste que l’on parle trop “institutions” quand on devrait d’abord parler “fonctions” et “missions”, puis voir qui est le mieux placé, seul ou avec d’autres, pour y répondre. Les enjeux de pouvoir et simplement de posture polluent les meilleurs débats. Il faut aussi avoir la modestie de penser qu’aucun dispositif n’étant parfait, on recherchera le plus opérationnel au regard des besoins identifiés et des moyens disponibles quitte à savoir le faire évoluer.
Plus que jamais, la responsabilité de la gouvernance politique doit peser sur l’Etat et les collectivités territoriales dans le cadre légal issu de 1982-1984. Dire que les départements – tant qu’ils existent – sont plus que jamais les chefs de file de la protection administrative de l’enfance territoriale ne signifie pas que la responsabilité de l’Etat soit nulle ou négligeable. Il lui revient d’assumer ses charges propres – santé scolaire, service social scolaire (1), protection judiciaire des mineurs, enfance handicapée – et bien sûr les démarches correctives pour permettre l’accès aux droits. Au plan national, il a des missions transversales – animation et recherche d’une cohérence globale pour veiller au respect des droits fondamentaux de l’enfant sur tout le territoire à travers la loi, contrôle des institutions, statut et formation des professionnels, recherche, communication et, bien entendu, rendu des comptes à l’international.
Il doit s’en donner les moyens : financiers mais, avant tout, politiques à travers une gouvernance identifiée. Cela vient tout juste d’être acquis avec un ministre chargé de l’enfance.
En matière de gouvernance technique, en soutien à l’Etat et aux départements, on peut imaginer une rationalisation des moyens engagés à travers une Agence nationale de la protection de l’enfance. Elle devrait évaluer les politiques menées, identifier les évolutions qui relèvent de la loi et/ou des pratiques professionnelles ou institutionnelles, définir les besoins de formation auprès des organismes mandatés qui les mettent en œuvre (CNFPT, ENSP, ENM, universités), contribuer à produire de la pensée et déjà identifier les besoins de recherche et la littérature grise des mémoires et thèses avec les organismes compétents (Inserm, CNRS, Ined, universités).
L’ensemble devra s’inscrire dans une démarche d’évaluation régulière au regard des objectifs fixé mais aussi des standards moraux, juridiques et politiques de référence.
Cela suppose déjà de s’accorder sur l’ampleur du champ familial, médico-social, social et judiciaire de la protection de l’enfance qui ne se réduit pas à la seule aide sociale à l’enfance.
Il faut ainsi veiller à ce que chacun y voit clair sur ce qui se joue, les réponses apportées, les attentes et les besoins afin de dégager des perspectives comme la désinstitutionnalisation et de vérifier les instruments à disposition pour suivre et mettre en œuvre ces politiques. Alors, chacun dans le cadre d’engagements pluriannuels verra ce qu’il lui revient de faire : ce qu’il doit faire a minima, ce qu’il peut faire en plus, territoire par territoire.
Comme le souligne opportunément l’Igas, un mouvement de va-et-vient doit s’instaurer entre le national et le territorial. Il faut quitter la démarche d’affrontement ouvert (sur les mineurs non accompagnés) ou larvée (la résistance à la mise en œuvre des lois de 2007 et 2016).
Les associations gestionnaires doivent ici tenir tout leur rôle au sein de cette agence pour contribuer au débat sur l’état des lieux, à la définition d’objectifs et de prospectives. Très dépendantes des financements étatiques et de la commande publique et disposant aujourd’hui rarement de la capacité à prendre des initiatives, elles sont encore souvent perçues comme de simples prestataires de services. Alors qu’avec leur expertise et leur capacité à appréhender les besoins et à analyser les réponses apportées, elles peuvent contribuer à la définition des politiques publiques.
En pratique, on tend vers le rassemblement au sein d’un groupement d’intérêt public (GIP) cogéré par l’Etat et les départements des structures assurant aujourd’hui les missions d’aide à l’accès aux origines (Conseil national d’accès aux origines), de soutien à l’adoption, notamment internationale (Agence française de l’adoption), de secours aux enfants en danger (Service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger). A cette structure unique reviendraient également les missions générales d’évaluation, d’identification des besoins de recherche et de formation, de soutien aux évolutions institutionnelles et professionnelles, d’aide au contrôle des structures.
Reste à conserver l’apport acquis de haute lutte avec la loi de 2016 : disposer d’un lieu qui inscrive dans la durée une réflexion sur l’état de la protection de l’enfance en France et les perspectives qui s’imposent. En s’appuyant sur son expertise plurielle, cette structure doit inciter, conseiller, critiquer librement les pouvoirs publics. Le CNPE tient ce rôle grâce à une très forte mobilisation des réseaux associatifs. Il faut maintenir cette fonction. La rattacher au Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) serait une régression car l’on imagine mal les départements venir siéger au sein d’une sous-commission d’une instance de conseil. On peut encore concevoir le maintien de cette mission au sein de la future Agence nationale de protection de l’enfance. On peut simplement maintenir le CNPE comme institution autonome en le resserrant sur ses missions de conseil en le dotant enfin de moyens juridiques et matériels.
Cette démarche nationale doit aller de pair avec, territoire par territoire, une meilleure articulation des responsabilités publiques et associatives.
On mesure les questions en jeu. L’Etat ne sera crédible pour assurer ces réformes que si lui-même tient ses engagements dans les responsabilités qui lui échoient de longue date. Ce serait une erreur politique majeure de traiter de ce sujet uniquement sur des bases budgétaires – une économie de dépenses – ou d’être mu par le souci de réduire les interpellations politiques car sur un sujet aussi sensible les pouvoirs publiques ont tout à gagner aux interpellations rationnelles. Et la cause des enfants le vaut bien. »
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