« En qualifiant les résidents des Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) de personnes fragiles et vulnérables dont il fallait préserver l’autonomie, la loi du 2 janvier 2002 a privilégié une approche médicale de ces personnes en omettant de rappeler qu’elles étaient d’abord des sujets dont l’histoire de vie et les modes de pensée devaient être aussi pris en compte. Ou comme me l’a fait observer une professionnelle : “Les résidents sont des personnes à part entière ayant un passé, un présent et un avenir, et pas seulement des sujets âgés dont il faut prendre soin.” Il est important de traduire cette manière de les considérer dans les priorités des établissements, dans l’aménagement du cadre de vie, l’écoute et l’accompagnement proposés aux personnes qu’ils hébergent.
Les impératifs de l’organisation, des horaires de travail et du planning des activités rendent difficile la prise en compte des habitudes de vie et des demandes des résidents.
“Chez eux, ils avaient le choix de leur vie, plus de souplesse. Ici, ils sont moins libres, on a plus tendance à leur imposer des choses : les contraintes de la vie en collectivité, des horaires de lever, de repas et des activités.”
“La maison de retraite c’est fait pour les vieux, mais ce n’est pas pour les vieux. Si je devais rentrer en maison de retraite, je serais gênée par le rythme imposé par l’institution. On vous dit que vous êtes chez vous, mais c’est l’inverse, c’est à vous de vous adapter au rythme de l’institution”(1).
Une réflexion devrait être menée pour instaurer des modes de fonctionnement assurant un meilleur équilibre entre les exigences de l’organisation et les demandes des résidents.
Des lois et de nombreuses études soulignent l’importance de l’environnement matériel(2) et des dispositions à prendre pour assurer un sentiment de bien-être aux résidents. “La qualité de l’environnement physique et celle de l’organisation de la vie quotidienne participent à la qualité de vie des personnes accueillies. L’appropriation des espaces, la personnalisation de la chambre et la souplesse du planning des activités agissent sur le sentiment de bien-être global. La conception de l’espace privatif doit s’apparenter à celle d’un logement afin de conforter l’identité et la sociabilité du résident. Il comprendra un cabinet de toilette intégré (douche, lavabo, sanitaires) et pourra être doté d’une kitchenette”(3).
Mais l’avis des résidents sur leurs conditions d’hébergement est très éloigné de ces recommandations.
“Ils considèrent la chambre qui leur est proposée comme le signe d’une perte de considération et, se sentant dévalorisés, ils perdent leur motivation et leurs repères. On ne peut pas effacer toute une vie lorsqu’on entre en institution.”
Les conditions d’hébergement ne permettent pas non plus le maintien des formes de sociabilité antérieures. “Les dimensions de la chambre et les exigences de l’institution se conjuguent pour dénaturaliser les habitudes familiales. L’hébergement, dimension importante du rôle de grand-parent, y est interdit ; le partage de repas exceptionnel. Les relations se réorganisent autour de discussions à deux ou trois ce qui accentue les tensions préexistantes. Les enfants qui ont placé leur parent en institution ne s’éternisent ni dans la chambre, ni dans l’établissement”(4).
En congruence avec les dispositions de la loi, médecins et soignants écoutent pour faire un diagnostic, évaluer une douleur, recueillir une plainte. Mais il faut aussi écouter le sujet âgé pour lui permettre de donner du sens aux situations qu’il a vécues ou qu’il est en train de vivre et d’envisager avec plus de sérénité les années qui se présentent à lui. Cette pratique de l’écoute, qui demande de renoncer à ses savoirs et à ses grilles de lecture et d’être disponible, est bénéfique pour le sujet âgé. Elle l’est aussi pour les professionnels car elle leur permet d’être plus à l’aise dans leur relation avec les résidents et d’enrichir leur fonction.
L’accompagnement des résidents n’est pas réservé aux professionnels, il est aussi de la responsabilité des proches. Ces derniers peuvent avoir des difficultés à trouver leur place et ont également besoin d’être écoutés. Outre les informations médicales et soignantes à leur apporter, il faut être attentif aux répercussions sur leur état d’esprit du déménagement de leur parent en résidence d’accueil et, lorsqu’ils se présentent, de la dégradation de son état de santé et de son acheminement vers la mort. “L’approche de la mort d’un parent âgé signe l’aboutissement d’un long et douloureux parcours pour la famille… Et chaque membre de l’entourage réagit différemment face à l’approche de la mort en fonction de la nature des relations entretenues depuis l’entrée dans l’établissement”(5).
Inviter les soignants à mieux écouter les résidents demande en retour d’être plus attentif aux répercussions de leur rôle sur leur dynamique de vie. Ils peuvent avoir des difficultés à trouver un équilibre entre leurs engagements auprès des résidents et les exigences de leur vie personnelle ; à prodiguer des soins, y compris les plus intimes, à des personnes qui ont l’âge de leurs parents ou de leurs grands-parents et dont le corps parle sans mots de la finitude. Ou encore à concilier les impératifs des activités quotidiennes avec l’accompagnement de ceux dont la mort est proche(6).
Pour conclure, je dirais que s’il existe un consensus sur la nécessité de revoir les modes de fonctionnement et les pratiques des établissements d’hébergement des sujets âgés, il n’en est pas de même du choix des innovations à prioriser et des démarches à adopter pour les mettre en pratique. L’option retenue pour l’étude que j’ai menée dans dix établissements a été de considérer leurs personnels comme les mieux placés pour identifier ce qui n’était pas satisfaisant et proposer des innovations des pratiques répondant mieux aux attentes et aux besoins des résidents et de leurs proches. Les étapes réalisées à ce jour ont validé ce choix. Après avoir réactualisé leurs représentations et leurs connaissances des sujets âgés et leur manière de les écouter, les professionnels qui ont participé à l’étude ont formulé des constats et des propositions qui contribuent à reconfigurer l’avenir de ce type d’hébergement. »
Contact : gerontologie-blog.com
(1) Comme pour d’autres propositions, la réponse demande de concilier les souhaits des résidents avec d’autres données. Si les horaires doivent être assouplis en l’absence de stimulation, une personne âgée peut rapidement renoncer à se lever avec des conséquences graves à court terme : escarres, perte de la capacité de maintenir la station verticale et de se déplacer, diminution de la masse musculaire, raidissement des articulations, difficultés respiratoires par encombrement des bronches, constipation…
(2) E. Djaoui – « Approches de la “culture du domicile” – Gérontologie et société 2011, vol. 34/136.
(3) Qualité de vie en Ehpad. Organisation du cadre de vie et de la vie quotidienne – Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) – Octobre 2011.
(4) I. Mallon – « Les personnes âgées en maison de retraite : une redéfinition des espaces familiaux » – Espaces et sociétés 2005/1.
(5) R. Gonthier – « La fin de vie en Ehpad » – Revue de gériatrie, tome 41 n° 3, mars 2016.
(6) Dans un établissement qui héberge 80 résidents, on déplore chaque année une trentaine de décès.