EN FRANCE, DEPUIS UNE DIZAINE D’ANNEES, de nombreux hôpitaux, maisons de retraite et autres structures pour personnes âgées ont aménagé des jardins spécialement conçus pour l’accompagnement et la prise en charge des résidents, et plus spécifiquement des malades d’Alzheimer. Mais, pour être réellement thérapeutiques, ces jardins doivent être conçus selon un cahier des charges bien précis. Car si leur intérêt dans le soin existe depuis la nuit des temps, tout espace vert ne peut cependant pas être considéré comme thérapeutique.
C’est pourquoi la Fondation Médéric Alzheimer, en partenariat avec l’association Jardins et santé et l’Ecole nationale supérieure de paysage de Versailles, a récemment publié un guide intitulé « Conception et élaboration de jardins à l’usage des établissements sociaux, médico-sociaux et sanitaires (voir interview ci-contre). Car si le rôle des jardins thérapeutiques a été reconnu par le ministère de la Santé lors de la mise en place du plan « Alzheimer » 2008-2012, ils ne sont pas recommandés pour cette seule pathologie. Ils sont également préconisés pour les centres hospitaliers, psychiatriques, éducatifs ainsi que pour les personnes cérébro-lésées, atteintes d’autisme, âgées, vulnérables, fragilisées, dépendantes, handicapées…
« Tout type de personne peut tirer des bénéfices des jardins, renseigne Kevin Charras, coauteur de ce guide. En psychologie, on appelle cela l’ » impact restaurateur de la nature », un phénomène étudié au début des années 1980 par un chercheur américain, Roger Ulrich. Ce dernier a démontré que, dans une situation de convalescence en chirurgie, les patients qui avaient une vue sur des jardins bénéficiaient d’une convalescence plus rapide que ceux dont la vue portait sur d’autres bâtiments de l’établissement. La nature engendre donc un impact sur les personnes, quels que soient leur pathologie ou leur état.
Mais une fois posé cet axiome, en quoi consiste concrètement un jardin thérapeutique ? Quelles en sont les particularités ? Selon les spécialistes, la principale caractéristique à respecter pour obtenir un résultat efficace est que ce jardin doit faire partie intégrante de l’accompagnement des personnes et du processus de soins. Dans le cadre de la maladie d’Alzheimer, par exemple, il doit donc avoir été pensé en étroite collaboration entre la direction d’un Ehpad, l’équipe accompagnante, le paysagiste, les patients et leurs proches.
« Pour qu’un jardin soit thérapeutique, il doit être pensé et utilisé par les soignants, les professionnels et les résidents afin de servir de support à des actes, des démarches de « prendre soin » et de soins. Sans cela, il pourra être le plus joli du monde, il ne sera pas utilisé », confirme Jérôme Pellissier, docteur et chercheur en gérontopsychologie. Et l’auteur de Jardins thérapeutiques et hortithérapie d’ajouter : « Ce qui veut dire que cela n’implique pas forcément une taille minimale ou une architecture particulière. Une balade dans le parc de Versailles n’est pas thérapeutique. Mais si un professionnel accompagne un malade dans cette activité et utilise la nature comme support de travail, alors le jardin, le parc le devient. »
Cela relève du même mécanisme que les autres interventions non médicamenteuses telles que la zoothérapie ou l’art-thérapie… Le jardin, l’animal ou le matériau devient un médiateur, un outil. La personne ne se dit pas qu’elle est en train d’être soignée, mais qu’elle est en train de peindre, de s’occuper d’un animal ou de jardiner. « Certains remettent pourtant en cause le terme « thérapeutique » car ils estiment que nous ne soignons pas, observe Sonia Trinquier, fondatrice et directrice de l’association Mosa•que des jardins et des hommes. Effectivement, nous ne guérissons pas certains malades, comme ceux atteints d’Alzheimer par exemple. Mais nous leur apportons un bien-être, une détente, un savoir-faire qui va permettre de les sortir de leurs problématiques de santé et de penser à autre chose… Il permet donc de faire en sorte que la pathologie soit mieux vécue. » « On ne guérit pas de cette maladie, mais le jardin thérapeutique peut jouer sur les troubles du comportement, sur la démence, sur le stress, sur le bien-être, appuie Jérôme Pellissier. C’est un support de l’accompagnement. »
En fonction des personnes et des pathologies – selon qu’ils s’adressent à une personne âgée Alzheimer, à un adulte handicapé ou à un enfant autiste –, les professionnels ne vont pas avoir les mêmes intentions thérapeutiques. « L’usage d’un jardin ne sera pas le même d’un Ehpad à un autre, atteste Kevin Charras. Tout dépend de la manière dont elle l’intègre dans le projet de vie des résidents. Le but n’est pas de travailler dans le jardin mais d’en faire un support. »
Selon l’association Jardins et santé, « le jardin à but thérapeutique est un espace extérieur, intégré à un établissement hospitalier ou parahospitalier. Il permet de créer un univers à la fois clos et sécurisant, mais aussi ouvert au monde et vivifiant. Il crée des situations de bien-être et de confort où les choses sont liées entre elles. Il s’agit non seulement d’offrir la possibilité de vivre dans un jardin, mais aussi de participer à sa création, à son évolution, d’en prendre soin. C’est un espace conçu pour faciliter les interactions avec les éléments soignants de la nature. Ces interactions peuvent être passives ou actives, selon le design du jardin et les besoins des usagers. »