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Quand l’ouverture fait soin

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Pour soulager les familles durant le confinement, l’institut médico-éducatif de Drancy, en Seine-Saint-Denis, a improvisé un internat et un accueil de répit. Non seulement l’expérience se poursuit mais elle va se développer à la demande des professionnels et des jeunes car elle a permis de décloisonner les pratiques et de créer plus d’échanges.

« CELA S’EST PASSE SUPER, AVEC DES JEUNES QU’ON NE CONNAISSAIT PAS ! Il y a eu des crises mais on s’est vraiment beaucoup aidés entre nous. C’était plus cool avec les éducs aussi. Il faut dire qu’ils ont donné : on a eu des histoires, de la relaxation… On a même été autorisés à faire de la cuisine et à organiser une teuf par semaine pour fêter le confinement. On ne voulait pas que ça s’arrête ! » Bernie et son pote Vamougna, 20 ans tous les deux, ne tarissent pas d’éloges sur ce qu’ils ont vécu ce printemps dans « leur » institut médico-éducatif (IME) Ladoucette, à Drancy (Seine-Saint-Denis). Pendant le confinement, ils ont pu être accueilli de façon permanente avec dix autres jeunes de la structure et, pour trois d’entre eux, d’autres services en lien avec le département.

Dans cet établissement du réseau de la Société philanthropique – le plus important IME du département, qui accueille 116 jeunes de 14 à 21 ans atteints de déficience intellectuelle –, deux dispositifs spécifiques ont vu le jour pendant la crise sanitaire. Pour répondre aux besoins des familles et des jeunes en grande difficulté sans alternative, la structure a initié un internat « 365 » (ouvert 7 jours sur 7) ainsi qu’un accueil de répit, avec le soutien de l’agence régionale de santé (ARS). Une expérience qui a bouleversé les pratiques. « Aujourd’hui, on est plus mélangés, par exemple avec les enfants de l’accueil de jour, et même si parfois ça nous fait un peu peur, c’est chouette ! », poursuivent avec entrain Bernie et Vamougna.

A l’heure du déconfinement et d’un retour progressif au plein effectif, cette parenthèse dans la vie de la structure va-t-elle se refermer ou préfigure-t-elle un fonctionnement collectif pour toutes les équipes ? La question a été posée à la mi-mai aux personnels – 70 équivalents temps plein, dont 43 éducateurs spécialisés et 6 aides médico-psychologiques (AMP) – à travers une enquête en ligne. Massivement, ils ont exprimé le souhait de « ne pas revenir en arrière ». Une base sur laquelle la direction s’appuie désormais pour déployer avec eux cette nouvelle approche. « Dès la semaine qui a suivi le confinement et la fermeture de l’établissement, les équipes ont reçu des alertes sur des situations à domicile déjà tendues et qui n’allaient pas tenir : parents isolés avec des enfants présentant d’importants troubles du comportement, problèmes de santé des familles… On s’est dit qu’il fallait improviser quelque chose sans tarder », raconte Joachim Perroud, nouveau directeur de l’établissement depuis fin février. Le pari était risqué, avec des ressources humaines très amputées – moins de la moitié des effectifs au début du confinement – et des contraintes sanitaires très difficiles à tenir avec ce public.

« Les pros n’étaient pas confinés sur place et sont d’abord venus la peur au ventre. Ils se relayaient en permanence auprès des jeunes accueillis dans l’internat “365” avec des collègues d’autres unités qu’ils ne connaissaient pas », décrit Christelle Tarrin, jusqu’ici cheffe de service de l’accueil de jour ainsi que du service d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) rattaché à l’IME. A ces conditions s’ajoutait une autre crainte : comment accueillir les jeunes les plus en difficulté pour une durée indéterminée sans risquer l’explosion ? Même interrogation du côté de l’accueil de répit, le deuxième dispositif ouvert à l’IME pendant le confinement dans un bâtiment à part, où étaient reçus quatre jeunes majoritairement atteints de syndromes autistiques, avec des niveaux de dépendance plus lourds que ceux accompagnés au sein de l’établissement par quatre éducateurs pour une durée de cinq jours. Durant ces deux mois, il n’y a eu ni cas de Covid-19 ni crise majeure. Un seul jeune parmi les 12 de l’internat a quitté la structure et a été remplacé. Idem du côté de l’accueil de répit : sur la vingtaine reçue, un seul a dû partir avant la fin du séjour.

