On en a dit des choses sur le monde d’après. Cette fameuse prise de conscience : demain tous écolos, responsables et solidaires. Tout le monde sera beau et gentil et tout sera merveilleux et ce sera une grande planète d’amour… Nous avancerons tous ensemble main dans la main, paix amour gloire et beauté ! On aura des circuits courts privilégiant l’écolo-bio-local, on achètera nos vêtements en chanvre tissé main au charmant petit marché des producteurs locaux et on mangera les tomates du jardin garanties sans pesticides et sans OGM à la chair gorgée d’amour en se racontant des histoires qui finissent bien au coin d’un feu de cheminée avec tous nos nouveaux amis qui viendront de tout près ou de très loin parce qu’on sera tous devenus vachement potes.
On sera féministes, humanistes, altruistes – insérez ici l’un des 764 mots finissant par « iste » de la langue française – et ce sera merveilleusement fabuleux, ou fabuleusement merveilleux, au choix. J’avoue, ce monde d’après m’a fait rêver…
Et voilà, on y est. Le monde d’après, c’est aujourd’hui. La France est déconfinée, les soldes ont commencé et les touristes sont arrivés.
Et finalement, qu’est-ce qui a changé ? Sommes-nous devenus meilleurs ? Le monde est-il plus beau, plus écolo, plus bio, plus réglo ? Santé, social, discriminations… Des espoirs, des promesses… et des chiffres.
Depuis le 1er janvier, on recense 54 féminicides par compagnons ou ex, 224 morts de la rue, 4 220 900 chômeurs. Et tellement d’autres chiffres. Mineurs victimes de la prostitution, mal-logement… Des chiffres, tellement de chiffres, qui donnent le tournis, qui font tourner la tête, le tourbillon de la vie… et des morts.
Et puis, les femmes, grandes perdantes de la crise sanitaire, qui sont restées disponibles pour le travail, l’école à la maison, les tâches domestiques, et qui ont vu les violences conjugales accrues pendant le confinement. Les femmes encore, avec leur voix et leurs pancartes, qui dénoncent le sexisme et la complicité machiste, et qui en retour se font traiter de féministes extrémistes, de folles et de misandres. Les femmes et l’égalité, grande cause du quinquennat. Liberté, égalité, sororité, ces mêmes femmes infantilisées et injuriées, accusées de passer outre la présomption d’innocence… L’innocence des hommes bien sûr, parce qu’elles, elles sont forcément coupables, coupables d’accuser à tort, coupables de ne pas savoir, coupables de dégrader la langue française, de demander l’égalité aux toilettes et de casser l’ambiance en soirée. Les femmes, ces éternelles coupables, même quand elles sont victimes. Combien de femmes victimes, et combien de femmes qui se taisent ?
Alors, le monde d’après… comment dire ? Les belles promesses, les lendemains qui chantent et l’aujourd’hui qui déchante. On ne voulait pas de retour à l’anormal et il n’y aura pas de retour à la morale.
Marguerite, Simone et Gisèle, les « 343 salopes » d’hier… Caroline, Laurence et Alice, les « féministes excessives » d’aujourd’hui… Le monde continue de tourner, et on repart… dans le tourbillon de la vie… et des chiffres.