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L’inclusion scolaire entre conservatisme associatif et réduction des coûts

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Après la loi du 11 février 2005, la voie de l’inclusion semblait enfin tracée. Pourtant, l’accès des enfants handicapés aux milieux ordinaires reste dérisoire au regard des besoins et des intentions affichées. Un état de fait regrettable, enraciné dans des décennies d’approches conservatrices du handicap.

« EN FRANCE, AU TRAVERS DE L’ACTION SOCIALE ET MEDICO-SOCIALE, L’ETAT A LA RESPONSABILITE DE PROMOUVOIR L’AUTONOMIE ET LA PROTECTION DES PERSONNES. En 2016, quelques circulaires ont annoncé la marche en avant de la transformation de l’offre de services du médico-social. Ainsi, le comité interministériel du handicap (CIH) du 2 décembre 2016 proposait de “changer durablement de regard et de méthode pour accompagner l’autonomie des personnes concernées, renforcer leur citoyenneté […] en rendant la société plus accueillante et plus inclusive”.

Cette proposition politique a été mise en place par de nombreuses circulaires qui ont recommandé le développement de fonctions ressources, une logique de parcours global en lieu et place d’établissements spécialisés et cloisonnés. Et elle s’est vue complétée par la circulaire du 15 mai 2018 relative au temps partiel pour raison thérapeutique dans la fonction publique, proposant 23 indicateurs de transformation de l’offre.

Le temps du changement

D’aucuns estiment que c’était avant tout pour réduire les coûts. En réalité, les temps ont changé. Le gouvernement français ne pouvait pas ignorer plus longtemps la recommandation de l’Union européenne de 2010 pour remplacer l’offre institutionnelle, ni le rapport de 2017 de Catalina Devandas-Aguilar, rapporteure spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées(1). Selon elle, “un bon établissement n’existe pas”. Et de conclure : “Les mesures qui sont prises actuellement pour répondre aux besoins [des personnes handicapées] sont extrêmement spécialisées et cloisonnées […]. Un cloisonnement qui ne fait qu’entretenir une fausse image des personnes handicapées, les présentant comme des personnes à prendre en charge plutôt que comme des sujets de droit.”

Témoin et acteur depuis quarante-cinq ans, j’identifie trois causes principales à cette lenteur ainsi pointée du virage inclusif. D’abord, les bases idéologiques du changement ne composent pas un socle solide. Depuis le Moyen Age, l’offre est caritative, isole de la société ordinaire les personnes handicapées pour les protéger et se protéger elle-même. Elle se fonde sur l’idée qu’il faut réadapter ces personnes à leur environnement pour qu’elles puissent y vivre. Ensuite, le nouveau paradigme peine à s’imposer, note Gwenaëlle Calvès, professeure de droit et maître de conférence à l’université de Cergy-Pontoise : “La France, comme ses homologues membres de la Communauté européenne, est traversée à différents égards par une tension entre une approche welfariste[2] du handicap, qui vise à aider, à assister et à protéger les personnes handicapées, et une approche axée sur la non-discrimination, qui considère que les politiques du handicap ont pour objet principal non pas les personnes handicapées, mais leur environnement, c’est-à-dire les barrières physiques, culturelles, institutionnelles, normatives qui s’opposent à leur pleine participation à la vie sociale. On change de perspective.”(3) Enfin, les associations de parents d’enfants inadaptés jouent un rôle incontournable dans la transition inclusive.

Le rapport “Bloch-Lainé” de 1967 réaffirmait la notion d’inadaptation plutôt que celle de handicap : “Sont inadaptés à la société dont ils font partie, les enfants, les adolescents et les adultes qui, pour des raisons diverses, plus ou moins graves, éprouvent des difficultés, plus ou moins grandes, à être et à agir comme les autres.” L’objectif consiste à leur “assurer le maximum d’autonomie compatible avec leur état, afin de les réinsérer dans leur milieu normal, autant qu’il est possible”.

Dans les années 1960, les enfants dits “inadaptés” ne pouvaient, pour la plupart, pas accéder à l’école et bénéficier d’un enseignement ordinaire. Il en était de même pour beaucoup d’adultes, qui restaient à la maison ou se retrouvaient à l’hôpital psychiatrique. Cette situation a amené les parents à se regrouper et à rechercher auprès des pouvoirs publics les solutions pour leurs enfants.

Des réflexes conservateurs

Aussi les associations de parents ont-elles joué un rôle important dans la construction du secteur. Le travail est accompli et les mérites sont immenses. Mais, avec le temps, leur poids économique et leurs capacités de lobbying sont devenus incontournables et expliquent en partie les difficultés à opérer un véritable changement. Les réflexes conservateurs ne sont pas uniquement liés à la volonté d’assurer une protection, un bien-être à son enfant toute sa vie. L’“entreprise” que représente une association départementale crée de la légitimité et de la notoriété à ses dirigeants, leur attribue un rôle de notables dans la communauté, un pouvoir. Il n’est pas difficile de s’imaginer le poids politique d’une association, véritable acteur économique dans un département. Aujourd’hui, elles peuvent porter le virage inclusif. Les unions et les fédérations nationales de parents ont un rôle déterminant pour faire adhérer leurs membres et salariés à ce nouveau paradigme de l’inclusion. Elles ne sont pas prisonnières des intérêts financiers politiques que peuvent avoir ses adhérents localement. Cela leur confère une indépendance et une liberté de ton qu’elles ont pu mettre en avant à des moments particuliers de l’histoire du handicap.

Malgré tout, le chemin est long, fait d’hésitations, de non-application des textes.

Depuis 1945, les professionnels de l’éducation spécialisée étaient réticents à évaluer leur travail. La loi du 2 janvier 2002 a fait sauter ce tabou. Elle a institué les évaluations internes et externes, hélas sans permettre le changement. Certes, les équipes ont investi cette commande qui leur donnait la reconnaissance de leur travail. Mais finalement, c’est une pratique coûteuse, qui n’évalue que le réglementaire.

Transition ou révolution ?

L’Etat serait-il incapable d’aller plus loin dans la décentralisation et sa conversion à des méthodes de nouvelle gestion publique qui minimise la différence de nature entre la gestion publique et la gestion privée ? Le blocage de la situation viendrait-il de la rencontre entre un secteur associatif potentiellement conservateur et un Etat qui veut réduire ses dépenses et s’appuie pour cela sur les recommandations insistantes de l’Organisation des Nations unies ?

Il semble qu’enfin la volonté d’inclusion séduise les pouvoirs publics. Mais même si la solidité du socle idéologique et les volontés européennes paraissent de plus en plus affirmées, qu’allons-nous découvrir derrière l’accélération de ce virage que nous observons depuis 2017 ? Sommes-nous en présence d’une volonté durable de l’Etat ou de celle d’une équipe qui risquerait de disparaître aux prochaines élections ? Le philosophe Pascal Chabot(4) nous invite à réfléchir et indique qu’une transition n’est pas une révolution. Nous ne sommes, pour le moins ici, pas en situation de révolution… »

Notes

(1) Voir ASH n° 3102 du 15-03-19, p. 18.

(2) De l’anglais welfare, « bien-être ».

(3) Communication faite en juin 2017 à l’occasion du colloque « Transition inclusive : la désinstitutionnalisation revisitée » organisé par le Comité franco-québécois pour l’intégration et la participation sociale (Comité franco-québécois pour l’intégration et la participation sociale).

(4) L’âge des transitions – Ed. PUF, 2015.

Contact : christian.tessier@alefpa.re

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