Changement de repères

Ici, pas de miracle, mais une autre perspective éducative, émergente. « Il a fallu composer avec les professionnels et les jeunes présents. En petit effectif et ensemble tout le temps, on a cherché à transformer l’IME en un véritable lieu de vie. Hors du cadre de fonctionnement classique, avec ses temps cloisonnés, un planning d’activités rempli pour chaque jeune trois mois à l’avance, nous nous sommes autorisés à vivre quelque chose de plus concerté et individualisé avec chacun », souligne Elisabeth Gracia, responsable de l’internat et de l’externat avant le confinement.

Un changement de repères pour le moins substantiel… Concrètement, tous les services du site (internat, externat, unité jeunes majeurs, accueil de jour) ont été fusionnés, laissant place à l’unité de vie, des petits (10-15 ans) et celle des grands (plus de 15 ans). Aujourd’hui, tous les espaces sont ouverts et les jeunes sont libres de circuler. Matin et après-midi, petits et grands ados sont invités à choisir leurs activités avec les éducateurs autour des barnums installés dans le jardin de leur unité de vie, ou bien à en proposer, à l’exception des temps scolaires et sportifs obligatoires. Pour ceux qui ne le peuvent ou ne le veulent pas, des éducateurs volants sont désormais présents pour prendre, si besoin, des temps plus calmes avec eux. « Cette liberté donnée aux enfants est la mise en pratique d’un souhait porté depuis au moins cinq ans en lien avec notre projet de soins, comme une dimension nécessaire à leur accompagnement, explique Eric Mezzi, médecin référent de l’IME. Avec un public en profonde évolution, sujet à des troubles psychiques et des troubles du comportement associés, dont les problématiques tournent autour de la relation à l’autre, elle permet de passer d’une approche comportementaliste datée, fondée sur les apprentissages et l’éducation, à une entrée beaucoup plus portée par la relation. »

Pour soutenir ce mouvement, un « décloisonnement » des pratiques éducatives est à l’œuvre aussi. « Jusqu’ici, chaque professionnel de l’externat avait sa salle et son groupe de six enfants, sans souplesse ni possibilité de relais si un jeune ne supportait plus d’être en groupe. Il n’y avait jamais de rencontre avec les collègues de l’internat, ou sur de rares temps informels ! », souligne Christelle Tarrin, désormais responsable de l’unité de vie des « petits » ados. Les deux équipes n’en formant désormais plus qu’une, tous les emplois du temps ont été réaménagés, en concertation avec les professionnels, en deux services : celui du matin (7 h – 14 h) et celui du soir (13 h 30 – 22 h), avec des temps de transmission quotidiens en milieu de journée, inexistants jusqu’ici.

Davantage de place à la rencontre

Une nouvelle évolution en quelques mois à laquelle Noémie Lemaire et Deborah Blondel, éducatrices spécialisées à l’internat depuis un peu plus d’un an et mobilisées pendant le confinement sur l’internat “365” », font bon accueil. « Jusque-là, on évoluait dans les mêmes lieux sans savoir ce que les autres faisaient, comment ils travaillaient. La communication était très peu présente – on savait à peine si ça se passait mal pendant la journée –, alors qu’elle est importante dans notre métier », observe Deborah Blondel. « Cette expérience a agi comme un accélérateur, ajoute Noémie Lemaire. Elle nous a tous réunis autour des jeunes. On a dû apprendre à se découvrir et à travailler ensemble, chacun avec ses ressources. Des échanges, des liens se sont créés dans une simplicité et une bonne ambiance qui ont été vraiment porteuses. »

