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Cultiver pour se nourrir : renouer avec la terre nourricière

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Difficile, pour les personnes en situation de précarité, d’accéder sans qu’on les y aide à la possibilité de cultiver leurs fruits et légumes. Or les jardins partagés représentent un moyen de se nourrir dignement à moindres frais et de façon équilibrée. Des associations d’aide aux plus démunis mènent des expérimentations audacieuses. Elles espèrent essaimer et vont travailler à une nouvelle fiche métier pour les animateurs de ce type de projets.

FAVORISER L’ACCES DES PERSONNES EN GRANDE PRECARITE A UNE ALIMENTATION DE QUALITE, diversifiée et de façon digne. Voilà l’objectif que se fixent certaines collectivités locales, en Lorraine en particulier, et des associations d’aide aux plus démunis, comme ATD quart monde ou le Secours populaire.

Plus qu’en opposition à l’aide alimentaire, qui sera plus que jamais nécessaire du fait de la crise sociale en cours, ces initiatives se veulent complémentaires. « Lorsque nous avons commencé à travailler la question des tensions autour de l’alimentation, confie Huguette Boissonnat-Pelsy, directrice du département santé d’ATD quart monde, nous pensions aborder la question des coûts. Mais en réalité, c’est la partie émergée. Apparaissent aussi les enjeux d’appartenance à une société. Et il y a tout un volet de culpabilité : on disait aux pauvres qu’ils se nourrissaient mal, mais en réalité ils ne peuvent faire autrement ! »

« Petit à petit, enfermées dans des barres d’immeubles, les personnes précaires ont été détournées de l’économie de leurs parents. Certes, c’était une économie de pauvreté, mais elle permettait de se nourrir, au moins en partie. Or, dans ces cubes que sont devenues leurs habitations, il n’existe plus de moyen de travailler à s’alimenter dignement. » D’où le lien que tisse de plus en plus le mouvement ATD quart monde entre solidarité et transition écologique. Ce qui le conduit à mener en son sein ou soutenir avec d’autres des projets concrets de retour à la terre.

Impliquer les agriculteurs

A Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), dans son centre de promotion familiale, les résidents du centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) disposent d’un jardin. De même que dans une maison de vacances, La Bise, située dans le Jura. A une plus grande échelle, le mouvement de lutte contre la précarité s’est associé avec des collectivités territoriales de Meurthe-et-Moselle, d’autres associations et le réseau Agricultures urbaines et précarité alimentaire, né en 2018 et porté par des chercheurs d’AgroParisTech. Ensemble, ils construisent actuellement un modèle de jardin nourricier qui pourrait faire école.

Deux communes voisines, Neuves-Maisons et Pont-Saint-Vincent, ont mis environ 4 000 m2 de terres à disposition. De l’avis général, l’implantation dans ce coin de France doit moins au hasard qu’au passé militant et ouvrier du territoire, qui a subi plusieurs fermetures d’usines et pris l’habitude d’agir collectivement.

Ces terres mises à disposition à la fin de l’an dernier ont été divisé en deux entités. Un jardin partagé, collectif, et des parcelles qui seront individualisées, pour des familles précaires. Ces terres étaient en friche de longue date, et l’association des jardins partagés de Neuves-Maisons a reçu l’aide d’agriculteurs locaux pour le premier labour, l’installation des systèmes d’irrigation ou la fourniture de plants. En dépit du retard pris du fait du confinement, le jardin est aujourd’hui en place.

Les personnes qui y interviennent ont été conduites là par la maison des solidarités locale, le centre communal d’action sociale, des associations d’aide aux migrants ou le Secours populaire. Tous les samedis matin, un temps de travail collectif réunit une quinzaine de personnes. Et le reste de la semaine, intervient aussi quotidiennement une famille de demandeurs d’asile qui, dans son pays d’origine, exerçait le métier de paysan.

Des besoins en nette augmentation

Sophie Hégé, chargée de projet « alimentation digne et durable » au sein du Pays Terres de Lorraine (voir encadré), indique : « Ce jardin partagé s’inscrit dans la démarche plus globale que nous appelons « Se nourrir quand on est pauvre »[1], lancée en 2016. Le but consiste à faciliter l’accessibilité sociale à l’alimentation. Et outre les jardins partagés, la démarche inclut les achats groupés aux producteurs, l’aide alimentaire mais aussi la parole donnée aux personnes en situation de précarité. »

Autant que les associations, les chercheurs aimeraient que cette expérimentation porte ses fruits au-delà des frontières de ce pays des Terres de Lorraine. Cela correspond à l’évolution des besoins, à en croire Christine Aubry, ingénieur de recherche à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et professeure consultante à AgroParisTech, qui s’intéresse aux agricultures urbaines depuis plus de 20 ans, à Madagascar d’abord, en France aujourd’hui. Elle note en effet : « De plus en plus de jeunes, et de femmes en particulier, demandent des parcelles dans les jardins familiaux, à la recherche de surfaces de production importantes qui puissent vraiment contribuer à l’alimentation familiale. » Elle observe aussi l’arrivée de classes plus populaires qui cherchent à se nourrir dans les jardins partagés, auparavant plutôt l’apanage de citadins plus favorisés venus s’aérer. Christine Aubry prévoit que la crise sociale renforcera une tendance déjà à l’œuvre de jardins au pied des immeubles, en lien avec les bailleurs sociaux.

La question de l’accès au foncier, de sa propriété, n’est pas la plus simple à résoudre, dans le cadre de ce développement de l’accès à l’alimentation par le retour à la terre. Les communes par exemple proposent souvent des contrats d’un an, renouvelables. Difficile, dans ces conditions, de bâtir des projets durables. Et toutes les collectivités territoriales n’ont pas le volontarisme que tous reconnaissent au département de Meurthe-et-Moselle en la matière.

Pourtant, la perspective de créer une fiche métier pour les animateurs de ces jardins se dessine. « Faut-il un jardinier ou un chargé d’insertion ? Un professionnel ou un bénévole ? », s’interroge encore Huguette Boissonnat-Pelsy, qui estime que les 12 mois à venir devront permettre de définir ce profil. Avant de se réjouir que le réseau « agricultures urbaines et précarité alimentaire » ait une approche suffisamment complète pour aborder la question de l’alimentation digne sous tous ses angles.

Le cadre de l’expérimentation en Lorraine

Selon l’association Jardins et santé, « le jardin à but thérapeutique est un espace extérieur, intégré à un établissement hospitalier ou parahospitalier. Il permet de créer un univers à la fois clos et sécurisant, mais aussi ouvert au monde et vivifiant. Il crée des situations de bien-être et de confort où les choses sont liées entre elles. Il s’agit non seulement d’offrir la possibilité de vivre dans un jardin, mais aussi de participer à sa création, à son évolution, d’en prendre soin. C’est un espace conçu pour faciliter les interactions avec les éléments soignants de la nature. Ces interactions peuvent être passives ou actives, selon le design du jardin et les besoins des usagers. »

Notes

(1) Se nourrir lorsqu’on est pauvre – SD Huguette Boissonnat-Pelsy – Ed. Quart Monde, 2016 – 10 €.

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