Avec l’intégration au sein de cette grande et même équipe de professionnels dédiés à l’accueil de jour des jeunes autistes, la transversalité, soutenue par un taux d’encadrement renforcé, est poussée plus loin encore entre les murs de l’IME. « On demande depuis des années que nos jeunes soient accueillis à l’externat avec les “autonomes” et partagent avec eux des activités. L’ouverture fait soin ! », soutient Christelle Tarrin. « Cela révèle plein d’aptitudes et une autre orientation possible que celle qui les cantonne parfois dix années dans le même groupe avec le même éducateur », insiste Florence Mouly, AMP exerçant jusqu’ici dans l’unité et missionnée pendant le confinement au sein de l’accueil de répit.

Ce dispositif, qui ferme ses portes à la fin du mois de juillet, a joué son rôle, analyse Elisabeth Gracia. En demandant aux professionnels d’accueillir un public en majorité de grands autistes qui, pour certains, n’avaient aucune expérience en institution, il a suscité « cette liberté de prendre chacun comme il est, en laissant davantage place aux émotions et à la rencontre, avec des résultats surprenants », selon la professionnelle. « Complètement différents en termes d’âge et de handicap, il a fallu s’adapter à ces jeunes et partager nos savoir-faire, nos expériences, notre compréhension par rapport à certains fonctionnements avec de nouveaux collègues que l’on ne connaissait pas ! Cette coformation nous a enrichis et a donné confiance. On a vu qu’on est capable d’accueillir la singularité de chacun », relève Virginie Roy, éducatrice spécialisée auprès des jeunes majeurs avant les événements, qui pointe désormais la nécessité de définir de nouveaux temps d’accueil privilégiés, sans recloisonner.

Dans ce travail collectif sur mesure, l’appui des trois psychologues de l’équipe, beaucoup plus présents dans le quotidien de la vie des groupes depuis le confinement, constitue une ressource essentielle. « Cela a permis, dans une organisation précédemment très clivée et clivante, une plus grande circulation de la parole, un travail collaboratif entre professionnels au service d’une approche globale autour de l’enfant », apprécie Chloé Coquerel, l’une des professionnels. « Ce regard a aidé l’équipe éducative à se détacher des objectifs à atteindre fixés par un fonctionnement très scolaire et à trouver toute sa place et sa valeur en mettant au cœur de son accompagnement le jeune là où il est », commente sa collègue Sophie Gasnier.

Les résultats n’ont pas manqué : « On a vu des jeunes progresser de manière très visible ! Chez nous depuis des années ou orientés par l’ARS, décrits comme étant d’une grande violence ou enfermés dans des troubles autistiques extrêmement ritualisés, beaucoup ont exprimé d’autres compétences et ont fait sauter tous les rituels connus ici », se réjouit Elisabeth Gracia. C’est ainsi que Rémy, 17 ans, atteint d’un autisme sévère, normalement accueilli dans un IEM parisien, a été reçu à l’accueil de répit, pour soulager un père ayant du mal à gérer tous les événements avec une épouse très angoissée par la situation sanitaire. « Lui qui restait dans son coin à faire des puzzles après chaque repas s’est mis à suivre les autres, à donner la main, à faire des câlins et est reparti avec des photos de tous les éducateurs, raconte ce parent. A son départ, tout le monde était à la grille pour lui dire au revoir ! » Cinq jou rs de relation véritable avec un jeune peuvent tout changer pour lui, sa famille et tout un établissement. « A la faveur de cette expérience, on s’est tous vus différemment ! Et il faut encore que l’on travaille à emporter tout le monde dans ce changement de regard », résume Joachim Perroud, qui fait le pari de réussir le passage à l’échelle supérieure à la rentrée avec la totalité des jeunes… Si les conditions sanitaires le permettent.

Reportage

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